INTERVIEW 
 
Jaime Garcia
Analyste
IDC Spain
Jaime Garcia
"Tous les facteurs sont réunis pour une croissance soutenue en Espagne dans les prochaines années"
L'Espagne attire de plus en plus les investisseurs et les entrepeneurs du Web. E-commerce, haut débit, publicité, médias : tous les voyants sont au vert. Explications avec Jaime Garcia, spécialiste de la zone et analyste chez IDC.
(08/09/2006)
 
JDN. Beaucoup d'entreprises, françaises notamment (Meetic, PriceMinister, Ventes-privées, etc.) s'implantent ou vont s'implanter dans les prochaines semaines en Espagne. Comment expliquer ce phénomène ?
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Jaime Garcia. Le marché espagnol est en ce moment très dynamique. Il possède aussi un contexte très favorable. Historiquement, le nombre d'internautes en Espagne a été plus bas que dans le reste de l'Europe, mais la pénétration du haut débit a toujours été importante. Depuis quelques années déjà, la majorité des internautes espagnols se connecte en haut débit. Et l'on sait l'importance que cela a dans l'écosystème du Net. L'un des facteurs qui explique cela est, paradoxalement, la forte utilisation du peer-to-peer en Espagne, qui a nécessité des débits importants et a donc eu une conséquence positive et inattendue sur l'ensemble du marché.

La pénétration du haut débit est donc déjà à un niveau important ?
Oui, avec tout de même de fortes disparités, puisque son développement dépend beaucoup des politiques publiques, menées par les communautés autonomes. Il y a une sorte de compétition entre chacune d'elles, qui cherchent à obtenir les meilleurs équipements.

Où en est la concurrence sur le secteur des télécoms ?
Telefonica reste l'acteur dominant, sa part de marché n'a quasiment pas bougé ces dernières années. C'est aussi l'opérateur qui continue de tirer le marché, en sortant les offres les plus innovantes. Mais c'est aussi parce que c'est le seul acteur qui dispose de son propre réseau, au niveau national. Néanmoins, plusieurs opérateurs sont apparus récemment et dynamisent le marché. Le plus innovant est sans doute Jazztel qui, de par sa taille modeste, se doit d'être toujours plus créatif. On peut aussi citer France Télécom qui, en outre, grâce au rachat d'Amena, va pouvoir faire des choses intéressantes sur le marché du mobile et de la convergence.

Cette concurrence croissante a-t-elle un effet sur les prix ?
Oui. Auparavant, le coût de l'accès à Internet était relativement haut. Mais la concurrence a ramené les tarifs dans une fourchette raisonnable. Les télécommunications sont le seul secteur en Espagne sur lequel les prix ont baissé ces dernières années. La plupart des offres de triple play tournent autour de 50 euros et l'on peut même trouver une offre de Telefonica entre 35 et 37 euros comprenant la TV sur ADSL, les appels fixes illimités et l'accès à Internet haut débit. L'Espagne se situe désormais dans la moyenne basse des prix pratiqués en Europe.

L'accent est mis très clairement sur les bouquets de chaînes TV sur ADSL."
Quel succès remportent les offres triple play ?
Assurément, ce sont elles qui tirent le marché vers le haut. D'ailleurs, si l'on regarde en ce moment les publicités, on a l'impression que Telefonica ne vend plus que de la télévision. L'accent est mis très clairement sur les bouquets de chaînes, afin d'attirer un public nouveau. Et je pense que les contenus audiovisuels vont jouer un rôle clé dans l'avenir du secteur. En effet, la plupart des droits de retransmission des grands événements, comme le football ou les productions américaines, sont déjà contrôlés par les grands acteurs, comme Telefonica. Mais il existe encore des possibilités pour d'autres types de contenus et les opérateurs alternatifs ont tout intérêt à mettre l'accent sur ceux-ci, qui peuvent toucher un public très nombreux. Il y a là une brèche qui peut participer à une redistribution des cartes. Les contenus sont extrêmement importants, d'autant qu'il faut rappeler qu'ils ont des débouchés au niveau mondial, en Amérique latine, voire aux Etats-Unis.

