Le graphène, ce matériau qui peut tout faire... en mieux

Le graphène, ce matériau qui peut tout faire... en mieux Ultra fine, légère, solide, transparente, flexible, étanche : cette structure chimique a de quoi bouleverser toutes les industries.

Imaginez un matériau un million de fois plus fin qu'un cheveu, meilleur conducteur que le silicium, 200 fois plus solide que l'acier tout en restant flexible, quasi transparent et parfaitement étanche à n'importe quel gaz. Ce matériau, c'est... votre mine de crayon. Ou presque. Car le graphène, dont il s'agit, est comme le graphite des mines composé entièrement d'atomes de carbone. Mais il en possède une seule couche, agencés en un réseau hexagonal. Le graphite est donc tout simplement un empilement de feuilles de graphène.

Un million de fois plus fin qu'un cheveu et 200 fois plus solide que l'acier

Cet étonnant matériau a été découvert en 2004 par deux chercheurs de l'université de Manchester (qui ont d'ailleurs obtenu le prix Nobel en 2010 pour leur découverte), en utilisant... un rouleau de scotch. Ils ont extrait une à une des couches de graphite de plus en plus minces à partir d'une mine de crayon.

Cette découverte a immédiatement suscité un engouement mondial dans la communauté scientifique. L'industrie électronique est l'une des premières à y avoir vu un candidat idéal pour améliorer les performances des circuits imprimés. En 2013, des chercheurs de l'Université de Cornell ont annoncé avoir fabriqué un transistor au graphène à plus de 400 GHz, 300 fois plus rapide que les processeurs actuels. Encore mieux : des chercheurs suédois ont réussi à améliorer la dissipation de la chaleur de 25% dans un processeur en y apposant une couche de graphène. Or, l'échauffement des composants est la principale cause d'usure des ordinateurs. Enfin, la capacité de ce matériau à être étiré intéresse de près les fabricants de smartphones qui y voient un moyen de produire des écrans ultra-fins et flexibles.

Les fabricants de smartphones y voient un moyen de produire des écrans ultra-fins et flexibles

Deuxième piste très prometteuse : les batteries de voiture. Tesla, le fabricant d'automobiles électriques à succès, chercherait notamment à concevoir sa prochaine gamme de batteries avec du graphène, a révélé en août dernier l'agence de presse chinoise Xinhua. Une batterie qui permettrait de doubler l'autonomie des voitures pour atteindre 800 kilomètres. "En ajoutant du graphène dans les électrodes des batteries, il serait également possible d'augmenter la vitesse de charge de 20 à 30%", ajoute Etienne Quesnel, chercheur au CEA.

Grâce à sa transparence et à sa conductivité, le graphène est aussi un excellent candidat pour fabriquer des cellules solaires beaucoup plus efficaces, capables en particulier d'absorber un spectre lumineux bien plus large. Certains imaginent aussi l'utiliser pour fabriquer des vitres "auto-nettoyantes", la lumière du soleil enlevant la saleté déposée grâce à un processus photocatalytique.

Des dizaines de projets émergent chaque jour, comme des posters interactifs qui jouent de la musique ou des pare-brises capables de "voir" la route de nuit

La structure chimique du graphène lui confère enfin des propriétés d'absorption exceptionnelles. Des chercheurs de l'université du Zhejiang, près de Shanghai, ont réussi à fabriquer en 2013 un aérogel de graphène d'une densité de 0,16 mg par centimètre cube, sept fois moins que l'air. Ce matériau, le plus léger du monde, est capable d'absorber 900 fois son poids en quelques secondes, une propriété très intéressante pour traiter les eaux polluées par du pétrole par exemple. Dans la même idée, des chercheurs du MIT ont mis au point une technologie de désalinisation d'eau de mer utilisant des membranes en graphène qui, selon leurs simulations, filtreraient l'eau cent fois plus vite que les techniques actuelles et à une pression moindre (et donc à plus faible coût).

Des dizaines d'autres projets émergent chaque jour, comme des posters interactifs qui jouent de la musique, des pare-brises de voitures capables de "voir" la route de nuit, des LED plus lumineuses et plus économes, des imprimantes à durée de vie allongée, ou même des implants miniaturisés qui pourront réaliser des analyses physiologiques à l'intérieur du corps en temps réel.

Entre juillet 2011 et février 2013, le nombre de brevets relatifs au graphène a triplé dans le monde. La Chine est en première ligne

Le marché de ce "matériau miracle" devrait s'élever à 100 millions de dollars en 2018, prévoit IDTechEx. Samsung, IBM et des dizaines d'autres groupes ont déjà investi sur cette technologie. Entre juillet 2011 et février 2013, le nombre de brevets relatifs au graphène a triplé dans le monde, révèle un rapport de l'office britannique de la propriété intellectuelle. Avec plus de 1 500 "familles" de brevets (qui se rapportent à une même invention), la Chine est de loin le premier pays, alors que l'Europe, pourtant à l'origine de la découverte, en a déposé moins de 500.

La Commission européenne a décidé de rattraper son retard et a choisi le graphène pour lancer en janvier 2013 son premier "Flagship", des projets sur 10 ans associant tous les pays européens en consortium. Doté d'un budget exceptionnel d'un milliard d'euros, il est baptisé "Graphène" et destiné à développer des applications commerciales. Il implique pas moins de quatre prix Nobel de physique et des représentants d'industriels majeurs comme Nokia, Airbus, ou Thales. En première ligne, la France s'est vue attribuer 14% du budget et fait bûcher quinze laboratoires de recherche sur le sujet.

Le casse-tête de la fabrication en masse

Le hic, c'est qu'il est encore très difficile de fabriquer du graphène en quantité industrielle. "Pour l'instant, un centimètre carré de graphène de bonne qualité coûte autour de 100 euros", confie Etienne Quesnel. 3 000 fois plus cher que les matériaux actuellement utilisés dans les panneaux solaires par exemple. Et la production en laboratoire se mesure encore en grammes. Mais là encore, les progrès sont rapides : des chercheurs irlandais ont développé une technique de production à grande échelle... à l'aide d'un simple mixeur de cuisine, en se servant d'eau et de savon liquide. Et ont conclu un partenariat avec une entreprise britannique qui se chargera d'industrialiser leur procédé.

Les premiers produits devraient arriver sur le marché dans moins de cinq ans

Certains scientifiques jugent pourtant que le graphène est déjà dépassé. Ils ont déjà d'autres matériaux dans leur ligne de mire : le disulfure de molybdène, une poudre noire-argentée issue du minerai de molybdène, possède par exemple des propriétés analogues au graphène mais c'est en plus un semi-conducteur, ce qui permettrait d'en faire des transistors sans modifier sa structure (le graphène ne se comporte pas naturellement en semi-conducteur). Le silicène, une feuille de silicium d'un atome d'épaisseur qui a récemment été synthétisé, présente le même avantage et pourrait en plus s'intégrer facilement dans tous les processus de fabrication de circuits électroniques déjà basés sur le silicium.
Etienne Quesnel, lui, estime que l'avenir industriel du graphène est bel est bien prometteur pour certaines applications spécifiques. "On devrait voir les premiers produits dans moins de cinq ans", avance-t-il.