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par
Thibault Verbiest
Avocat aux Barreaux
de Paris et de Bruxelles,
chargé d'enseignement
à l'Université Paris I (Sorbonne)
Cabinet
Ulys
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A
l'heure où les Etats-Unis décident d'interdire le commerce
électronique d'alcool, quel est le cadre juridique français
applicable à la publicité de produits alcooliques sur
l'Internet ? La question est d'importance car les sites
français foisonnent dans ce domaine.
L'article L. 3323-2 du Code
de la santé énonce que la propagande ou la publicité,
directe ou indirecte, en faveur des boissons alcooliques
dont la fabrication et la vente ne sont pas interdites,
sont autorisées sur certains supports limitativement
énumérés, à savoir notamment :
- 1° Dans la presse écrite;
- 2° Par voie de radiodiffusion sonore;
- 3° Sous forme d'affiches et d'enseignes ; sous forme
d'affichettes et d'objets à l'intérieur des lieux de
vente à caractère spécialisé;
- 4° Sous forme d'envoi par les producteurs, les fabricants,
les importateurs, les négociants, les concessionnaires
ou les entrepositaires, de messages, de circulaires
commerciales, de catalogues et de brochures, dès lors
que ces documents ne comportent que les mentions prévues
à l'article L. 3323-4 et les conditions de vente des
produits qu'ils proposent ;
Une
publicité pour l'alcool diffusée par l'Internet pourrait-elle
être concernée par l'une ou l'autre de ces hypothèses
?.
La
presse écrite
Il
est souvent affirmé que, dans la mesure où l'Internet
n'est pas expressément visé par l'article L. 3323-2,
toute publicité diffusée par son intermédiaire serait
interdite. Cette thèse nous paraît trop radicale. En
effet, la question essentielle à se poser est celle
de la qualification juridique du support Internet au
regard de la notion de presse écrite (la presse audiovisuelle
étant exclue de l'énumération de l'article L. 3323-2)
. La question a déjà été abondamment débattue, mais
la jurisprudence n'est pas encore fixée. Une seule certitude
en la matière : la législation sur les délits de presse,
qui vise tant la presse écrite que la presse audiovisuelle,
est applicable à l'Internet.
Quant
à savoir si l'Internet doit être qualifié de presse
écrite ou de presse audiovisuelle, les avis sont partagés.
Une partie de la doctrine plaide pour l'assimilation
à la presse audiovisuelle, et peut se prévaloir de la
loi n°2000-719 du 1er août 2000 modifiant la loi n°86-1067
du 30 septembre 1986, qui distingue la correspondance
privée des services de communication audiovisuelle,
lesquelles comprennent, d'une part, les "services de
radiodiffusion sonore et de télévision", et, d'autre
part, les "services de communication en ligne".
Nous
ne sommes pas convaincus par cet argument. En effet,
le "classement" opéré par le législateur est maladroit
et ne reflète pas la réalité juridique, dans la mesure
où les services de communication audiovisuelle et les
services de communication en ligne sont soumis à des
régimes juridiques en grande partie différents. En réalité,
il nous semble que la détermination du régime applicable
devrait être fonction de la nature du contenu en cause.
Ainsi, un article d'un journal en ligne devrait être
assimilée à la presse écrite. Telle fut d'ailleurs la
conclusion du tribunal d'instance du 11e arrondissement
de Paris dans un jugement du 3 août 1999, qui a considéré
que le contenu d'un site Web à vocation informationnelle
était assimilable à une publication de presse au sens
de l'article 1er de la loi du 1er avril 1986 qui définit
la publication de presse comme étant "tout service utilisant
un mode écrit de diffusion de la pensée mis à la disposition
du public en général ou de catégories de public et paraissant
à intervalles réguliers".
Certes,
certains textes prévus pour l'un ou l'autre support
ne s'appliqueront pas toujours facilement à un environnement
virtuel (le droit de réponse par exemple), mais le principe
nous semble devoir s'imposer à l'avenir, au risque de
créer des discriminations injustifiables.
Par
conséquent, nous plaidons pour l'assimilation à la notion
de presse écrite, visée à l'article L. 3323-2 du Code
de la santé, de tout contenu publicitaire sur l'Internet
qui en revêt les caractéristiques. Ainsi, une publicité
pour de l'alcool dans un journal en ligne devrait être
admise au même titre qu'une publicité identique dans
un journal papier, tandis qu'une publicité en faveur
d'une boisson alcoolisée dans un clip vidéo téléchargeable
sera interdite.
Bien
entendu, la publicité, si elle est admise dans son principe,
devra être conforme aux prescriptions du Code de la
santé quant à son contenu (notamment : comporter un
conseil de modération et "ne comporter aucune incitation
dirigée vers les mineurs, ni évoquer d'aucune façon
la sexualité, le sport, le travail, les machines et
véhicules à moteur").
Affichettes
à l'intérieur des lieux de vente à caractère spécialisé
Il convient de s'interroger
sur la légalité au regard du Code de la santé de la
publicité par "affichettes" à l'intérieur de sites Web
vendant des boissons alcooliques. Le Code de la santé
exclut toute vente "automatisée" de boissons alcooliques
ainsi qu'il ressort de l'article L.3322-8 : "La délivrance
de boissons alcooliques au moyen de distributeurs automatiques
est interdite". Il nous semble dès lors difficile de
soutenir que le vente par voie électronique puisse être
admise, même au prix d'une interprétation très extensive
des textes.
Publicités
dans des messages, circulaires commerciales, catalogues
et brochures
Certains juristes hésitent à
assimiler les courriels à des "messages, circulaires
commerciales, catalogues ou brochures", au motif que
le législateur aurait entendu viser le support papier.
Il est souvent tiré argument
des travaux parlementaires pour plaider en faveur d'une
telle assimilation. En effet, ainsi que le relève le
Conseil d'Etat dans son rapport "Internet et les réseaux
numériques", "il ressort de l'examen des travaux parlementaires
que le législateur souhaitait inclure dans [la] liste
les messages adressés par Minitel ou par téléphone.
Est-il dès lors possible d'assimiler Internet au Minitel
et de considérer que l'interdiction de la publicité
en faveur de l'alcool, qui pour l'essentiel concerne
la télévision, ne vaut pas pour les services en ligne
?". Selon nous, au lendemain de la consécration législative
de l'écrit électronique en droit français, la réponse
doit être affirmative.
[thibault.verbiest@ulys.net]
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