JURIDIQUE 
PAR JERÔME DEBRAS
Les licences Creative Commons passées au crible
Conditions d'utilisation, personnalisation, finalité, questions en suspens... Explication détaillée de ce nouveau mode de protection des droits d'auteur.  (08/03/2005)
 
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Les licences Creative Commons s'inspirent de la philosophie des logiciels libres et offrent un cadre juridique adapté à la diffusion sur Internet de tout type de contenu audio, vidéo, graphique ou multimédia tout en assurant la protection des droits d'auteurs. Tout auteur peut ainsi simplement et gratuitement enregistrer son œuvre à partir du site web www.fr.creativecommons.org et la diffuser sous licence Creative Commons.

Les licences Creative Commons définissent de manière simple et imagée les conditions dans lesquelles une œuvre peut être utilisée. Néanmoins, celles-ci ne sont pas sans susciter quelques interrogations quant à leur régime juridique, au regard de leur coexistence avec les modes d'exploitation traditionnels et de l'appréciation de la portée des droits qu'elles confèrent.


Un mode de diffusion alternatif
La licence Creative Commons est entièrement modulable et permet à l'auteur de consentir à l'utilisateur une autorisation mondiale d'exercer à titre gratuit et non exclusif les droits patrimoniaux (reproduction, représentation, distribution…), incluant notamment la possibilité de créer des œuvres composites.

Le magazine américain Wired a ainsi distribué dans son édition de novembre 2004, un CD incluant 16 titres d'artistes majeurs librement copiables et modifiables. Le documentaire "Outfoxed" de Robert Greenwald sur la chaîne de télévision américaine Foxnews ou encore l'ensemble du contenu du site arteradio.com sont également diffusés sous licence Creative Commons.

Une souplesse dans la détermination des conditions d'utilisation
La licence Creative Commons consiste en un contrat conclu entre l'auteur et le destinataire de l'œuvre autorisant ce dernier à utiliser l'œuvre dans les conditions déterminées par l'auteur selon le modèle type proposé par l'organisation Creative Commons. Comme en matière de logiciel libre, l'œuvre sous licence Creative Commons n'est pas libre de droits et reste protégée par le droit d'auteur. Traditionnellement, la licence ne constitue en aucun cas une cession par l'auteur de ses droits sur l'œuvre.

Une option de la licence Creative Commons permet également d'autoriser préalablement la réalisation de tout type d'œuvre dérivée. Les licences Creative Commons facilitent à cet égard la réappropriation musicale, par exemple sous forme d'échantillonnage (sampling).

Six modèles de licences identifiant les droits d'utilisation
Les différentes combinaisons envisageables permettent à l'auteur d'indiquer les conditions qu'il entend imposer à l'utilisateur, parmi lesquelles : interdiction de toute utilisation commerciale, autorisation d'intégrer l'œuvre à une autre œuvre, obligation d'indiquer la paternité de l'auteur sur l'œuvre ou obligation de faire accepter les conditions initiales à l'identique en cas de diffusion de l'œuvre initiale ou dérivée.

Dans la version 1.0 des licences, l'auteur dispose de six modèles de contrats types identifiés par différentes combinaisons de logos :
- Un signe "$ barré" permet d'indiquer que toute utilisation non commerciale est prohibée.
- Un signe "=" indique que toute modification à l'œuvre originale est interdite sauf autorisation spécifique de l'auteur.
- Un signe sous forme de "© à l'envers" indique que la diffusion de l'œuvre doit s'accompagner d'une acceptation d'un partage des conditions initiales à l'identique.

La licence se présente ensuite de trois manières différentes :
- Une version en code informatique permet d'associer des métadonnées à l'œuvre afin d'identifier les droits attachés et permettre la recherche d'œuvres en fonction des droits d'utilisation, notamment à partir du site Internet de diffusion des œuvres sous licence Creative Commons.
- Une version simplifiée présente les caractéristiques générales des licences, facilitant ainsi l'information des utilisateurs non-juristes.
- Une version destinée aux juristes et rebaptisée "code juridique" est accessible par lien à partir du résumé explicatif.

