JURIDIQUE 
PAR Me ANNE COUSIN
Prescription des infractions de presse : la LEN veut faire d'Internet un cas particulier
En deuxième lecture de la loi pour l'économie numérique, le Sénat a prévu que la prescription des infractions de presse sur Internet débute le jour de la cessation de la diffusion critiquée. Le législateur désavoue la jurisprudence Altern.org.  (04/05/2004)
 
Avocate à la Cour, directrice du pôle contentieux et du département presse
Alain Bensoussan- Avocats
 
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La célèbre affaire Altern.org vient de connaître un nouveau rebondissement suite à un amendement ajouté mi-avril par les sénateurs dans le projet de loi de la LCEN (loi pour la confiance dans l'économie numérique) et fait d'Internet un cas particulier pour la prescription des infractions de presse.

Pour rappel, le 29 janvier 2004, la Cour d'appel de Paris avait infirmé le jugement du tribunal de grande instance du 28 janvier 1999 dont elle était saisie, après plusieurs arrêts d'appel et un arrêt de la Chambre criminelle de la Cour de cassation du 27 novembre 2001. Bien que soit en cause le très court délai de prescription prévue par la loi du 29 juillet 1881, les faits remontent à l'année 1997 et plus précisément au 10 juillet 1997, date à laquelle un huissier de justice agissant à la requête de l'Union des Etudiants Juifs de France et de la LICRA constatait la diffusion sur internet de trois textes outrageusement racistes.

Dès l'origine, la discussion opposant le prévenu et les parties civiles fit une large place aux règles de procédure et plus particulièrement à la prescription des infractions poursuivies, puisque toutes prévues et réprimées par la loi du 29 juillet 1881, leur sanction obéit aux dispositions de son article 65 qui ne laisse aux victimes qu'un délai extrêmement bref de trois mois pour agir. Ce texte est considéré classiquement comme l'un des piliers essentiels de l'équilibre instauré par la loi entre la liberté reconnue à la presse et à l'expression de la pensée et la nécessaire défense de l'honneur et de la réputation des individus.

Il a donné lieu pour son application à l'internet à d'abondantes discussions doctrinales et à d'importantes décisions de justice largement commentées. Contrairement au droit commun des infractions de presse, le point de départ du délai de trois mois a ainsi été repoussé par la jurisprudence jusqu'à la date à laquelle la diffusion a cessé, au motif, en droit, du caractère continu de la diffusion des messages diffamatoires ou racistes sur internet, et en fait, de la très grande difficulté pratique pour la victime de ces propos d'en prendre connaissance et d'agir dans les conditions de rapidité dont bénéfice en général et plus facilement la victime d'informations transmises par la voie du papier.

La Cour de cassation a voulu mettre un terme à ces discussions par un arrêt remarqué du 27 novembre 2001. Elle a en effet clairement aligné le droit de l'internet sur le droit commun. Lorsque des poursuites pour l'une des infractions prévues par la loi du 29 juillet 1881 sont engagées à raison d'une diffusion sur le réseau des réseaux, le point de départ de la prescription de l'action doit selon la Cour être fixé à la date du premier acte de publication et cette date est celle à laquelle le message a été mis pour la première fois à la disposition des internautes.

 
"La loi sur la presse et l'exceptionnelle brièveté du délai de prescription sont particulièrement sévères pour les publications sur Internet"
 

Le débat ne pouvait alors que rebondir sur une autre difficulté, plus classique et récurrente du droit de la presse, celle des nouvelles publications ou des rééditions. En effet, il est classique de juger qu'en cas de nouvelle publication d'un même texte ou d'une réimpression, la prescription de trois mois ne remonte pas au jour de la première publication mais doit être fixée au jour de chacune des publications nouvelles.

Dans l'affaire Altern.org, le jugement du Tribunal de grande instance de Paris du 28 juillet 1999 avait jugé inopérante la modification de l'adresse de son site internet par le prévenu et refuse de considérer qu'en procédant à ce changement il avait commis une nouvelle infraction qui aurait pu faire partir un nouveau délai de prescription. Le jugement estimait en effet que "la simple adjonction d'un nouveau nom de domaine sur un site déjà existant ne pouvait être assimilée à un changement de site" et que "en conséquence les règles relatives aux éditions nouvelles en matière d'écrit ne trouvaient pas à s'appliquer en l'espèce".

La Cour d'appel de Paris vient d'écarter nettement cette analyse. Pour elle, en décidant de rendre son site accessible par une nouvelle adresse, plus courte donc plus simple que la "dénomination initiale", le prévenu avait entendu accroître l'accès des internautes à son site et en conséquence il avait crée un nouveau mode d'accès à celui-ci, renouvelé la mise à disposition des textes incriminés et en conséquence procédé à une réédition de ces derniers. Cette réédition étant intervenue moins de trois mois avant le premier acte de poursuite, l'infraction n'est pas prescrite.

La Cour examinera ultérieurement le fond de l'affaire après avoir purgé le point le plus délicat, semble-t-il, depuis l'introduction de la procédure en 1997. Il aura donc fallu sept années de bataille judiciaire pour aboutir à cette solution qui conforte les poursuites engagées. Néanmoins deux textes sur le point ou qui viennent d'être adoptés auraient eu pour effet s'ils avaient été votés à l'époque de réduire à néant les subtiles constructions juridiques échafaudées depuis l'origine pour tenter d'atténuer dans le domaine de l'internet la particulière rigueur de la loi sur la presse et les effets de l'exceptionnelle brièveté du délai prévu à son article 65.

 
"Désormais, sur Internet, la prescription débutera le jour de la cessation de la diffusion critiquée"
 

Le premier est la loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité du 9 mars 2004 et qui porte à un an la prescription des infractions de provocation à la haine, à la discrimination et à la violence raciale, de contestation de crime contre l'humanité, de diffamation ou d'injure raciale, toutes prévues et réprimées par la loi du 29 juillet 1881. Ce texte, qui se borne à allonger le délai de prescription, ne constitue somme toute qu'une retouche des textes antérieurs.

En revanche, bien plus important est le bouleversement voté par le Sénat le 8 avril 2004 qui examinait en deuxième lecture le projet de loi pour la confiance dans l'économie numérique. En effet, il ne se contente pas d'ajouter un ou plusieurs mois au délai de l'article 65, il revient sur la jurisprudence de la Cour de cassation et notamment sur son arrêt du 27 novembre 2001 en prévoyant que la prescription des infractions de presse, lorsqu'elles seront commises par l'intermédiaire d'internet, débutera le jour de la cessation de la diffusion critiquée.

Même si le champ d'application de la réforme est donc limité au réseau des réseaux, la portée de celle-ci est bien plus importante que celle instituée par la loi du 9 mars 2004. Une fois de plus en effet, la loi veut contredire la jurisprudence et l'emporter sur la juridiction suprême, dans un domaine où tout a été dit et redit sur les avantages et les inconvénients de ce point de départ retardé. Même si l'on peut penser que de nombreuses justifications sont susceptibles d'être d'avancées au soutien de cette solution, on ne peut que s'étonner qu'une fois de plus le législateur français ait voulu désavouer la Cour de cassation.  
 
 

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