JURIDIQUE 
PAR THIBAULT VERBIEST
La copie privée au centre des débats sur le peer-to-peer
En porte à faux avec la jurisprudence en la matière, le CSPLA se déclare hostile à l'exception de copie privée appliquée au P2P, jugée non conforme avec les engagements internationaux de la France.  (20/12/2005)
 
Avocat aux Barreaux de Paris et de Bruxelles, chargé d'enseignement à l'Université Paris I (Sorbonne)
 
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A la veille du débat parlementaire sur le projet de loi "Droit d'auteur et droits voisins dans la société de l'information", les différents protagonistes du débat houleux du peer-to-peer (P2P) fourbissent leurs armes. En effet, deux rapports viennent d'être publiés - simultanément -, qui préconisent des solutions diamétralement opposées.

La position du CSPLA

D'un côté, le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA), chargé de conseiller le ministre de la culture et de la communication, publie la synthèse de ses travaux entamés un an auparavant (lire l'article du JDN du 09/12/05). En porte à faux avec la dernière jurisprudence en la matière (en particulier l'arrêt de la Cour d'appel de Montpellier de mars 2005), le CSPLA se déclare hostile à l'exception de copie privée appliquée au téléchargement d'œuvres : "En ce qui concerne le download dissocié de l'opération d'upload, la très grande majorité des membres de la Commission considère qu'il s'agit d'un acte de contrefaçon".

S'agissant des propositions de licence globale avancées par les associations de consommateurs et d'artistes (voir ci-après), le Conseil les qualifie d'impraticables aux motifs que :

1. la solution serait difficilement conciliable avec les engagements internationaux de la France

2. l'adoption de la licence globale empêcherait le développement des offres déjà mises en place avec l'autorisation des ayants droit et conduirait à un accroissement rapide du trafic, ce que les réseaux des FAI ne sauraient absorber à court terme dans les mêmes conditions économiques.

Partant de ce constat, le Conseil préconise de :

1. Favoriser les dispositifs anti-copie ainsi que l'émergence d'un P2P légal, étant entendu que de nombreuses questions restent encore à régler (en particulier la modélisation technique, juridique et économique qui permettra d'obtenir toutes les autorisations des ayants droit)

2. Une intervention du législateur visant à responsabiliser les fournisseurs de logiciels de P2P. Dans la foulée de l'arrêt Grokster de la Cour suprême des Etats-Unis, le Conseil recommande en effet de consacrer sans ambiguïté la responsabilité des éditeurs de logiciels P2P et de tous ceux qui sont directement impliqués dans cette activité. L'avis est accompagné d'un projet d'amendement au Code de la propriété intellectuelle, qui concerne tous les logiciels permettant une "mise à disposition d'œuvres", notion pour le moins large.

La position de l'Alliance Public-Artistes

Afin de contrecarrer les conclusions du CSPLA, un rapport favorable à une "légalisation" du P2P a été rendu public le même jour. Ce rapport émane de l'Alliance Public-Artistes, qui réunit plus de 15 organismes représentant, entre autres, les intérêts des musiciens, comédiens, producteurs indépendants et des consommateurs. Ce rapport a été élaboré par l'Institut de Recherche de Droit Privé de l'Université de Nantes, sous la direction du Professeur André Lucas. Ses conclusions sont sans ambages :

1. conformément aux dernières décisions de justice rendues en matière de téléchargement, la copie privée peut être appliquée, même lorsque la source de la copie n'est pas licite

2. le système de licence légale n'apparaît pas comme contraire aux engagements internationaux de la France (en particulier le fameux "triple test" consacré par la directive européenne sur le droit d'auteur dans la société de l'information)

3. il apparaît également légitime car la situation du P2P ne serait pas très différente de celle des œuvres photocopiées (reprographie), qui font l'objet d'une gestion collective obligatoire.

Sur cette base, l'Alliance propose un système de licence globale similaire à celui déjà présenté par le député Suguenot dans sa proposition de loi du 13 juillet 2005 (lire la tribune dans le JDN du 13/09/05). La proposition du député Suguenot, qui a entre-temps reçu le soutien de dizaines d'autres députés, vise à légaliser les pratiques d'échange entre particuliers à des fins non commerciales d'œuvres et d'interprétations sur les réseaux de communication en ligne, dont les réseaux P2P.

Toutefois, la position de l'Alliance diffère sur un point : pour elle, la licence globale devrait être optionnelle pour l'internaute. Ainsi, les internautes n'auraient pas à s'acquitter de la rémunération forfaitaire (via leur abonnement Internet) s'ils ne procèdent à aucun échange de fichiers ou utilisent des services de plates-formes payantes.

De surcroît, le 9 décembre dernier, un livre blanc sur le P2P a été remis aux députés de l'Assemblée nationale. Ce livre blanc compile les contributions de différents organismes représentant les auteurs et éditeurs de logiciels, les consommateurs, les artistes interprètes, les auteurs et éditeurs de logiciels, les auteurs de musique et utilisateurs de logiciels libres.

Copie privée : une exception française

L'exception de copie privée est aussi une exception française. En effet, contrairement à de nombreux autres législations européennes, rien dans la loi ne précise si le "copieur" doit avoir acquis "licitement" l'original dont il entend faire une copie (à l'identique dans l'environnement numérique). C'est la raison pour laquelle les tribunaux ont, jusqu'à présent (et sous réserve d'une éventuelle censure par la Cour de cassation), légitimé le téléchargement "désintéressé", c'est-à-dire effectué en vue d'un usage privé (parfois interprété de manière large).

Mais le vrai débat s'articule aujourd'hui autour de la conformité de la copie privée en matière de téléchargement avec les engagements internationaux de la France, en particulier le fameux "triple test", dont on retrouve plusieurs applications dans le projet de loi qui sera discuté le 20 décembre au Parlement. En résumé, les exceptions au droit d'auteur (et aux droits des producteurs et artistes) - dont la copie privée - ne peuvent porter atteinte à l'exploitation normale de l'œuvre ni causer un préjudice injustifié aux intérêts légitimes de l'auteur (ou des producteurs et artistes).

Dans quelle mesure la copie privée "sans limite" sur Internet porte-t-elle indûment atteinte aux intérêts légitimes de l'industrie musicale ? La Cour d'appel de Paris a déjà eu l'occasion de se prononcer sur la question du triple test en matière de dispositifs anti-copie de DVD. Elle a conclu que les consommateurs avaient droit à la copie privée, les dispositifs anti-copie ne pouvant restreindre ce droit… Mais le projet de loi devrait changer au moins partiellement la donne puisqu'il garantit aux producteurs le droit de limiter le nombre de copies.

 
 

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