Interview de Xavier Baron

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Le système d'évaluation ne sert donc pas qu'à évaluer…

Effectivement. D'abord, la sélection peut se faire avec bien d'autres moyens que l'entretien d'évaluation et, même, sans aucun entretien. Souvent même, l'entretien masque la sélection, elle l'habille d'une objectivité qui est loin d'être partagée. Cet habillage est ainsi nécessaire au "simulacre" de l'objectivité ; c'est de la régulation du rapport de force. On est bien dans une économie de la justification sociale. La pertinence technique d'un système d'évaluation de la performance n'est pas l'essentiel. Même quand le système d'évaluation est "précisément faux", ce n'est pas grave si les décisions prises sont "globalement justes". On ne peut pas se passer d'un système d'évaluation, même manifestement imparfait.

 

"On est capable d'une maturité du diagnostic sans cynisme"

D'autre part, dans ce processus, l'entretien d'évaluation relève d'un rituel d'intégration. Plus que la mesure de la performance, l'évaluation est une mise en scène de l'appartenance. Que le rite soit accompli sur un mode sincère et naïf ou cynique et désabusé, il remplit sa fonction. C'est également pourquoi les évaluations sont si souvent "plutôt positives". Ce rite signifie la reconnaissance de l'appartenance à l'institution. Comme par hasard, CDD et stagiaires n'en passent pas. C'est vrai y compris pour les ouvriers de certaines entreprises qui ne veulent pas d'entretien d'évaluation. Ils revendiquent de rester dans une autre logique d'appartenance : une appartenance de classe.

 

Et si on ne peut pas augmenter tous ceux qui ont reçu un avis positif ?

Alors on est bien obligé de réguler par d'autres façons que par la référence aux performances, ce qui arrive très souvent : sur l'ancienneté, sur l'âge, sur le sexe… On connaît des pratiques qui tendent à forcer les évaluateurs à distribuer des notes de synthèse selon une courbe de Gauss. Cette courbe pourra être pondérée, avec des facteurs variables selon ce qui nous arrange telle ou telle année… Comme c'est parfaitement inacceptable socialement, dans la pratique, les appréciations ne débouchent pas directement sur des décisions. Quelle que soit la méthode, si on l'applique mécaniquement, on arrive toujours à des incohérences avec la réalité.

 

Il est toutefois important de noter que l'on est capable d'une maturité du diagnostic sans cynisme. Pour autant, pour que les décisions soient acceptables, pour avoir la paix sociale, il est nécessaire de ne pas expliquer les raisons de la hiérarchie de rémunération. La réponse est donc à trouver dans un compromis entre les raisons objectives et dicibles de ne pas augmenter et toutes celles, tout aussi "objectives", mais qu'il vaut mieux ne pas dire.

 

"L'individualisation de la rémunération rencontre un besoin croissant de reconnaissance individuelle"

L'entretien d'évaluation ne sert-il à rien ?

Au contraire et il ne peut que se développer encore. L'entretien d'évaluation met en scène l'appartenance, mais sert aussi à l'acceptation des contreparties, notamment le salaire. Même s'il ne s'y passe rien en termes d'objectifs ou d'appréciation, il doit avoir lieu. Ensuite, le mouvement vers l'individualisation de la rémunération promu par les employeurs rencontre un besoin croissant de reconnaissance individuelle exprimé par les salariés. L'entretien sert à tout cela. Même si l'entreprise ne peut pas justifier cette pratique seulement par ses fins d'intégration.

 

Existe-t-il un particularisme français qui nous handicape ?

L'entretien d'évaluation vient des Etats-Unis. Il est très lié à la logique de contrat qui prévaut là-bas et qui s'inspire du rapport commercial. L'évaluation individuelle des performances est cohérente avec cette logique. Comme nous nous américanisons, nous l'acceptons de plus en plus mais elle se heurte encore à notre culture. "Les rapports humains ne sont pas de cet ordre là ; on ne peut pas vouloir en même temps la noblesse et l'argent", pourraient dire les Français, guidés par leur logique de l'honneur. Une étude européenne récente (Sprew) montre que, plus que les autres, nous recherchons dans le travail une occasion d'épanouissement personnel. Nous sommes encore bien loin d'une logique de contrat.

 

 
A propos de Xavier Baron
 
 

Xavier Baron est directeur du cabinet de conseil RH BCRH, membre du comité de rédaction de la revue Metis et membre du conseil scientifique de l'Observatoire des Cadres.

Diplômé de Sciences Po, après une carrière mêlant conseil, opérationnel et recherche, il est de 1996 à 2002 Directeur d'Etudes puis Directeur du Pôle Management du Changement à l'Institut Entreprise et Personnel, avant de devenir, de 2002 à 2007, le chef du département Développement des ressources humaines et Formation du groupe Snecma. Il crée son cabinet BCRH en mars 2008.

Publiant de nombreux articles scientifiques et études depuis des années, il s'est notamment fait une spécialité des questions de temps de travail des cadres, de productivité du travail immatériel, de la pratique de la GPEC, des compétences managériales et, naturellement, de la formation.

 

 

Propos recueillis par Flore Fauconnier, JDN Management , 21/05/2008



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