INTERVIEWS 
 
Ramzi Saidani
Consultant
Omsyc (Observatoire mondial des systèmes de communication)
Ramzi Saidani
"En France, il y a peu de chances de voir un full MVNO dans l'immédiat"
L'Observatoire mondial des systèmes de communication publie l'édition 2005 de son étude sur les opérateurs mobiles virtuels en Europe. L'année 2004 a vu la multiplication de ces acteurs, même si le rythme semble se ralentir. Pour Ramzi Saidani, consultant à l'Omsyc, la France est en retard mais sur la bonne voie.
(03/06/2005)
 
JDN. Il y a quelques semaines, dans un sondage réalisé sur le Journal du Net, près de la moitié des internautes avouaient ne pas savoir ce qu'est un MVNO. Pouvez-vous faire le point sur cette notion ?
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Dossier MVNO, au nom de la concurrence
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Omsyc.fr
Ramzi Saidani. Dit simplement, ce sont de nouveaux entrants sur le marché de la téléphonie mobile, qui ne possèdent pas l'ensemble des éléments d'infrastructure constituant le réseau. Ils louent ces éléments et achètent des minutes en gros aux opérateurs déjà existants. Leur domaine de compétence comprend la communication, le marketing, ils gèrent aussi la facturation, l'abonnement et la relation client. Les MVNO sont apparus en Scandinavie dès 1997 et dans plusieurs autres pays européens. A la même période, le concept s'est étendu en Asie, notamment à Hong-Kong. Depuis quelques années les MVNO se sont également beaucoup développés aux Etats-Unis.

Quelle différence entre MVNO, full-MVNO et les accords commerciaux passés notamment entre M6 et Orange ou entre Bouygues Telecom et Universal Mobile ?
Les frontières entre opérateurs et opérateurs virtuels sont de plus en plus compliquées, l'apparition d'autres acteurs ayant alimenté le flou. M6 ou Universal Mobile ne sont pas MVNO car ils ne possèdent ni l'abonnement, ni le réseau, ni la base clients. Au contraire des "full-MVNO", qui disposent des éléments de réseau. Derrière cela, apparaissent également des "service providers" pilotés directement par les opérateurs historiques, qui, au lieu d'accueillir un MVNO supplémentaire, préfèrent lancer une nouvelle marque, au positionnement différent, pour segmenter leur offre. C'est le cas notamment de Connect en Autriche, qui a lancé son service provider Yesss, ou de KPN en Allemagne qui a lancé Simyo.

Où en est le développement des MVNO en Europe ?
Les niveaux de développement sont très disparates. En Europe du Nord, le phénomène est déjà bien installé, surtout au Danemark, où ils représentent plus de 23 % du marché. La part de marché se situe autour des 15 % en Norvège et 13 % en Finlande. Suit de près le Royaume-Uni, où les MVNO sont un vrai succès commercial, avec une part de marché globale de plus de 10 % et des opérateurs comme Virgin, Tesco et BT qui fonctionnent bien. Les Pays-Bas connaissent également une montée en puissance des MVNO notamment avec Tele2 qui dispose de près de 4 % de part de marché. Puis vient un groupe de pays intermédiaires, comme la Belgique et la France, où plusieurs acteurs sont apparus et ont capté une part de marché limitée. Ensuite, plusieurs MVNO ont pu être créés ponctuellement, en Europe de l'Est notamment. Dans ce domaine, un vrai clivage est apparu entre l'Europe du Nord et l'Europe du Sud, où la situation est bloquée, en Grèce, en Italie et au Portugal.

Quels sont les facteurs de succès pour qu'un MVNO s'implante et réussisse dans un pays ?
D'abord un cadre juridique propice, même si certains pays ont pu s'en passer. Puis un potentiel de primo-accédants important, comme c'est le cas en France ou en Allemagne, où le taux de pénétration du mobile n'est pas au niveau du reste de l'Europe. Les MVNO peuvent aussi s'implanter dans des pays où il existe de fortes différences géographiques, sur des offres ciblées localement. Enfin, des marchés où les potentiels de certains segments n'ont pas encore été exploités : les entreprises, par exemple.

