JURIDIQUE 
PAR OLIVIER ITEANU
Usurpation d'identité : la loi ou la technique pour se protéger ?
Dans le monde virtuel, les attributs de la personnalité ne sont attribués par aucune autorité publique. C'est là que les ennuis commencent...  (09/03/2004)
 
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Dans le monde réel, les attributs de la personnalité, et notamment le nom patronymique, sont attribués soit de manière autoritaire (jusqu'à présent par la seule filiation paternelle) soit sous le contrôle étroit des autorités publiques, en tout état de cause selon des critères légaux prédéfinis. Nul ne peut s'attribuer à lui-même une identité complète reconnue des autorités publiques.

Dans le monde virtuel, les attributs de la personnalité ne sont attribués par aucune autorité publique. La seule identification effective sur Internet est l'adresse de chaque machine connectée au réseau, dite adresse IP (Internet Protocol), constituée d'une suite de chiffres séparés de points. Pour l'individu, il a l'obligation pour exister de se créer une identité numérique au travers d'une adresse dite électronique et caractérisée par le signe @ (dit arobase).

La Commission Nationale de l'Informatique et des Libertés a analysé et qualifié l'adresse électronique de donnée à caractère personnel identifiant de manière effective des individus personnes physiques. Dès lors, il est possible, et peut être tentant, de se créer à cette occasion un nouvel voire de nouveaux identifiants.

Ces nouveaux identifiants se trouvent à mi-chemin entre l'identité réelle et le " nom de fantaisie, librement choisi par une personne physique dans l'exercice d'une activité particulière (…) afin de dissimuler au public son nom véritable. " (CORNU G. " Vocabulaire Juridique ", PUF 1994), c'est à dire le pseudonyme. Placé entre l'anonymat et le pseudonyme, ces identifiants sont le pseudonymat. Les internautes recourent régulièrement au pseudonymat. Certains, même, recourent à un nombre important d'identifiants numériques qui constituent autant d'identités.

Aucune limitation technique ni juridique n'existe à cet égard et il se crée parfois même autant de personnalités qu'il y a d'identifiants. Les psychanalystes auraient ici probablement beaucoup à dire à cette débauche d'identités diverses que se créent certains internautes.

Il existe même sur les réseaux des incitations à recourir au pseudonymat. Du fait de la marchandisation de la vie privée, les adresses électroniques acquièrent une valeur marchande. Le recours au pseudonymat et même la divulgation de faux attributs est devenu le moyen de défense des internautes. Lorsqu'un service marchand sur le réseau vient solliciter la collecte d'informations par le biais d'un formulaire, il est recommandé de ne pas donner sa véritable identité pour ne pas avoir à subir par la suite le harcèlement des publicités non désirées quel que soit le support.

Non seulement l'usage d'un pseudonyme n'est pas interdit par la loi mais, s'agissant d'Internet, cet usage est déjà reconnu et admis par la législation française. Le décret sur la signature électronique du 30 mars 2001(Décret 2001 - 272 du 30 Mars 2001 pris pour l'application de l'article 1316-4 du code civil et relatif à la signature électronique) dispose en son article 5-f) que " lorsqu'il est fait usage d'un pseudonyme, son utilisation doit être clairement portée à la connaissance du vérificateur. " L'article 6 du même Décret ajoute que le certificat doit porter mention du " nom du signataire ou un pseudonyme, celui-ci devant alors être identifié comme tel. "

 
"Les motivations des usurpateurs sont multiples"
 

L'usurpation d'identité est à portée de mains. S'il s'agit de créer de nouveaux identifiants, pourquoi ne pas s'approprier ceux des autres ?

Les motivations des usurpateurs sont multiples. Il peut s'agir d'un simple canular, de s'identifier à sa star préférée, de prendre la parole de manière anonyme dans un forum de discussion, d'approcher l'être cher sous couvert d'anonymat ou plus simplement de conserver un anonymat prudent. Il peut servir à soutirer de l'information : la technique consiste alors à se faire passer pour une autorité et obtenir toutes sortes d'informations sur une personne dénommée. Mais, il peut aussi s'agir de commettre des forfaits, d'accéder à des systèmes sans y être autorisés, d'user d'une fausse carte bancaire sous un faux nom, etc. L'usurpation d'identité vient alors aider à la constitution d'une infraction.

L'usurpation d'identité n'est pas un délit pénal en elle même, sauf dans des cas très particuliers comme le fait d'utiliser une fausse identité dans un acte authentique ou un document administratif destiné à l'autorité publique (Article 433-19 du Code Pénal) ou prendre un faux nom pour se faire délivrer un extrait de casier judiciaire (Article 433-19 du Code Pénal Article 781 du Code Pénal).

L'usurpation d'identité devient un délit pénal dès l'instant où " le fait de prendre le nom d'un tiers, [a été opéré] dans des circonstances qui ont déterminé ou auraient pu déterminer contre celui-ci des poursuites pénales " (article 434-23 du Code Pénal). Dans ce cas, elle est punie de 5 ans d'emprisonnement et de 75.000 euros d'amende. La condition, pour que le délit soit constitué, tient à ce que ait été pris " le nom d'un tiers ". A ce jour, il n'existe pas de jurisprudence qui puisse affirmer que " prendre " une adresse IP ou une adresse email soit assimilable au " nom " de l'article 434-23.

