Dans le monde réel, les attributs de la personnalité,
et notamment le nom patronymique, sont attribués
soit de manière autoritaire (jusqu'à présent par
la seule filiation paternelle) soit sous le contrôle
étroit des autorités publiques, en tout état de
cause selon des critères légaux prédéfinis. Nul
ne peut s'attribuer à lui-même une identité complète
reconnue des autorités publiques.
Dans le monde virtuel, les attributs de la personnalité
ne sont attribués par aucune autorité publique.
La seule identification effective sur Internet
est l'adresse de chaque machine connectée au réseau,
dite adresse IP (Internet Protocol), constituée
d'une suite de chiffres séparés de points. Pour
l'individu, il a l'obligation pour exister de
se créer une identité numérique au travers d'une
adresse dite électronique et caractérisée par
le signe @ (dit arobase).
La Commission Nationale de l'Informatique et
des Libertés a analysé et qualifié l'adresse électronique
de donnée à caractère personnel identifiant de
manière effective des individus personnes physiques.
Dès lors, il est possible, et peut être tentant,
de se créer à cette occasion un nouvel voire de
nouveaux identifiants.
Ces nouveaux identifiants se trouvent à mi-chemin
entre l'identité réelle et le " nom de fantaisie,
librement choisi par une personne physique dans
l'exercice d'une activité particulière (
) afin
de dissimuler au public son nom véritable. " (CORNU
G. " Vocabulaire Juridique ", PUF 1994), c'est
à dire le pseudonyme. Placé entre l'anonymat et
le pseudonyme, ces identifiants sont le pseudonymat.
Les internautes recourent régulièrement au pseudonymat.
Certains, même, recourent à un nombre important
d'identifiants numériques qui constituent autant
d'identités.
Aucune limitation technique ni juridique n'existe
à cet égard et il se crée parfois même autant
de personnalités qu'il y a d'identifiants. Les
psychanalystes auraient ici probablement beaucoup
à dire à cette débauche d'identités diverses que
se créent certains internautes.
Il existe même sur les réseaux des incitations
à recourir au pseudonymat. Du fait de la marchandisation
de la vie privée, les adresses électroniques acquièrent
une valeur marchande. Le recours au pseudonymat
et même la divulgation de faux attributs est devenu
le moyen de défense des internautes. Lorsqu'un
service marchand sur le réseau vient solliciter
la collecte d'informations par le biais d'un formulaire,
il est recommandé de ne pas donner sa véritable
identité pour ne pas avoir à subir par la suite
le harcèlement des publicités non désirées quel
que soit le support.
Non seulement l'usage d'un pseudonyme n'est pas
interdit par la loi mais, s'agissant d'Internet,
cet usage est déjà reconnu et admis par la législation
française. Le décret sur la signature électronique
du 30 mars 2001(Décret 2001 - 272 du 30 Mars
2001 pris pour l'application de l'article 1316-4
du code civil et relatif à la signature électronique)
dispose en son article 5-f) que " lorsqu'il est
fait usage d'un pseudonyme, son utilisation doit
être clairement portée à la connaissance du vérificateur.
" L'article 6 du même Décret ajoute que le certificat
doit porter mention du " nom du signataire ou
un pseudonyme, celui-ci devant alors être identifié
comme tel. "
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"Les
motivations des usurpateurs sont multiples"
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L'usurpation d'identité est à portée
de mains. S'il s'agit de créer de nouveaux identifiants,
pourquoi ne pas s'approprier ceux des autres ?
Les motivations des usurpateurs sont multiples.
Il peut s'agir d'un simple canular, de s'identifier
à sa star préférée, de prendre la parole de manière
anonyme dans un forum de discussion, d'approcher
l'être cher sous couvert d'anonymat ou plus simplement
de conserver un anonymat prudent. Il peut servir
à soutirer de l'information : la technique consiste
alors à se faire passer pour une autorité et obtenir
toutes sortes d'informations sur une personne
dénommée. Mais, il peut aussi s'agir de commettre
des forfaits, d'accéder à des systèmes sans y
être autorisés, d'user d'une fausse carte bancaire
sous un faux nom, etc. L'usurpation d'identité
vient alors aider à la constitution d'une infraction.
L'usurpation d'identité n'est pas un délit pénal
en elle même, sauf dans des cas très particuliers
comme le fait d'utiliser une fausse identité dans
un acte authentique ou un document administratif
destiné à l'autorité publique (Article 433-19
du Code Pénal) ou prendre un faux nom pour
se faire délivrer un extrait de casier judiciaire
(Article 433-19 du Code Pénal Article 781 du
Code Pénal).
