JURIDIQUE 
PAR Me ANNE COUSIN
La presse électronique sur les traces de la presse papier
A partir d'un cas concret, une plainte en diffamation contre Lemonde.fr, le point sur la jurisprudence concernant la soumission de la presse électronique au droit général de la presse.  (mardi 30 Novembre 2004)
 
Avocate à la Cour, directrice du pôle contentieux et du département presse
Alain Bensoussan- Avocats
 
   Le site
Alain-bensoussan.com
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Le Tribunal de grande instance de Paris a rendu, le 6 septembre 2004, une décision qui permet la vérification de cette assimilation progressive et certaine, aujourd'hui entérinée par la toute nouvelle loi pour la confiance dans l'économie numérique du 21 juin 2004.

L'affaire qui lui en a donné une nouvelle fois l'occasion est née à la suite de la mise en cause - sans preuve et à tort - d'un bagagiste travaillant à l'aéroport de Roissy Charles de Gaule et accusé un peu partout d'être un islamiste intégriste lié à diverses associations et réseaux proches de groupes terroristes. On sait qu'il n'a pas hésité à contre-attaquer et à introduire plusieurs procédures en diffamation contre divers supports.

Le 6 septembre 2004, le Tribunal de grande instance de Paris rejette son action, non pour des motifs de fond, mais exclusivement pour des motifs de procédure, tous tirés de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse en France.

Le site Internet "lemonde.fr" avait en effet diffusé le 14 janvier 2003 un article consacré à l'affaire et que Monsieur Said L. considérait comme étant diffamatoire à son égard. Il délivrait alors une première assignation le 11 avril 2003 à l'encontre de la société Le Monde interactif, société éditrice du site, puis une seconde le 15 avril 2003 à l'encontre du directeur de la publication.

Il fondait son action devant le tribunal sur les articles 29 alinéa 1er et 32 alinéa 1er de la loi du 29 juillet 1881, prévoyant et réprimant l'infraction de diffamation, ainsi que sur l'article 9 du Code civil garantissant à chacun le respect de sa vie privée.
 
"Un délai de trois mois après publication pour porter plainte."
 
Il se voit alors opposer en premier lieu la prescription de son action au motif que l'assignation du 15 avril 2003 a été délivrée, ce qui est incontestable, plus de trois mois après la diffusion de l'article, et ce en méconnaissance de l'article 65 de la loi du 29 juillet 1881 enfermant l'action de la victime dans ce bref délai.

Il tentait alors d'échapper à la sanction de la tardiveté de sa procédure (un jour de trop…) en soutenant que le 21 juin 2003 le même article avait été une nouvelle fois mis à disposition des internautes, à titre payant cette fois, ce qui devait être considéré comme une réédition faisant courir un nouveau délai pour agir.

Il pouvait penser en effet qu'un récent arrêt de la Cour d'appel de Paris du 29 janvier 2004, rendu dans la célèbre affaire Altern.org, l'autorisait à soutenir l'argument. Néanmoins, dans ce dernier cas, pour retenir l'existence d'une réédition faisant courir un nouveau délai de prescription, la cour avait considéré que le site Internet poursuivi avait modifié son adresse pour faciliter l'accès des internautes.

Rien de tel dans le cas du Monde.fr, mais seulement un passage de la consultation gratuite à la consultation payante comme le souligne le tribunal dans son jugement, renvoyant implicitement à la motivation de la cour dans l'affaire précédente. Il échoue donc sur ce premier fondement.
 
"Un article qui passe de la consultation gratuite à l'accès payant n'est pas considéré comme réédité."
 
Il ne parvient pas davantage à démontrer que sa première assignation du 11 avril 2003, soit moins de trois mois avant la diffusion de l'article, mais délivrée uniquement à la société éditrice du site avait, elle, pu valablement interrompre le délai de l'article 65.

En effet, le tribunal juge qu'elle est impuissante à produire cet effet car elle n'a pas été délivrée au directeur de la publication mais seulement à la personne morale éditrice en qualité de civilement responsable de l'infraction.

Or, conformément à une jurisprudence bien établie désormais dans le domaine de la presse papier, l'action de la victime doit obligatoirement être dirigée contre la personne physique que la loi du 29 juillet 1881 désigne comme étant l'auteur principal de l'infraction, c'est-à-dire le directeur de la publication.

Il en résulte que l'assignation engagée seulement à l'encontre de la société éditrice est irrecevable et qu'elle ne peut donc pas plus que la première délivrée tardivement, interrompre la prescription de trois mois applicable à la poursuite de toutes les infractions de presse.
 
"Toute plainte contre un article en ligne doit être adressée au directeur de la publication, et non à la société éditrice."
 
Il a alors essayé de se raccrocher aux dispositions de l'article 9 du Code civil protégeant la vie privée des individus en mettant en avant les révélations de l'article en cause sur ses opinions et pratiques religieuses.

Il est exact que ces dernières entrent incontestablement dans la sphère de protection bâtie par ce texte . Néanmoins, et pour éviter qu'en se rattachant à celui-ci, les victimes ne tentent d'échapper aux rigueurs procédurales de la loi sur la presse, la jurisprudence veille avec attention à exiger qu'elles démontrent une atteinte à la vie privée distincte des faits de diffamation.

Là encore, Said L. ne convainc pas. Le tribunal considère que son préjudice n'est pas causé par la révélation de ses convictions religieuses mais de son assimilation à des terroristes islamistes.

Pour le tribunal, l'atteinte à la vie privée est indissociable de la diffamation dont le régime dérogatoire absorbe celui plus souple, de la protection visée à l'article 9 du Code civil.

On retiendra donc de cette affaire que la transposition du droit de la presse générale à l'Internet ne pose décidément plus aucune difficulté théorique ou conceptuelle. Cette transposition ne soulève même plus le moindre débat.

On soulignera aussi, et heureusement pour la compréhension du droit par les justiciables, que si le tribunal avait dû se prononcer sur le fondement de la loi du 21 juin 2004, non entrée en vigueur au jour où il a été saisi, il aurait rendu en tout point la même solution.

Son article 6 V renvoie en effet expressément aux dispositions précises de la loi du 29 juillet 1881 qui énumèrent et répriment les infractions de presse lorsque celles-ci seront commises par l'intermédiaire d'un service de communication au public en ligne.

Ces services sont par ailleurs tenus conformément au même article 6 de désigner un directeur de la publication, qui endossera la responsabilité de toutes lesdites infractions. La loi rejoint donc le juge, y compris, il faut le souligner, lorsqu'elle instaure, un régime spécifique pour le droit de réponse sur Internet.

En effet, après quelques hésitations, la jurisprudence s'était déjà prononcée en ce sens, estimant que ni le régime de la presse écrite ni celui de la presse audiovisuelle n'était transposable sur ce point précis à ce nouveau média.
 
 

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