Le droit pénal est d'interprétation stricte : aussi, nous pensons que les juges pourraient refuser cette assimilation. Cependant, au delà de la seule adresse IP ou email, les envois du délinquant peuvent faire figurer une signature dans laquelle le nom sera cité. Dès lors, le délit pourra plus sûrement être appliqué.

Si l'usurpation d'identité vient au soutien d'une infraction de droit commun, elle caractérisera souvent le délit lui même. Par exemple, lorsque la motivation est financière, le délit d'escroquerie sera souvent constitué. Aux termes de l'article 313-1 du Code Pénal " le fait (…) par l'usage d'un faux nom ou d'une fausse qualité (…) de tromper une personne physique ou morale et de la déterminer ainsi, à son préjudice ou au préjudice d'un tiers, à remettre des fonds, des valeurs ou un bien quelconque, à fournir un service ou à consentir un acte opérant obligation ou décharge " constitue le délit d'escroquerie puni des peines maximales de cinq ans d'emprisonnement et de 375.000 euros d'amende. On pourrait aussi retenir dans certains cas le délit de faux de l'article 441-1 du Code Pénal. Selon ce texte " Constitue un faux toute altération frauduleuse de la vérité, de nature à causer un préjudice et accomplie par quelque moyen que ce soit, dans un écrit ou tout autre support d'expression de la pensée qui a pour objet ou qui peut avoir pour effet d'établir la preuve d'un droit ou d'un fait ayant des conséquences juridiques. ". Le délit est puni de 3 ans d'emprisonnement et de 45.000 euros d'amende.

Lorsque l'usurpateur prendra la parole en public (forum, chat, liste de discussion etc. …) au nom de l'usurpé, ce sera souvent pour le discréditer. On pourra alors recourir à l'arsenal pénal relatif à la diffamation publique visée à l'article 29 de la Loi sur la presse du 29 Juillet 1881 et le fait d'avoir usurpé l'identité de la victime viendra caractériser le délit, le caractère intentionnel de celui-ci étant par là démontré.

Si aucune infraction pénale ne vient sanctionner spécifiquement l'usurpation d'identité, qu'en est il de la responsabilité civile ? Deux voies semblent possibles. La responsabilité civile de droit commun édictée par l'article 1382 du Code Civil. Elle exige comme toujours la commission d'une faute, un préjudice subi par la victime et un lien de causalité entre cette faute et ce préjudice. Par exemple, si au moyen de l'identité usurpée, le fautif révèle des pans de vie privé de l'usurpé, le recours à l'application combinée des articles 9 et 1382 du Code Civil sera possible. Egalement, si le nom patronymique de la victime a été reproduit dans un nom de domaine, là encore, ce cas dit de cybersquatting pourra être sanctionné civilement.

Cependant, l'usurpation d'identité peut exister sans faute. Dans ce cas, un courant doctrinal relève que le nom serait l'objet d'un droit de propriété au sens de l'article 544 du Code Civil. Sa simple atteinte, même sans faute, suffirait alors à fonder une action en justice. C'est ce qu'a reconnu une très ancienne jurisprudence qui relève que " le demandeur doit être protégé contre toute usurpation de son nom même s'il n'a subi de ce fait aucun préjudice." (TGI Marseille, 9 Février 1965, D. 1965 270)

Les conditions de poursuite et de sanctions de l'usurpation d'identité sont en France à ce jour assez incertaines et très peu de jurisprudence existe sur ce thème.

 
"La signature électronique paraît envisageable pour certains actes de la vie sociale"
 

Dès lors que le droit semble hésitant, le recours à la technique n'est il pas aujourd'hui la meilleure réponse pour prévenir l'usurpation d'identité ?

La signature électronique (Article 1316-4 du Code Civil) pourrait être la réponse adéquate puisqu'elle se fixe comme l'un de ses objectifs de garantir l'authenticité de l'identité de celui qui contracte.

Cependant, la signature électronique paraît envisageable pour certains actes de la vie sociale, tels que les achats en ligne, les déclarations, mais elle ne couvre pas tout le spectre des faits et gestes possibles en ligne. Une autre technique pourrait également être d'une grande utilité, la biométrie. Dans ce dernier cas cependant, les travaux sont bien moins avancés et les techniques sont très peu diffusées. En outre, si la signature électronique peut être révoquée à tout moment, par exemple dans le cas où un tiers s'est illicitement approprié celle-ci, la révocation semble difficile pour la biométrie.

En effet, si un tiers s'approprie une identité biométrique du type des empreintes digitales ou une identité visuelle. Il peut ainsi au moyen de ces identités biométriques passer tout type d'actes au nom de la victime. Comment la victime pourrait elle alors révoquer sa propre empreinte digitale ou identité visuelle ? Les experts en sécurité que nous avons interrogés sont partagés. Tous y reconnaissent cependant là une difficulté au passif de cette protection technique.

En conclusion, face à l'usurpation d'identité dans le monde virtuelle, les victimes font face à une situation juridique incertaine, à des réponses techniques balbutiantes. L'usurpation identité semble avoir de beaux jours devant elle : n'est on pas dans ces conditions condamné à vivre avec l'incertitude de l'identité de l'autre ?

 
 

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