JURIDIQUE 
PAR THIBAULT VERBIEST
Lutte contre le spam : les fournisseurs d'accès peuvent-ils légalement agir ?
Analyse des moyens à la disposition des FAI dans leur combat contre le spam. Les règles d'usage, contractuelles et législatives sont passées au crible.  (13/07/2004)
 
Avocat aux Barreaux de Paris et de Bruxelles, chargé d'enseignement à l'Université Paris I (Sorbonne)
 
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Cabinet Ulys
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Au lendemain de l'entrée en vigueur du régime de l'opt-in introduit par la loi pour la confiance dans l'économie numérique (LCEN), la question du spam est de plus en plus au centre de toutes les préoccupations. Certes l'instauration du principe du consentement préalable est une voie législative pour combattre le spam. Mais elle est largement insuffisante. D'autres voies sont à explorer, dont un rôle accru dans la lutte contre le spam par les fournisseurs d'accès.

En effet, dans la mesure où leurs serveurs sont utilisés pour pratiquer l'envoi massif de courriers électroniques non sollicités, les fournisseurs d'accès subissent un préjudice important, puisque le spamming est susceptible de causer un engorgement du réseau, et même une perte de clientèle (des abonnés excédés par la réception de trop nombreux messages non sollicités).

C'est la raison pour laquelle certains fournisseurs d'accès inscrivent dans leurs contrats ou conditions générales l'obligation de ne pas se livrer au pollupostage. La jurisprudence française a déjà eu l'occasion de donner raison à des fournisseurs qui avaient suspendu l'accès à des spammers.

Le fondement de la netiquette

Dans une décision du 28 février 2001, le Tribunal de grande instance de Rochefort-sur-Mer a rejeté la demande d'un abonné du service Wanadoo réclamant que soit jugée abusive la résiliation du contrat de fourniture d'accès, motivée par le fait que l'abonné s'était livré à du spamming dans des forums de discussion.

Pour justifier la résiliation de l'abonnement par le fournisseur d'accès, le Tribunal s'est fondé sur la "nétiquette", qualifiée d'usage au sens de l'article 1135 du Code civil : "les conventions obligent non seulement à ce qui est exprimé, mais encore à toutes les suites que l'équité, l'usage ou la loi donnent à l'obligation d'après sa nature."

Pourtant, en droit, un usage ne devient source de droit que s'il n'est pas contraire à la loi et qu'il est considéré comme contraignant par les personnes qui en sont les destinataires. Le tribunal s'est contenté à cet égard d'un rapport de la CNIL et d'un avis du président de l'Internet Society pour établir l'existence d'un usage s'opposant au spamming sur l'internet…

Le fondement contractuel
Par une ordonnance de référé du 15 janvier 2002, le Tribunal de grande instance de Paris a également justifié la décision de deux fournisseurs d'accès de suspendre l'accès au réseau d'un abonné qui s'était livré au spamming.

La motivation du tribunal apparaît ici plus orthodoxe : la nétiquette est certes invoquée mais en " renfort " de la constatation d'une violation des conditions d'utilisation du service, qui interdisaient le spamming. C'est donc sur la base d'une violation du contrat, et non seulement d'un usage, que le tribunal s'est fondé pour donner raison aux fournisseurs d'accès.

Récemment, en date du 5 mai 2004, le tribunal de commerce de Paris a confirmé le droit d'AOL de procéder à la fermeture des comptes ouverts par un spammer, sur la base de ses dispositions contractuelles : l'article 10-2 des Conditions Générales AOL lui réservent en effet la possibilité de résilier unilatéralement, sans préavis, ni mise en demeure, en cas de manquement grave du titulaire du compte (en l'occurrence l'usage abusif du compte AOL pour se livrer à du spam).

Le fondement pénal
Dans certains cas, il sera également possible de poursuivre des spammers animés d'intention de nuire sur le fondement de l'article 323-2 du Code pénal lorsqu'ils auront volontairement entravé le fonctionnement d'installations informatiques.

C'est ainsi que, le 24 mai 2002, le Tribunal de grande instance de Paris a condamné un internaute, qui avait pratiqué du "mail bombing", à 4 mois de prison avec sursis, ainsi qu'à payer 20.000 euros de dommages et intérêts à la partie civile, le fournisseur d'accès Noos, dont les serveurs de messagerie étaient restés inopérants durant une dizaine d'heures.

Cette décision est à rapprocher d'un arrêt de la Cour d'appel de Paris du 5 avril 1994, qui a condamné, sur le fondement de l'article 323-2 du Code pénal, des personnes pour avoir entravé le fonctionnement de serveurs minitel par l'envoi automatique et massif de messages.

Un droit d'agir légal ?
Dans une version antérieure du projet de loi pour la confiance dans l'économie numérique, les parlementaires avaient prévu un "droit de plainte" automatique des fournisseurs d'accès en cas de spam. Cette faculté a disparu, ce qui est regrettable.

L'on aurait aussi pu s'inspirer de certains Etats américains qui obligent les spammers à respecter les politiques des fournisseurs d'accès en matière de spam affichées sur leurs sites web. Ainsi, si un fournisseur d'accès déclare ne pas vouloir de spam, les expéditeurs de messages électroniques publicitaires devront respecter cette politique, sous peine de lourdes amendes par message envoyé.

Une solution intéressante, car elle permet aux consommateurs de choisir leur fournisseur d'accès en fonction de leur politique déclarée en matière de spamming. 
 
 

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