Les MVNO ont-ils une chance de déboucher sur de vrais opérateurs venant concurrencer les autres acteurs du marché ?
En France, il est peu probable que nous ayons affaire à des "full-MVNO", les opérateurs historiques n'étant pas vraiment favorables à ce genre d'accords. Mais ailleurs, on a déjà assisté à ce phénomène. En Finlande, par exemple, on peut considérer que Saunalahti est passé de service provider au statut de full-MVNO. Il pourrait même obtenir une licence dans les mois qui viennent pour le développement d'un réseau d'infrastructure. Il faut signaler enfin que certains des MVNO qui ont plutôt bien réussi à l'étranger se sont ensuite fait racheter par un opérateur plus important.

Quels sont les positionnements les plus porteurs pour un MVNO ?
Le low-cost est le modèle le plus prometteur"
Les low-cost sont ceux qui ont connu le développement le plus rapide et ils ont encore une belle carte à jouer. Ce modèle a été dupliqué partout, que ce soit au Royaume-Uni et aux Pays Bas avec Easy Mobile ou au Danemark avec CBB ou Telmore. En France, seul Debitel s'est positionné pour l'instant sur ce segment, avec des prix inférieurs de 20 à 30 % par rapport aux autres offres. Mais d'autres réfléchissent déjà à un tel positionnement. Cette politique tarifaire est possible grâce au "tout Web", des forfaits exclusivement vendus sur Internet, accompagnés parfois de la vente à distance des terminaux eux-mêmes ou de la gestion de la portabilité.

Quelle est l'influence de ces nouvelles politiques tarifaires sur l'ensemble du marché ?
Les MVNO permettent une baisse générale des prix et une meilleure segmentation de l'offre. Leur apparition a également des conséquences sur les opérateurs en place, qui doivent réagir et, souvent, internalisent ce positionnement, soit en refondant leurs offres tarifaires soit en créant une marque ex-nihilo positionnée low-cost.

Mis à part ces opérateurs low-cost, les MVNO se sont souvent positionnés sur des niches. Ce positionnement a-t-il un avenir ?
Oui, en particulier les marchés dits de l'ethnique. C'est un positionnement qui s'est beaucoup développé aux Etats-Unis et qui reprend le concept des cartes pré-payées sur le téléphone fixe, visant une destination particulière. Plusieurs MVNO ont misé sur les communautés en Europe. L'exemple le plus intéressant est Ay Yildiz, lancé par l'opérateur belge Base, qui vise ainsi la communauté turque de Belgique, avec des tarifs avantageux vers la Turquie mais aussi les pays où la communauté turque est nombreuse, comme l'Allemagne. Tout y est présenté en turc, de la messagerie au menu. Cet opérateur a réussi à toucher 20 à 25 % de la communauté turque de Belgique en l'espace de quelques mois. Ces initiatives sont promises à un bel avenir. Bientôt, on devrait voir apparaître des offres de ce genre en France, vers le Maghreb, voire vers les DOM-TOM. Debitel s'est déjà dit intéressé par ce positionnement.

Quelles sont les autres offres imaginables à l'avenir en termes de téléphonie mobile ?
Les banques et la grande distribution s'intéressent au secteur"
Un secteur s'intéresse de plus en plus au mobile : le monde bancaire. En Europe, on recense déjà trois exemples actifs : FSB, qui propose une offre co-brandée avec Vodafone, et Nordea en Suède, ainsi qu'une banque ukrainienne. Pour ces banques, il s'agit d'un moyen de fidéliser leurs clients, en leur offrant des services complémentaires, comme la gestion de leur compte à partir de leur combiné. Le monde de la grande distribution est un secteur très actif aussi sur le marché. L'exemple plus typique est Tesco au Royaume-Uni. Les acteurs de la distribution ont mis en place de nombreux MVNO, pas forcément directement mais par le biais de MVNE (Mobile Virtual Network Enabler), des facilitateurs qui proposent des offres en marque blanche que les MVNO peuvent ensuite reprendre et personnaliser. Les acteurs de la distribution développent également des offres co-brandées avec les opérateurs mobiles.

