Enquête
Les nouveaux défis de Kelkoo
 (Mardi 16 décembre 2003)
         
En savoir plus
Le patron a téléchargé une sonnerie de jeune sur son portable (un tube de Dido). Au siège, un baby-foot très ancienne-nouvelle économie trône dans l'entrée. Nous ne sommes pourtant plus dans une start-up. Logée dans le quartier de l'Opéra et installée dans un immeuble rempli de sociétés japonaises, Kelkoo gère aujourd'hui le troisième site européen en terme d'audience dans la catégorie e-Commerce : plus de 5 millions de visiteurs uniques en septembre, derrière les Américains eBay (22 millions) et Amazon (11,6 millions), selon Nielsen/NetRatings [NDLR : le chiffre de Kelkoo ne prend pas en compte la Norvège et le Danemark, où Nielsen n'est pas présent]. La société emploie 190 personnes, deux fois plus qu'il y a un an. Si une rumeur de vente - fermement démentie par la direction - a couru, la société est surtout citée parmi les candidats possibles à une introduction en Bourse. Une IPO qui aurait valeur de symbole : celle d'une "valeur Internet" française, une rareté depuis la bulle. Bref, Kelkoo porte tous les signes extérieurs du succès.

A la machine à café, en tous cas, les conversations sont souvent aériennes ("Je suis rentré hier de Berlin", "Tu vas à Milan vendredi ?"). Créée en octobre 1999, la société est aujourd'hui implantée dans neuf pays et l'activité au Royaume-Uni dépasse celle du marché historique, la France. Au troisième trimestre, Kelkoo a réalisé un chiffre d'affaires de 10,4 millions d'euros, contre 3,5 millions sur la même période en 2002. Dans le même temps, le montant des ventes générées par les 2 000 marchands référencés a atteint 220 millions d'euros.

"Nous serons à l'équilibre dans douze mois", annonçait en septembre 2001 Pierre Chappaz, le PDG-fondateur de Kelkoo lors d'un chat sur le Journal du Net. Promesse tenue, puisque l'équilibre en question était bien au rendez-vous un an plus tard, selon la société. Fort diserte sur ses performances et sa croissance, celle-ci reste évidemment plus discrète sur ses résultats opérationnels (voir les chiffres-clé de Kelkoo). Pour connaitre tout des comptes audités par Ernst&Young, il faudra attendre la Bourse et ses exigences de transparence.

Fusions, acquisitions et tensions...

La start-up a vite grandi, notamment par croissance externe grâce aux rachats de plusieurs concurrents : l'espagnol DondeComprar.com et le britannique Shopgenie.com en avril 2000, le norvégien Zoomit.com en septembre 2000 ou le français Monsieur Prix en septembre dernier. Chaque matin, Pierre Chappaz surveille sur son écran le trafic de ses sites (dans l'ordre, le Royaume-Uni, la France, l'Allemagne puis les autres pays), ensuite les "leads" par pays (le nombre de visites générées vers les sites marchands, la "valeur ajoutée du trafic", dit-on chez Kelkoo, qui en a enregistré 20 millions en octobre). Et enfin le comportement des internautes (Kelkoo affirme pouvoir suivre 40% des ventes générées).

Ebay et Amazon font partie, avec Google, des sociétés auxquelles on se réfère le plus volontiers chez Kelkoo. "Ils ont démarré en 1994, cinq avant nous, rappelle fièrement Pierre Chappaz. Aujourd'hui, nous sommes la seule boîte européenne qui peut faire partie des joueurs de classe mondiale. Et nous l'avons fait en trois ans et demi." Kelkoo est désormais connu des internautes et évidemment des marchands. "Ils ont en général une bonne image de nous, car nous sommes leur principal apporteur d'affaires. Mais il y a une marge à se partager et cela génère forcément quelques tensions..."

