Juridique
Flux transfrontaliers de données personnelles : l'invitation au voyage
 (Mardi 5 août 2003)
         

La centralisation de bases de données locales, le partage intra-groupe d'outils informatiques et de services techniques, le recours à des prestataires externes situés hors du territoire, la location ou la cession de fichiers commerciaux à l'étranger, représentent une variété de situations qui ont toutes en commun la même problématique : le transfert de données personnelles hors du territoire.

Dans ce domaine, le principe juridique est clair. Il est issu de l'article 24 de la loi du 6 janvier 1978 et de l'article 25 de la Directive européenne 95/46/CE du 24 octobre 1995. Ainsi, la Directive européenne, tout en reconnaissant l'importance de ces flux au regard du développement du commerce international, prévoit qu'ils sont possibles uniquement si le pays destinataire tiers à l'Union assure un niveau de protection adéquat.

Ce niveau de protection adéquat est analysé en prenant en compte les caractéristiques du traitement de données personnelles concerné (la nature des données, la finalité et la durée du traitement envisagé, les règles de sécurité, etc.). Les Etats membres sont d'ailleurs obligés d'empêcher tout transfert vers un pays tiers n'assurant pas un niveau de protection adéquat.

L'objectif est de préserver les droits et libertés fondamentaux des personnes, dont le respect de la vie privée, en évitant des flux non contrôlés de données, facilités par l'informatisation et les réseaux, soit en d'autres termes, la constitution de "Paradis de données". La question est donc la suivante : quelles sont les possibilités offertes pour que ces flux puissent être assurés et ce, en conformité avec le système juridique mis en place ?

Le principe de la "sphère de sécurité"
En premier lieu, la Commission européenne peut constater qu'un pays tiers assure un niveau de protection adéquat. Elle rend alors une décision en ce sens et les Etats membres doivent s'y conformer. Ainsi, les heureux élus sont à ce jour, la Hongrie, la Suisse, le Canada, les Etats-Unis ("Safe Harbour") et dernièrement l'Argentine. Il convient en pratique de se référer aux décisions rendues pour le pays concerné afin de vérifier que le traitement n'est pas exclu du champ d'application de ladite décision.

On rappellera brièvement que le principe de la " Sphère de sécurité " ou "Safe Harbour" fut le fruit d'une longue et tumultueuse négociation entre la Commission européenne et le Ministère du Commerce américain, le principe in fine retenu étant celui de l'adhésion volontaire des entreprises américaines au respect d'un corps de principes protecteurs. Soulignons à toutes fins utiles qu'il n'existe pas de difficultés particulières s'agissant du Liechtenstein, de l'Islande et de la Norvège, membres de l'EEE.

Les dérogations possibles
En second lieu, la Directive prévoit dans son article 26 une série de dérogations au principe de protection adéquate, tels que le consentement de la personne, la poursuite d'intérêts légitimes (intérêt public important, intérêt vital de la personne), l'exécution d'un contrat ou de mesures pré-contractuelles.

Par ailleurs, toujours au titre de ces dérogations, la Commission peut établir des clauses contractuelles types qui devront être intégrées par les Etats membres. A ce jour, deux décisions ont été rendues en ce sens (15 juin et 27 décembre 2001). La première régit les relations de l'exportateur et du (ou des) importateur(s) de données, tous deux responsables de traitement, vers des pays tiers n'assurant pas un niveau de protection adéquat. La seconde concerne les flux entre un responsable de traitement exportateur de données et un importateur de données sous-traitant.

Enfin, un Etat membre peut autoriser un transfert lorsque le responsable du traitement offre des garanties suffisantes au regard du traitement considéré. L'Etat membre doit informer la Commission et les quatorze autres Etats membres des autorisations ainsi accordées (c'est le système de l'autorisation). Ces derniers peuvent émettre leurs observations et exprimer leur opposition. Les garanties offertes par l'entreprise peuvent notamment prendre la forme de clauses contractuelles appropriées ou bien encore de code de bonne conduite.

Le groupe de travail "Article 29" (organe consultatif européen indépendant travaillant sur ces sujets) a rendu tout récemment un document de travail sur les règles contraignantes d'entreprises pour répondre aux multinationales qui souhaitent se doter d'une politique vraiment globale en matière de protection de la vie privée sous la forme de codes de bonne conduite.

La mise en pratique
Ces solutions étant exposées, quelle est la réalité du terrain ? La réalité est beaucoup moins lisse. Ne soyons pas pessimistes et imaginons que votre destination soit l'un des pays exotiques reconnus comme assurant un niveau de protection adéquat. Vous n'avez alors aucun souci à vous faire, sauf à vérifier tout de même la teneur de la décision rendue par la Commission. Pour les Etats-Unis, c'est un peu plus complexe puisque tous les secteurs ne sont pas concernés par le Safe Harbour et surtout de nombreuses sociétés américaines se refusent à adopter ce système (et n'ont donc pas adhéré).

Si le pays de destination n'est pas visé ou le système du Safe Harbour tout simplement impensable, qu'à cela ne tienne, vous allez mettre en avant le système des exceptions. Attention aux déceptions. Ces exceptions sont peu nombreuses et d'interprétation stricte. Elles se heurtent à des incompatibilités de taille. A titre d'exemple, le système du consentement pour un salarié semble exclu dès lors que ce dernier, en situation de subordination vis à vis de son employeur, ne peut donner un consentement libre et éclairé au transfert de ses données. La Commission Nationale de l'Informatique et des Libertés (CNIL) pourrait prendre officiellement position en ce sens.

Des clauses inintelligibles
Il reste encore les clauses contractuelles types de la Commission (en a parte, quid si l'entité française n'a pas la personnalité morale, une succursale par exemple ?). Même si elles ont le mérite d'exister et d'être reconnues par toutes les autorités locales, force est de constater qu'elles sont inintelligibles et que certaines clauses, notamment celle en matière de responsabilité solidaire ou celle du tiers bénéficiaire (sorte de stipulation pour autrui au profit de la personne dont les données personnelles font l'objet du traitement), sont très mal perçues. De plus, certains considèrent qu'il s'agit ici d'une véritable abnégation de la liberté contractuelle puisqu'elles n'offrent aucune marge de manœuvres (autre que des ajouts compatibles) et constituent de facto un minima à signer.

Pourquoi alors ne pas faire un contrat sur mesure ou mettre en place un code de bonne conduite au sein du groupe ? Oui, c'est possible mais il ne faut pas être pressé. Dans les deux cas, c'est un véritable parcours du combattant pour l'entreprise concernée. Elle doit déjà faire face au circuit interne de validation (définition du projet et mise en conformité, rédaction des clauses ou du code, négociation, signature) puis dans un second temps s'attaquer au circuit administratif des autorités locales pour espérer obtenir l'autorisation. Tout un programme…

Cette complexité pratique nuit à l'objectif poursuivi, alors même que les flux internationaux de données ne sont pas totalement étrangers à l'augmentation croissante des saisines de la CNIL. Il semble qu'un peu de simplicité et de flexibilité dans les solutions offertes concourrait à plus de réalisme. Cette prise de conscience semble déjà d'actualité puisque la CNIL compte rédiger des clauses contractuelles types plus "lisibles" sur la base de celles existantes.

[marie-laure.laffaire@fr.eylaw.com]

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[Rédaction, JDNet]
 
 
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