Qu'en est-il du commerce en ligne ? Le fort taux de pénétration du haut débit a-t-il eu un effet sur son développement ? 
Le secteur avait déjà suscité d'immenses promesses. Dans les années 1999-2000, toutes les enseignes ouvraient des boutiques en ligne, la plupart en dupliquant le modèle américain. Les eBay ou Amazon ont également essayé de pénétrer le marché. Sans grand succès, puisqu'ils n'ont pas pris en compte les spécificités du marché et qu'il était sans doute trop tôt. Ces échecs ont paralysé le secteur durant quelques années mais aujourd'hui les choses changent (en 2005, le e-commerce espagnol a généré un chiffre d'affaires de 2,14 milliards d'euros, selon l'AECEM - ndlr). Certains acteurs offline, par exemple, qui sont entrés sur le Web de manière défensive, réalisent aujourd'hui un chiffre d'affaires très intéressant en ligne. C'est le cas, par exemple, d'El Corte Ingles. Et en effet, depuis un an et demi à peu près, nous voyons beaucoup d'entreprises étrangères s'implanter en Espagne, avec de solides ambitions.

Le voyage, secteur dominant du e-commerce"
Quels sont les secteurs les plus puissants à l'intérieur du e-commerce espagnol ?
Incontestablement celui du voyage. Les compagnies aériennes espagnoles ont été les précurseurs et le taux de vente en ligne d'Iberia ou de Spanair, par exemple, est très impressionnant. Les biens culturels se vendent également très bien, que ce soient les livres, la musique, ou encore le matériel électronique, les jeux vidéo. Enfin, l'un des secteurs les plus dynamiques est celui de la comparaison des prix. Les Espagnols utilisent énormément les outils de comparaison avant d'acheter. Kelkoo, par exemple, avait réalisé une entrée en fanfare sur le marché il y a quelques années, avant de rentrer dans le rang. Depuis peu, l'activité semble bien repartir.

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Et les secteurs qui restent à l'écart ?
Il faut d'abord distinguer les secteurs très faibles en termes de vente, mais qui génèrent tout de même des retombées intéressantes, du fait de la recherche d'information et des comparatifs qu'ils suscitent sur le Web. C'est le cas de l'automobile. Les internautes vont sur Internet pour regarder les modèles, comparer les prix. C'est aussi le cas de l'immobilier, qui, sans générer de ventes significatives, est tout de même l'un des secteurs les plus puissants sur le Net, avec des portails réalisant certaines des meilleures audiences du Web espagnol. Puis, dans les secteurs plus faibles sur Internet, on peut citer les vêtements, qui sont encore confrontés à la réticence d'acheter de tels produits sans les voir.

Quels sont les poids lourds du e-commerce espagnol ?
Beaucoup d'enseignes qui viennent du monde offline, comme El Corte Ingles ou Casa del Libro dans le domaine culturel, qui a un positionnement similaire à la Fnac, également très active en ligne en Espagne. On peut encore citer Iberia.

Le e-commerce possède-t-il encore une marge de progression importante en Espagne ?
Oui, nous ne sommes sans doute qu'au début du phénomène. Tous les facteurs sont réunis pour assister à une croissance soutenue dans les prochaines années. Notamment le fait que les Espagnols sont depuis longtemps habitués à l'argent virtuel. L'Espagne est l'un des pays où le taux de possession d'une carte de crédit est le plus élevé. Comme les craintes quant à la sécurité du paiement en ligne se dissipent peu à peu, il n'y a plus vraiment d'obstacle au développement du e-commerce.