Plusieurs des marchands que nous avons contactés, qu'ils soient voyagistes ou distributeurs de produits informatiques, ont préféré ne pas s'exprimer sur leurs relations avec l'incontournable "apporteur d'affaires". Mais son omniprésence comme ses méthodes de négociation en agacent plus d'un, contraints de consacrer en soupirant un part "défensive" de leur maigre budget de communication à leur présence sur Kelkoo. A l'inverse, Christophe Charles, de Cdiscount, présent sur le site sous forme d'affiliation depuis trois ans, estime que "Cdiscount étant positionné sur le prix, un partenariat avec eux a du sens, puisqu'il permet de nous étalonner par rapport à nos concurrents."

Bourse et Amérique : les nouvelles frontières

Ses quatre ans à peine fêtés, l'ambitieux Kelkoo n'entend pas s'arrêter là. Alors que certains des investisseurs historiques pourraient se retirer en 2004 (l'échéance de cinq ans est une moyenne habituelle chez les capitaux-risqueurs), on parle donc de plus en plus de Bourse pour la société. Le climat est favorable : aux Etats-Unis, les IPO refleurissent, et il n'y a aucune raison pour que le mouvement ne traverse pas l'Atlantique.

Pour l'instant, il est encore difficile de déterminer la valorisation possible d'un Kelkoo coté. Frédéric Humbert, General Partner chez Innovacom et administrateur de la société (lire son interview), refuse ainsi de se laisser leurrer par les valorisations avancées pour un Google ou celle d'un comparable comme Yahoo. "Yahoo est actuellement valorisé 23 fois son chiffre d'affaires. Je ne pense pas que Kelkoo vaille 23 fois 40 millions d'euros..."

Pierre Chappaz, lui, croit en ses chances, le jour où... "Nous sommes extraordinairement prévisibles, et ça plait à la Bourse. Je sais ou je serai lors de chaque prochain trimestre, même si je ne peux pas accélérer le temps." Interrogé sur ses prévisions pour les prochains trimestres, le PDG de Kelkoo affirme les réserver à ses actionnaires. Et s'il n'écarte pas la possibilité d'entrer en Bourse, il explique "ne pas y travailler pour l'instant". Reste que cette dernière serait synonyme de visibilité accrue - indispensable dans le métier de Kelkoo - et fournirait un levier précieux pour d'éventuelles acquisitions.

Car quand on a connu près de 1.300 % de hausse du chiffre d'affaires en trois ans, difficile de contenter de la croissance naturelle de l'Internet, toute soutenue soit-elle. Le marché européen est désormais bien contrôlé. La seule nouvelle frontière envisageable serait donc américaine. "Opérer un dixième pays, même les Etats-Unis, n'est pas insurmontable", affirme-ton chez Kelkoo. D'autant que le marché US est encore très éclaté entre de nombreux acteurs. Reste à trouver la bonne cible. Le premier, Shopping.zone (11,9 millions de visiteurs uniques en août, selon Nielsen) pèse en apparence deux fois l'audience de Kelkoo. Mais ce chiffre intègre le trafic au bureau et sur les autres lieux de connection (université, web bars, etc). Derrière, on trouve Yahoo Shopping et Bizrate, puis des acteurs de moindre taille : Pirateshopping (5,8 millions), NexTag (4,5 millions) ou Pricegrabber (3,9 millions).

L'aventure américaine ne fait pas forcément l'unanimité. Certains proches de la société préfèrent rappeler que Kelkoo bénéficie aujourd'hui d'une unicité technologique sur ses marchés européens qui explique en grande partie son succès. Quel serait alors, demandent-ils, l'intérêt de développer des acquisitions transatlantiques pour aller affronter Google sur ses terres...

Garder l'oeil sur la menace Google

Réponses - boursière comme américaine - dans les mois à venir. Mais en tant qu'acteur aujourd'hui européen, et peut-être mondial demain, Kelkoo n'oublie évidemment pas d'être paranoïaque. "On surveille tout ce qui peut changer les conditions de concurrence", explique Pierre Chappaz. Et de citer, dans le désordre, le comportement des internautes, les nouveaux intermédiaires comme Overture et Espotting ("Les liens sponsorisés ont tout changé, et de façon fondamentale, en confirmant la tendance lourde de qualification du trafic et en apportant un élément de maturité supplémentaire du marché"), et les autres acteurs comme Yahoo Shopping, MSN Shopping ou… Google.

