JURIDIQUE 
PAR OLIVIER ITEANU
Quelle protection pour les fonctionnalités de logiciels ?
D'après un arrêt du 13 décembre de la Cour de Cassation, les fonctionnalités de logiciels ne sont pas protégées par la loi sur le droit d'auteur. Mais elles ne sont pas sans protection. Explication.  (24/08/2004)
 
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Par un arrêt prononcé le 13 décembre 2005, la Cour de Cassation, la plus haute juridiction française, a pour la première fois expressément exclu les fonctionnalités des logiciels de la protection par le droit d'auteur : "les fonctionnalités d'un logiciel (…) ne bénéficient pas en tant que telles, de la protection du droit d'auteur".

En réalité, cette décision n'est pas vraiment une surprise tant elle est conforme à l'esprit du droit d'auteur français ainsi qu'à une jurisprudence continue depuis près de 20 ans rendue par les juridictions inférieures, mais elle a le mérite de poser le régime de protection des fonctionnalités de logiciels car même sans le droit d'auteur, les fonctionnalités disposent en droit français de protections juridiques.

Le logiciel est considéré comme une oeuvre de l'esprit...
C'est par une Loi du 3 Juillet 1985 que le législateur français décidait d'assimiler le logiciel à un livre, une composition musicale ou une peinture. En clair, le logiciel était alors élevé au rang d'œuvre de l'esprit et protégé par le droit d'auteur. Conséquence pratique, tout acte de mise sur le marché ou de reproduction (chargement, affichage, stockage) d'un logiciel fait sans l'autorisation ou au-delà de l'autorisation de l'auteur est puni des peines de la contrefaçon de droits d'auteur, soit les peines maximales de 3 ans de prison et 300.000 euros d'amende, outre la condamnation à des dommages et intérêts pour réparer le préjudice de l'auteur ou de ses ayants droits.

La propriété intellectuelle protège aussi le code source, et le cahier des charges...
Mais, la discussion ne s'est pas arrêtée là : qu'entendait on en 1985 par logiciel ? La loi ne définissait pas les contours du "logiciel", pas plus que les directives communautaires qui suivront. La programmation, le code source ou compilé (objet), ont fait dès l'origine l'unanimité pour eux. Ils étaient sans contestation possible protégés au titre du droit d'auteur.

Par une Loi du 10 Mai 1994, transposant une directive communautaire de 1991, le législateur français incluait dans la définition du logiciel, le dossier d'analyse (analyse fonctionnelle et organique) et, éventuellement, le cahier des charges détaillé (spécifications). Depuis cette Loi, étaient protégés en application de l'article L 112-2 du Code de la propriété intellectuelle les logiciels" … y compris le matériel de conception préparatoire". Aussi, on peut dès lors imaginer un travail de conception (spécifications, analyses) réalisé par un premier intervenant, puis le codage opéré par un second intervenant donnant au final une œuvre de collaboration entre ces deux intervenants.

En revanche, la documentation est exclue du droit d'auteur ...
L'autre discussion sérieuse a concerné la documentation dite connexe au logiciel, guide technique et guide utilisateur. Fallait il ou non les inclure dans le logiciel et sa protection spécifique ? Dans un premier temps la réponse de la jurisprudence fut positive. La documentation suivrait le régime du logiciel. Puis, en 1994, la Loi précitée tranchait dans un sens exactement contraire : elle excluait la documentation connexe de la protection spécifique du droit d'auteur appliqué aux logiciels. L'exclusion n'était pas totale cependant. Le droit du logiciel prévoit des dispositions spécifiques pour la création de logiciels par un employé. Ainsi, l'article L 113 -9 du CPI dispose que "les logiciels et leur documentation créés par un ou plusieurs employés dans l'exercice de leurs fonctions ou d'après les instructions de leur employeur sont dévolus à l'employeur…". C'est la seule exception assimilant le logiciel et sa documentation.

... ainsi que les fonctionnalités
Restait enfin le cas des fonctionnalités. Elles sont définies par la Cour de Cassation comme la capacité à effectuer une tâche précise ou à obtenir un résultat déterminé. Dès 1995, dans un jugement abondamment commenté, le tribunal de grande instance de paris excluait les fonctionnalités de la protection par le droit d'auteur. La Cour de Cassation traitait, dans la décision que nous commentons, d'un arrêt rendu par la Cour d'Appel de Versailles qui tranchait un litige qui opposait la société Microsoft venant au nom d'une société de droit canadien, à des auteurs de logiciels qui revendiquaient la reprise dans un logiciel édité par les canadiens de huit fonctionnalités extraits de leur logiciel. La reprise sans droits des fonctionnalités était d'ailleurs confirmée par un Expert. De là, la conséquence était simple : soit les fonctionnalités étaient par principe protégées par le droit d'auteur et cette reprise sans droits est une contrefaçon. Soit les fonctionnalités étaient exclues de la protection par le droit d'auteur et il n'y a dès lors pas de contrefaçon. C'est la seconde analyse que la Cour d'appel de Versailles a choisie et la Cour de Cassation lui a donné raison.

Les fonctionnalités sont protégées par les brevets et par la règle de l'agissement parasitaire
Mais pour autant, les fonctionnalités ne sont pas sans protections. La Cour d'appel de Versailles le rappelle : "si elles [les fonctionnalités] avaient le caractère innovant (elles) pouvaient recevoir une protection par le moyen du brevet". Le brevet de procédé est une autre technique juridique qui est en effet ouverte sous conditions aux fonctionnalités du logiciel, preuve s'il en était encore besoin que le brevet de logiciel lui-même n'est pas utile. Enfin, si la société de droit canadien se trouvait sauvée par l'absence de contrefaçon aux droits d'auteur, la Cour d'appel de Paris la rattrapait par une autre technique juridique simple et sans formalités, l'agissement parasitaire. Elle notait que les similitudes relevées sur les fonctionnalités avaient été "pour partie obtenu en exploitant le travail de recherche antérieurement réalisé …" et condamnait sur ce fondement la société canadienne à plus de 560.000 $ de dommages et intérêts.

Comme quoi, le bon sens et des techniques juridiques de base sont parfois suffisantes à rendre la justice sans qu'il soit nécessaire d'ajouter de nouvelles techniques juridiques complexes. Les fonctionnalités de logiciel ont perdu la protection par le droit d'auteur mais ne se trouvent pas, pour autant, sans protections juridiques. Il n'y a donc pas vide juridique. C'est le principal enseignement de cet arrêt de la Cour de Cassation.
 
 

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