Jean-Pierre Letartre (Ernst & Young France) "En France, l'ascenseur économique est en panne"

Compétitivité, innovation, accès au financement... Le PDG du cabinet d'audit financier Ernst & Young explique pourquoi les PME françaises ont du mal à se développer.

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Jean-Pierre Letartre, président d'Ernst & Young en France. © Ernst & Young France

JDN. Les PME françaises sont-elles compétitives ?

Jean-Pierre Letartre. La question de la compétitivité prix est bien réelle en France. Il y a un déficit de compétitivité prix à cause des coûts. Le coût du travail français est le plus élevé d'Europe, c'est une réalité. En revanche, en matière de compétitivité hors prix, de nombreuses PME françaises sont des top performers en termes de valeur ajoutée et de qualité des produits. Mais on peut regretter qu'elles ne soient pas assez nombreuses à être dans cette quête d'innovation qui permet de gagner des marchés à l'étranger. Il n'y a pas assez d'entreprises de taille moyenne en France, c'est aussi pour cela qu'elles ont du mal à percer à l'international. Il y en a tout de même qui y arrivent. Par exemple, Mane, Ubisoft ou encore Bonduelle. Il y a des belles PME françaises qui ont grandi. Mais il n'y a pas assez de petites entreprises qui deviennent moyennes et pas assez de moyennes qui deviennent grandes. En France, il n'y a pas que l'ascenseur social qui est en panne : il y a aussi l'ascenseur économique.

"De plus en plus d'entreprises françaises utilisent des capitaux-développeurs étrangers pour financer leur croissance"

L'Allemagne constitue-t-elle un modèle pour les PME françaises ?

Je ne crois pas qu'il existe un modèle unique. Il y a beaucoup de choses à prendre à l'Allemagne mais il y a aussi d'autres pays dont on peut s'inspirer. Ce qui est intéressant dans le modèle allemand, c'est la stabilité de l'actionnariat, souvent familial, qui favorise une croissance sur le long terme. L'Allemagne a su créer de belles entreprises moyennes grâce à un système de financement favorable et à un système de transmission qui a permis d'inscrire dans la durée de belles sociétés familiales. Mais on peut également citer l'exemple d'Israël qui favorise et encourage l'innovation et d'où émergent chaque année un grand nombre de très prometteuses start-up.

Comment expliquez-vous que l'accès des PME au financement soit aussi compliqué alors que la France s'efforce de développer des aides pour soutenir l'innovation ?

S'il faut penser au financement dès le démarrage, il faut aussi penser à l'étape d'après : celle du saut de taille. Le crédit impôt recherche et le label Jeune entreprise innovante soutiennent l'innovation, mais lorsqu'il s'agit de changer de taille, les choses se compliquent. Les PME ont plusieurs possibilités : l'endettement, mais c'est souvent difficile, les fonds propres, encore faut-il en avoir, et la Bourse, mais ce n'est pas un outil facile à utiliser pour les petites entreprises. Celles qui arrivent à changer de taille y parviennent grâce aux capitaux-développeurs. Mais en France, ces derniers ne sont pas suffisamment nombreux et surtout, ils n'ont pas assez de moyens. C'est pourquoi de plus en plus d'entreprises françaises utilisent des capitaux-développeurs étrangers afin de financer leur croissance. C'est notamment le cas de Deezer qui est passée par des fonds russes pour lever 100 millions d'euros.

"La revitalisation des territoires est l'un des enjeux majeurs du développement économique de notre pays"

Les PME françaises sont-elles suffisamment innovantes ?

On a besoin d'encore plus d'innovation. Le crédit impôt recherche est un outil essentiel mais les connexions entre les entreprises et les laboratoires de recherche dans les universités sont très importantes elles-aussi. En la matière, des progrès ont été faits mais il reste encore beaucoup de travail. C'est l'écosystème dans son ensemble qui favorise le développement des entreprises. Les questions de fiscalité, de réglementation, de financement sont certes importantes, mais tout ce qui concourt à la création de nouveaux produits l'est tout autant. Dans cette logique, la connexion avec les territoires est primordiale. Là où il y a des échanges entre les centres de recherche, les universités et les cabinets de marketing, il y a de l'innovation. A Toulouse par exemple, le pôle aéronautique est très dynamique. Je suis un fervent partisan des pôles de compétitivité : ils rassemblent des financeurs et des chercheurs dans un même lieu et créent de l'émulation. Je suis convaincu que la revitalisation des territoires est l'un des enjeux majeurs du développement économique de notre pays. Je suis bien entendu favorable à l'exportation et au développement à l'international d'une entreprise, mais il faut qu'elle ait des racines et qu'elle soit ancrée dans un territoire. Au contraire, certaines régions sont désertées par les entreprises. Et dans ces zones arides, il est très difficile de recréer du développement. Les Allemands l'ont bien compris avec leurs länders : leurs entreprises ont un fort ancrage territorial et cela ne les empêche pas d'être des grandes entreprises internationales.

Jean-Pierre Letartre participera au forum Osons la France qui se déroulera le 5 avril 2013 à Paris. Son intervention portera sur l'innovation artisanale.