Même si l'on refuse de trop s'étendre sur ce dernier, il est évident que le moteur de recherche américain occupe les esprits chez Kelkoo. L'ultime déclic a peut-être eu lieu en décembre 2002, lorsque Google a annoncé qu'il testait une déclinaison de son moteur de recherche sous forme de comparateur de prix. Baptisée Froogle, cette énième trouvaille des "Google Labs" est encore à l'état de version de test aujourd'hui. Il n'empêche que l'initiative a dû faire cogiter un peu plus du coté du comparateur.

Google s'intéressant à la comparaison, Kelkoo devait lui se renforcer sur la recherche. Alors que la société a développé son activité essentiellement sur la comparaison et le "shopping", le "search" est bien devenu l'obsession maison, des équipes de développement aux équipes marketing. En mars, la société annonçait le lancement à l'été d'un nouveau moteur maison, baptisé Kelbest. Celui-ci a été mis en place en juin mais a perdu son nom entre-temps, puisque c'est tout Kelkoo qui est devenu un "moteur de shopping".

Fier des prouesses de son moteur, Pierre Chappaz aime raconter comment cette stratégie va permettre "d'étendre la couverture produits de Kelkoo là où on n'était pas", comment elle va répondre à tous les besoins du consommateur (de l'amont à l'acte d'achat) et servir tous les types de consommateurs (du rationnel à l'impulsif). N'importe quel site marchand peut ainsi soumettre gratuitement à Kelkoo l'ensemble de ses références produits.

Le mot d'ordre : ne rien laisser au hasard

Pour mettre en place ces nouveaux outils, Kelkoo a orienté ses efforts. L'essentiel des recrutements récents s'est fait au sein des équipes techniques, regroupées à Grenoble. Une implantation qui ne doit rien au hasard : la société est née là-bas d'un essaimage de l'Inria. Le département technique emploie 60 personnes, dont 30 arrivées au cours des douze derniers mois. Il a bénéficié depuis un an d'"un investissement considérable de plusieurs millions d'euros".

Dirigé par Jean-Marc Potdevin, un historique de la maison, le département est en fait composé de cinq équipes : l'une est chargée de la R&D de base (c'est cette équipe-là qui s'occupe du moteur de recherche), une autre du développement d'agents, une troisième développe le système statistique utilisé en interne et par les partenaires, une autre s'occupe de la production et notamment des 110 serveurs, et une dernière est chargée de la qualité en développant des scénarios de tests pour chaque nouveau produit.

Aujourd'hui, le mot d'ordre est de "ne rien laisser au hasard" et de structurer l'offre de Kelkoo. "On construit une industrie, explique le PDG, même si dès le début on a évité de faire de l'artisanat." Cela passe par des bases de données plus complètes pour chaque produit, avec l'ensemble de ses spécifications techniques et un outil capable de couvrir tout le cycle d'achat.

En savoir plus

Après avoir changé de dimension, Kelkoo est maintenant en train de faire évoluer son modèle. Catalogué comme comparateur de prix, un positionnement de départ bien servi par une communication très maîtrisée, la société va maintenant s'efforcer de faire entrer dans les têtes son statut voulu de moteur de shopping (c'est d'ailleurs la baseline de son logo). "Nous sommes un moteur de shopping, mais les gens ne se saisissent pas encore de ce mot", regrette Pierre Chappaz. Prochain défi majeur pour Kelkoo : emporter, sur ce terrain-là aussi, l'adhésion des internautes, des partenaires et des financiers.

[François Bourboulon, JDNet]
 
 
  Nouvelles offres d'emploi   sur Emploi Center
Chaine Parlementaire Public Sénat | Michael Page Interim | 1000MERCIS | Mediabrands | Michael Page International
 
 

Dossiers

Marketing viral

Comment transformer l'internaute en vecteur de promotion ? Dossier

Ergonomie

Meilleures pratiques et analyses de sites. Dossier

Annuaires

Sociétés high-tech

Plus de 10 000 entreprises de l'Internet et des NTIC. Dossier

Prestataires

Plus de 5 500 prestataires dans les NTIC. Dossier

Tous les annuaires