Comment analyser la prise de position de la Commission européenne, qui a rejeté le projet de régulation de l'Arcep visant à faciliter l'entrée de nouveaux acteurs sur le marché français ? (lire l'article du 01/06/2005)
La Commission ne souhaite pas encourager l'arrivée de MVNO car elle pense qu'ils sont en train de se développer naturellement. Mais là où elle juge que cela bloque, elle peut donner son aval, comme elle l'a fait en Irlande. Le reproche qui a été fait à l'Arcep est en partie semblable à celui qui avait été fait précédemment au régulateur finlandais. L'analyse de l'Arcep n'était pas forcément mauvaise, mais elle ne prenait pas en compte les évolutions les plus récentes.

La réglementation est-elle nécessaire pour accroître la concurrence sur ce marché ?
Parfois, la simple menace de la régulation suffit, ce qui a été le cas dans de nombreux pays en Europe. En France, on peut voir que la rivalité entre Orange et SFR anime le marché. Le mouvement est enclenché et devrait continuer d'alimenter la baisse des prix des communications et des SMS amorcée par les opérateurs hexagonaux.

Que penser des accords commerciaux passés entre les opérateurs et les MVNO, ceux-ci se plaignant de conditions trop défavorables ?
En général, tous les accords de MVNO en Europe s'appliquent selon la règle du "retail minus". On calcule le coût moyen d'une minute pour l'opérateur réseau, qui accorde une réduction de 20 à 30 % au MVNO qui veut acheter les minutes en gros. Il est vrai que, pour l'instant, il semble que les accords négociés en France se situent plutôt dans la fourchette basse et qu'ils ne soient pas si favorables aux MVNO. Mais si les opérateurs virtuels parviennent à capter une base clients non négligeable, ils pourraient se voir accorder de meilleures conditions. D'autant que les contrats signés en France l'ont été pour de longues durées, en général neuf ans. En Europe du Nord, les conditions sont plus transparentes, puisque les accords sont publics.

Dans l'immédiat, des opérateurs comme Tele2 ou Neuf Cegetel doivent donc revoir leurs ambitions à la baisse ?
A moyen terme, en effet, je vois mal comment Tele2 pourrait réussir à devenir full-MVNO. Mais l'avenir est à la convergence, la vraie. Comme au Royaume-Uni, avec BT, qui a présenté un combiné unique fixe-mobile, avec un seul numéro. Mais cela ne sera possible qu'avec des moyens plus importants et un réseau suffisant.

Quels sont les prochains mouvements à attendre sur le marché français ?
Free pourrait avoir besoin d'une offre mobile, mais plutôt sur un modèle light, comme Tele2. Easy Telecom s'est dit intéressé par le marché français mais s'est, pour l'instant, heurté à un mur.

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Comment voyez-vous la situation des MVNO dans trois ans ?
Dans l'étude 2005 que nous publions, nous évaluons la part de marché des MVNO à 10 % dans l'ensemble de l'Europe fin 2007, début 2008. Et ce chiffre a été revu légèrement à la baisse, compte tenu des récentes évolutions dans certains pays européens.
 
 
Propos recueillis par Nicolas RAULINE, JDN

PARCOURS
 
 
Ramzi Saidani, 30 ans, économiste de formation, est consultant senior à Tera Consultant et à l'Omsyc (Observatoire Mondial des Systèmes de Communication) pour lequel il a produit une étude multi-client consacrée aux MVNO en Europe, en 2003 et 2004. L'édition 2005 sort ces jours-ci.

   
 
 
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