L'usurpation d'identité devient un délit pénal
dès l'instant où " le fait de prendre le nom d'un
tiers, [a été opéré] dans des circonstances qui
ont déterminé ou auraient pu déterminer contre
celui-ci des poursuites pénales " (article 434-23
du Code Pénal). Dans ce cas, elle est punie de
5 ans d'emprisonnement et de 75.000 euros d'amende.
La condition, pour que le délit soit constitué,
tient à ce que ait été pris " le nom d'un tiers
". A ce jour, il n'existe pas de jurisprudence
qui puisse affirmer que " prendre " une adresse
IP ou une adresse email soit assimilable au "
nom " de l'article 434-23.
Le droit pénal est d'interprétation stricte :
aussi, nous pensons que les juges pourraient refuser
cette assimilation. Cependant, au delà de la seule
adresse IP ou email, les envois du délinquant
peuvent faire figurer une signature dans laquelle
le nom sera cité. Dès lors, le délit pourra plus
sûrement être appliqué.
Si l'usurpation d'identité vient au soutien d'une
infraction de droit commun, elle caractérisera
souvent le délit lui même. Par exemple, lorsque
la motivation est financière, le délit d'escroquerie
sera souvent constitué. Aux termes de l'article
313-1 du Code Pénal " le fait (
) par l'usage
d'un faux nom ou d'une fausse qualité (
) de tromper
une personne physique ou morale et de la déterminer
ainsi, à son préjudice ou au préjudice d'un tiers,
à remettre des fonds, des valeurs ou un bien quelconque,
à fournir un service ou à consentir un acte opérant
obligation ou décharge " constitue le délit d'escroquerie
puni des peines maximales de cinq ans d'emprisonnement
et de 375.000 euros d'amende. On pourrait aussi
retenir dans certains cas le délit de faux de
l'article 441-1 du Code Pénal. Selon ce texte
" Constitue un faux toute altération frauduleuse
de la vérité, de nature à causer un préjudice
et accomplie par quelque moyen que ce soit, dans
un écrit ou tout autre support d'expression de
la pensée qui a pour objet ou qui peut avoir pour
effet d'établir la preuve d'un droit ou d'un fait
ayant des conséquences juridiques. ". Le délit
est puni de 3 ans d'emprisonnement et de 45.000
euros d'amende.
Lorsque l'usurpateur prendra la parole en public
(forum, chat, liste de discussion etc.
) au nom
de l'usurpé, ce sera souvent pour le discréditer.
On pourra alors recourir à l'arsenal pénal relatif
à la diffamation publique visée à l'article 29
de la Loi sur la presse du 29 Juillet 1881 et
le fait d'avoir usurpé l'identité de la victime
viendra caractériser le délit, le caractère intentionnel
de celui-ci étant par là démontré.
Si aucune infraction pénale ne vient sanctionner
spécifiquement l'usurpation d'identité, qu'en
est il de la responsabilité civile ? Deux voies
semblent possibles. La responsabilité civile de
droit commun édictée par l'article 1382 du Code
Civil. Elle exige comme toujours la commission
d'une faute, un préjudice subi par la victime
et un lien de causalité entre cette faute et ce
préjudice. Par exemple, si au moyen de l'identité
usurpée, le fautif révèle des pans de vie privé
de l'usurpé, le recours à l'application combinée
des articles 9 et 1382 du Code Civil sera possible.
Egalement, si le nom patronymique de la victime
a été reproduit dans un nom de domaine, là encore,
ce cas dit de cybersquatting pourra être sanctionné
civilement.
Cependant, l'usurpation d'identité peut exister
sans faute. Dans ce cas, un courant doctrinal
relève que le nom serait l'objet d'un droit de
propriété au sens de l'article 544 du Code Civil.
Sa simple atteinte, même sans faute, suffirait
alors à fonder une action en justice. C'est ce
qu'a reconnu une très ancienne jurisprudence qui
relève que " le demandeur doit être protégé contre
toute usurpation de son nom même s'il n'a subi
de ce fait aucun préjudice." (TGI Marseille,
9 Février 1965, D. 1965 270)
Les conditions de poursuite et de sanctions de
l'usurpation d'identité sont en France à ce jour
assez incertaines et très peu de jurisprudence
existe sur ce thème.
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"La
signature électronique paraît envisageable
pour certains actes de la vie sociale"
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