Le système
d'évaluation ne sert donc pas qu'à évaluer
Effectivement.
D'abord, la sélection peut se faire avec bien d'autres moyens que l'entretien
d'évaluation et, même, sans aucun entretien. Souvent même,
l'entretien masque la sélection, elle l'habille d'une objectivité
qui est loin d'être partagée. Cet habillage est ainsi nécessaire
au "simulacre" de l'objectivité ; c'est de la régulation
du rapport de force. On est bien dans une économie de la justification
sociale. La pertinence technique d'un système d'évaluation de la
performance n'est pas l'essentiel. Même quand le système d'évaluation
est "précisément faux", ce n'est pas grave si les décisions
prises sont "globalement justes". On ne peut pas se passer d'un système
d'évaluation, même manifestement imparfait.
"On est capable d'une maturité du diagnostic
sans cynisme" |
D'autre part, dans ce processus,
l'entretien d'évaluation relève d'un rituel d'intégration.
Plus que la mesure de la performance, l'évaluation est une mise en scène
de l'appartenance. Que le rite soit accompli sur un mode sincère et naïf
ou cynique et désabusé, il remplit sa fonction. C'est également
pourquoi les évaluations sont si souvent "plutôt positives".
Ce rite signifie la reconnaissance de l'appartenance à l'institution. Comme
par hasard, CDD et stagiaires n'en passent pas. C'est vrai y compris pour les
ouvriers de certaines entreprises qui ne veulent pas d'entretien d'évaluation.
Ils revendiquent de rester dans une autre logique d'appartenance : une appartenance
de classe.
Et si on ne peut pas
augmenter tous ceux qui ont reçu un avis positif ?
Alors
on est bien obligé de réguler par d'autres façons que par
la référence aux performances, ce qui arrive très souvent :
sur l'ancienneté, sur l'âge, sur le sexe
On connaît des
pratiques qui tendent à forcer les évaluateurs à distribuer
des notes de synthèse selon une courbe de Gauss. Cette courbe pourra être
pondérée, avec des facteurs variables selon ce qui nous arrange
telle ou telle année
Comme c'est parfaitement inacceptable socialement,
dans la pratique, les appréciations ne débouchent pas directement
sur des décisions. Quelle que soit la méthode, si on l'applique
mécaniquement, on arrive toujours à des incohérences avec
la réalité.
Il est
toutefois important de noter que l'on est capable d'une maturité du diagnostic
sans cynisme. Pour autant, pour que les décisions soient acceptables, pour
avoir la paix sociale, il est nécessaire de ne pas expliquer les raisons
de la hiérarchie de rémunération. La réponse est donc
à trouver dans un compromis entre les raisons objectives et dicibles de
ne pas augmenter et toutes celles, tout aussi "objectives", mais qu'il
vaut mieux ne pas dire.
"L'individualisation de la rémunération
rencontre un besoin croissant de reconnaissance individuelle" |
L'entretien
d'évaluation ne sert-il à rien ?
Au contraire
et il ne peut que se développer encore. L'entretien d'évaluation
met en scène l'appartenance, mais sert aussi à l'acceptation des
contreparties, notamment le salaire. Même s'il ne s'y passe rien en termes
d'objectifs ou d'appréciation, il doit avoir lieu. Ensuite, le mouvement
vers l'individualisation de la rémunération promu par les employeurs
rencontre un besoin croissant de reconnaissance individuelle exprimé par
les salariés. L'entretien sert à tout cela. Même si l'entreprise
ne peut pas justifier cette pratique seulement par ses fins d'intégration.
Existe-t-il
un particularisme français qui nous handicape ?
L'entretien
d'évaluation vient des Etats-Unis. Il est très lié à
la logique de contrat qui prévaut là-bas et qui s'inspire du rapport
commercial. L'évaluation individuelle des performances est cohérente
avec cette logique. Comme nous nous américanisons, nous l'acceptons de
plus en plus mais elle se heurte encore à notre culture. "Les rapports
humains ne sont pas de cet ordre là ; on ne peut pas vouloir en même
temps la noblesse et l'argent", pourraient dire les Français, guidés
par leur logique de l'honneur. Une étude européenne récente
(Sprew) montre que, plus que les autres, nous recherchons dans le travail une
occasion d'épanouissement personnel. Nous sommes encore bien loin d'une
logique de contrat.
| A propos de
Xavier Baron | |
| Xavier
Baron est directeur du cabinet de conseil RH BCRH,
membre du comité de rédaction de la revue Metis
et membre du conseil scientifique de l'Observatoire des Cadres. Diplômé
de Sciences Po, après une carrière mêlant conseil, opérationnel
et recherche, il est de 1996 à 2002 Directeur d'Etudes puis Directeur du
Pôle Management du Changement à l'Institut Entreprise et Personnel,
avant de devenir, de 2002 à 2007,
le chef du département Développement des ressources humaines et
Formation du groupe Snecma. Il crée son cabinet BCRH en mars 2008. Publiant
de nombreux articles scientifiques et études depuis des années,
il s'est notamment fait une spécialité des questions de temps de
travail des cadres, de productivité du travail immatériel, de la
pratique de la GPEC, des compétences managériales et, naturellement,
de la formation. | |
Propos
recueillis par Flore
Fauconnier, JDN Management ,
21/05/2008