JURIDIQUE 
PAR MAXENCE ABDELLI
Quelle protection pour les bases de données en ligne ?
Comment protéger une base de données ? Quels sont les critères pour déclarer une base pillée ? Et Quels sont les recours ? Les réponses.  (15/02/2005)
 
Avocat et directeur d'Actoba, éditeur juridique spécialisé en droits des médias, communication électronique et propriété intelectuelle
 
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A l'origine, une protection multiple mais faillible. Le constat était simple : d'importants moyens financiers et humains avaient été mis en oeuvre par des personnes physiques ou morales pour la réalisation de bases de données, mais aucun droit spécifique n'existait pour protéger le fruit de leurs investissements. Les bases de données en ligne pouvaient (et peuvent toujours), être protégées contre les "pillages" par l'action en parasitisme, la concurrence déloyale ou encore le droit d'auteur si leur structure était originale (1), mais la nécessité de mettre en place un instrument juridique spécifique se faisait pressante.

Au final, une protection spécifique et efficace : la loi du 1 juillet 1998 transpose dans le code de la propriété intellectuelle (CPI) la directive européenne du 11 mars 1996 et apporte ce nouveau droit dit sui generis. Dès 1999, le dispositif déploie son potentiel, une société est condamnée à payer à France Télécom la somme de 100 millions de francs à titre de dommages-intérêts, pour extraction illicite de l'annuaire d'abonnés de l'opérateur historique (2).

Une protection sous conditions
Trois éléments conditionnent la protection des bases de données en ligne par le droit sui generis. Premièrement, il doit y avoir base de données au sens de l'article L. 112-3 du CPI : "un recueil d'oeuvres, de données ou d'autres éléments indépendants, disposés de manière systématique ou méthodique, et individuellement accessibles". Concrètement, les annuaires en ligne, quel que soit le type de données traitées (coordonnées d'abonnés, informations sur les entreprises, petites annonces, adresses électroniques), les compilations de données (photographies, fichiers musicaux etc.), les moteurs de recherche ou encore certains sites Internet, entrent dans la définition légale.

Deuxièmement, seul le producteur de la base bénéficie de la protection. Il s'agit au sens de l'article L. 341-1 du CPI de "la personne physique ou morale qui a pris l'initiative et le risque des investissements correspondants". La personne qui a matériellement réalisé la base ne sera donc pas nécessairement le producteur. Sur ce point, il faudra être vigilant, le droit d'une entreprise en sa qualité de producteur, peut entrer en conflit avec le droit d'auteur du salarié qui aurait créé une structure de base de données originale.

Troisièmement, le producteur de la base doit prouver qu'il a réalisé "un investissement financier, matériel ou humain substantiel pour la constitution, la vérification ou la présentation de la base de données". La preuve de cet investissement pourra être établie par des factures (prospection commerciale, licences de logiciels...) ou des contrats de travail. Dans tous les cas, cet investissement n'englobe pas les coûts relatifs à la création des contenus de la base (3).

Les trois prérogatives du producteur
En premier lieu, le producteur d'une base de données en ligne (gratuite ou payante) peut interdire l'extraction ou la réutilisation d'une partie "quantitativement substantielle" de sa base. Cette extraction s'apprécie selon le volume de données extrait par rapport au volume total de la base de données. Les tribunaux ont jugé que la reproduction sur un site Internet de 3.500 notices de médicaments extraites d'un CD Rom comportant 200.000 références (1,75 % de la base), était déjà une extraction quantitativement substantielle (4). De même, pour la réutilisation de 36.000 références sur le marché de l'art à partir d'une base en comprenant au total 184.000 (5).

En deuxième lieu, le producteur peut interdire l'extraction ou la réutilisation d'une partie "qualitativement substantielle" de sa base. Les extractions par des moteurs de recherche, à partir de sites Internet de petites annonces, d'informations telles que le prix et la localisation de logements (6) ou encore l'intitulé d'offres d'emplois (7), ont été jugées qualitativement substantielles.

Enfin, le producteur peut interdire l'extraction ou la réutilisation répétée et systématique des contenus de sa base lorsque ces opérations excèdent manifestement "les conditions d'utilisation normale de la base de données". L'objectif est d'éviter que ne soient lésés de manière injustifiée, les intérêts légitimes du producteur. Il y a atteinte à ces intérêts dans le cas où l'extraction permet de reconstituer la totalité ou une partie substantielle du contenu de ladite base (8).

Les extractions illicites sont sanctionnées civilement par des dommages-intérêts et pénalement par trois ans d'emprisonnement et 300.000 euros d'amende. Sur le volet pénal, le délit d'extraction illicite suppose que le producteur interdise préalablement l'extraction du contenu de sa base de données (9).

Des prérogatives néanmoins limitées
A contrario, le producteur ne peut interdire, même contractuellement, l'extraction de parties qualitativement ou quantitativement non substantielles de sa base. L'extraction d'une dizaine de communiqués de presse financiers à partir du site Internet d'une société concurrente n'a pas été jugée illicite (10).

Sur le terrain du droit de la concurrence, lorsque la base de données constitue une "ressource essentielle" pour les concurrents du producteur, ce dernier ne doit pas en entraver la commercialisation, sous peine d'abus de position dominante (11).

Les prérogatives du producteur sont limitées à quinze ans à partir de la première mise à disposition de la base de données au public. Ce délai est relancé à chaque nouvel investissement substantiel sur la base. On peut raisonnablement affirmer que les bases dont l'actualisation est continue, bénéficient d'une protection perpétuelle.

Quelques mesures utiles à prendre
Pour sécuriser au maximum l'exploitation de leurs bases de données en ligne, les personnes concernées pourront prendre une série de mesures qui complètera utilement le dispositif du droit sui generis :
- mettre en place des dispositifs techniques contre les extractions massives par les automates informatiques ;
- se préconstituer des preuves (insertion de marqueurs invisibles, coquilles...) ;
- surveiller les statistiques du serveur pour détecter les connexions "singulières" ;
- sécuriser juridiquement leurs contrats d'exploitation de bases de données ;
- recourir au dépôt légal, qui, obligatoire pour les bases de données électroniques, permettra de disposer d'une preuve d'antériorité.

(1) Tribunal de commerce de Nanterre, 27 janvier 1998, Edirom c/ Global Market ; Cour de cassation, 20 janvier 2004, Le serveur administratif c/ Editions Lefèbvre-Sarrut
(2) Tribunal de commerce de Paris, 18 juin 1999, France Télécom c/ MA Editions, Illiad
3) CJCE, 9 novembre 2004, The British Horseracing Board Ltd c/ William Hill Organization Ltd
(4) Tribunal de commerce de Paris, 19 mars 2004, OCP Répartition c/ Salvea
(5) Cour d'appel de Paris, 18 juin 2003, Credinfor c/ Artprice
(6) TGI de Paris, 14 novembre 2001, Editions Néressis c/ France Télécom Multimédia Services
(7) TGI de Paris, 5 septembre 2001, Cadremploi c/ Keljob
(8) CJCE, 9 novembre 2004, The British Horseracing Board Ltd c/ William Hill Organization Ltd
(9) Cour d'appel de Versailles, 18 novembre 2004, Guy R. c/ Rojo R.
(10) Cour d'appel de Versailles, 11 avril 2002, PR Line c/ News Invest
(11) Cour de cassation, 4 décembre 2001, France Télécom c/ Lectiel, Groupadress : le Conseil de la concurrence a sanctionné France Télécom d'une amende de 10 millions de francs pour les prix excessifs pratiqués dans la commercialisation de son annuaire d'abonnés.

 
 

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