Comme en matière de logiciel, l'utilisateur ne peut utiliser l'œuvre qu'après avoir accepté les termes de la licence Creative Commons.

Une nouvelle forme de diffusion de la culture
La finalité des licences Creative Commons, à savoir la diffusion libre de la culture, contraste avec la problématique de la rémunération des titulaires de droits d'auteurs et de droit voisins dans le monde de l'informatique et des réseaux.

Le modèle contractuel des Creative Commons occulte en effet l'intervention de tout éditeur ou producteur en tant qu'intermédiaire et cessionnaire des droits à qui incombe la tâche de publier l'œuvre et permettre sa communication directe au public. L'auteur et son public peuvent donc potentiellement se rencontrer directement sans intermédiaire et tout utilisateur remplit potentiellement lui même la fonction d'éditeur en diffusant librement l'oeuvre.

Dans ce modèle, la diffusion par les réseaux peer to peer n'est pas prohibée et constitue un relais essentiel de la diffusion de l'œuvre libre. A cet égard, les Creative Commons établissent une relation directe entre l'auteur et son public dans un cadre essentiellement non marchand qui doit coexister avec les modes d'exploitation traditionnels.

Une nécessaire coexistence avec l'exploitation traditionnelle
La coexistence avec les mode d'exploitation traditionnels apparaît nécessiter quelques ajustements au fonctionnement de la gestion des droits. Ainsi, un musicien qui a adhéré à la Sacem reste tenu d'y déposer toutes ses œuvres, ce qui exclue pour lui la possibilité d'avoir recours aux licences Creative Commons comme mode de diffusion exclusif. Le problème n'étant pas limité à la gestion collective des droits sur les œuvres musicales, la cœxistence logique des deux systèmes semble nécessiter certains assouplissements des règles régissant la gestion collective des droits.

Dans cette attente, les licences Creative Commons prévoient la manière dont pourrait s'organiser la rémunération de l'auteur autorisant un usage libre de son œuvre en précisant que "dans le cas où une utilisation de l'Oeuvre serait soumise à un régime légal de gestion collective obligatoire, l'Offrant [l'auteur] se réserve le droit exclusif de collecter ces redevances par l'intermédiaire de la société de perception et de répartition des droits compétente."

Une incertitude sur la portée des droits conférés
La portée exacte des droits concédés sur l'œuvre par le contrat de licence Creative Commons n'est pas non plus sans susciter quelques interrogations.

Ainsi l'interdiction de modifier l'œuvre peut signifier que seule une intégration à une œuvre dérivée modifiant l'œuvre initiale est interdite ou que toute intégration est interdite. Dans cette dernière hypothèse, il resterait à déterminer si l'interdiction de modification de l'œuvre vise toute modification, même insignifiante, (par exemple un changement de support par impression de photo) ou si cette modification doit être significative (par exemple l'application de filtres à une photo).

En matière d'autorisation d'exploitation traditionnelle, l'interprétation est stricte et une autorisation complémentaire est à requérir pour un mode d'exploitation non prévu dans l'autorisation initiale.

Au contraire, dans l'esprit des Creative Commons, toute utilisation peut être autorisée, sauf restriction spécifique. Il y a donc tout lieu de penser que l'autorisation de l'auteur n'a pas à être obtenue pour un usage ou une modification non visée dans la licence. Il peut s'agir dans ce cas pour l'auteur d'une certaine perte de contrôle de l'usage de son œuvre, même si subsiste l'exercice du droit moral.

Les licences Creative Commons forment un cadre juridique simple d'utilisation pour des auteurs désirant seulement favoriser la libre diffusion de leurs œuvres. Cependant, la simplicité d'utilisation du système ne doit pas masquer les interrogations nécessaires et utiles qui doivent être menées par les auteurs pour que soit assuré le respect de leurs droits.

 
 

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