Les campagnes online sont de plus en plus sophistiquées"
La publicité en ligne connaît, elle aussi, une forte croissance (l'IAB Espagne annonce pour 2005 un montant total de 162,4 millions de dollars, soit une croissance de 71,7 % en un an - ndlr). Comment définiriez-vous l'e-pub espagnole ?
Quantitativement, elle avait déjà connu un essor spectaculaire avant 2001, avant de subir la crise, qui était générale dans le milieu de la publicité espagnole et non propre au Web. Depuis 2004, la croissance repart, mais au-delà des chiffres, je dirais qu'elle se caractérise par sa qualité. Les campagnes en ligne sont de plus en plus sophistiquées. Il y a vraiment de quoi être optimiste pour les prochaines années. Le marketing viral est aussi très développé. Je prendrai un exemple très simple, qui a eu lieu il y a quelques mois, lors de l'arrivée de Skype en Espagne. Au même moment, Telefonica dépensait plusieurs millions d'euros pour promouvoir ses offres de triple play. Skype a choisi de communiquer avant tout par le bouche-à-oreille, ses investissements publicitaires devaient être proches de zéro. Au bout d'une semaine, Skype avait déjà plusieurs milliers d'utilisateurs et, après un mois, comptait plus d'abonnés que les offres de triple play lancées par Telefonica.

L'apparition de pure players dans les médias et l'explosion des blogs"
Les médias espagnols sont également souvent cités en exemple pour leur stratégie en ligne (lire l'interview du 16/11/2005). Qu'en est-il réellement ?
Ils sont en effet très actifs sur Internet et ont, dans l'ensemble, bien amorcé le virage de l'Internet. Les deux grands quotidiens, El Pais et El Mundo, ont d'ailleurs des stratégies très différentes : El Pais digital reste très proche de la version papier, quand El Mundo différencie au maximum ses deux éditions. Depuis un an environ, on assite également à une montée très forte des médias alternatifs, des pure players Internet ou des blogs, qui parviennent à faire écrire des personnalités très connues en Espagne. On peut citer Libertad Digital ou Estrella Digital.

Où en est l'administration en ligne ?
Elle progresse également, sous l'impulsion surtout des collectivités locales, communautés autonomes ou mairies. Les investissements publics sont très importants, notamment en Catalogne, dans le Pays Basque, à Madrid ou en Andalousie. Mais le territoire souffre de profondes inégalités et d'autres régions, comme l'Aragon, la Castilla Leon ou la Castilla La Mancha, sont plus faibles. L'un des défis importants du pays sera la réduction de la fracture numérique et le rattrapage des zones rurales.

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L'un des thèmes qui agite la France en ce moment est le Web 2.0. En est-il de même en Espagne ?
Oui, et comme il y autant de définitions du Web 2.0 qu'il y a de personnes, cela entraîne des débats sans fin ! Les écoles de commerce effectuent énormément de recherches sur le Web 2.0, les blogs connaissent une explosion sans précédent. Pour ma part, j'aime définir le Web 2.0 comme l'Internet des personnes, en opposition à l'Internet des entreprises. Je pense qu'il s'agit là du changement fondamental actuellement.
 
 
Propos recueillis par Nicolas RAULINE, JDN

PARCOURS
 
 
Jaime Garcia Cantero est Research Manager chez IDC Espagne. Il y est responsable du marché espagnol à l'intérieur du groupe d'investigation et d'analyse européenne. Il fait également partie du Groupe d'intérêt spécial Mobile d'IDC International.

Il a réalisé plusieurs travaux sur l'e-business et la nouvelle économie, notamment pour des entreprises comme Sun, IBM ou CA, et sur des thèmes comme les services Web, les portails, le sans fil ou les problématiques de sécurité.

Il est également professeur à la UAM (Universidad Autonoma de Madrid). Il contribue à plusieurs publications espagnoles spécialisées dans les nouvelles technologies et intervient régulièrement dans la presse économique espagnole.

Avant d'entrer chez IDC, il travaillait comme consultant stratégique chez MarchFirst (ex-Mitchell Madison Group), puis chez McKinsey and Co, dans le secteur de l'Internet et des télécommunications.

   
 
 
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