12/11/2000
Ce qu'on n'a pas vu sur le Net
"Rien
n'arrive du jour au lendemain dans la technologie, même
si on en a l'illusion
Internet qui a paru sortir de
nulle part était en développement depuis 30
ans quand on l'a "découvert" ! "
Vinton Cerf, "père" de l'Internet
(actuellement chez MCI-WorldCom)
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L'Internet
et le Web ont une image très "hi tech" et
pourtant
Je n'ai pas peur de choquer, aussi j'affirme que l'Internet
a eu un succès mondial essentiellement parce qu'il
repose sur des technologies simples (et donc qu'il est facile
de s'approprier) mais aussi que le Web est un vecteur conservateur
!
Rien
de neuf côté client
En effet, depuis 1994, aucune innovation technique n'a réussi
à percer côté client. Ni Java, ni Flash,
ni DHTML, ni VRML n'ont réussi à prendre pied
durablement et largement au sein de nos navigateurs. Certes,
le plug-in Flash s'est bien diffusé mais pas suffisamment
pour devenir vraiment un standard.
Seul Real Networks a réussi à imposer son lecteur
de son et de vidéo (RealPlayer) mais la diffusion du
son et des images sur Internet est encore en enfance. Une
dernière exception peut être pour ICQ de Mirabilis
qui a réinventé l'IRC avant de se faire racheter
par AOL (justement parce qu'il avait réussi à
attirer des millions d'utilisateurs).
Plus
de flops que de hits !
Pour le reste, ces cinq dernières années ont
vu passer un important lot de déceptions et de non-événements
La vérité est cruelle mais on ne peut contester
les faits : l'Internet a produit plus de gros flops sur le
plan technique que de grands succès en cinq ans.
Rappelons quelques-uns de ces échecs retentissants
qu'on nous avait pourtant annoncés comme incontournables.
Cet exercice est nécessaire pour tous ceux qui s'imaginent
qu'on connaît encore mal les contours techniques de
ce qui est possible sur le Net ou qui pense pouvoir creuser
la différence grâce à une innovation logicielle.
En retard : le standard de paiement
SET (Secure Electronic Transaction)
En 1995, nombreux étaient ceux qui déclaraient
(y compris et surtout en France) " tant que SET ne sera
pas au point et disponible, on ne pourra pas faire sérieusement
du commerce électronique sur l'Internet ". Avant
même d'exister, SET était proclamé comme
LE grand standard en matière de sécurité
et les spécialistes n'avaient alors qu'un reniflement
de mépris pour SSL ramené au rang de bricolage
provisoire
Et que croyez-vous qu'il arriva ?
Comme d'habitude, c'est le bricolage provisoire qui s'est
imposé à la solution complète, parfaite
et qu'on attend toujours !
Avec ce qui s'est passé sur SET, on est en présence
de l'exemple parfait de la double méprise, fréquente
quand des décideurs effrayés rencontrent des
techniciens dogmatiques et que ce bel ensemble se mêlent
de l'Internet.
Les gens sont effectivement réticents à faire
confiance à des sites qui présentent de nombreux
problèmes, tant sur le plan de l'ergonomie que du fonctionnement.
Sur les sites correctement conçus, cette réticence
se dissipe rapidement. L'autre versant du flop de SET se trouve
dans la tête des techniciens. Les informaticiens sont
des habitués du syndrome de la solution utopique. Trop
lourd, trop compliqué, SET n'a pas encore prouvé
qu'il valait l'effort nécessaire pour l'installer et
le faire fonctionner.
En sommeil : la VOD (Video On Demand)
Avec la diffusion de film à travers l'Internet,
Hollywood allait connaître une nouvelle révolution
et les boutiques des loueurs de K7 pouvaient baisser leurs
rideaux !
En 1993/94 Microsoft et Oracle faisaient même la course
pour mettre au point le premier leurs " video server
", depuis ni l'un ni l'autre n'en parle plus.
C'est que l'impossibilité actuelle de proposer de "
la vidéo à la demande " n'est pas qu'un
problème de débit (Encore que les débits
nécessaires peuvent être importants : il faut
savoir que la transmission d'émissions pour la TV numérique
exige de 2 à 7 Mb/s de bande passante suivant la nature
des programmes : 7 pour les retransmissions des matchs de
hockey sur glace qui sont les plus gourmandes en débit
du fait de la rapidité des actions, suivent celles
des matchs de baskets avec 6 Mb/s alors que les films passent
sans problème de qualité avec 4 Mb/s, les "talk
shows" et les séquences de téléachat
peuvent se contenter de 2 Mb/s...) mais aussi et surtout de
la qualité de service offerte par l'infrastructure.
Or, Internet n'est pas un réseau axé qualité
de service
Les expériences que j'ai mené depuis 3 ans m'ont
convaincu que, bien que plus que le débit, c'est la
constance de la réception qui compte et là,
l'infrastructure a encore bien des progrès à
faire. L'Internet n'est pas encore prêt pour la "
vidéo à la demande " et c'est bien pour
cela qu'on en parle moins. Dans le même ordre d'idée,
inutile d'attendre de grands développements pour la
radio sur Internet ou pire, la télévision via
le Web.
Pour que ces canaux deviennent de véritables alternatives
aux faisceaux hertziens habituels il faudrait que l'Internet
tout entier fasse un bond en avant massif. Ce grand bond en
avant passe d'abord par la migration vers IPv6 de toute l'infrastructure.
Cette migration traîne depuis des années et tout
indique qu'elle prendra encore pas mal de temps
Evité : l'effondrement de
l'Internet
En 1996, Bob Metcalfe (inventeur du standard
Ethernet, fondateur de 3Com et désormais chroniqueur
à InfoWorld
) avait prédit l'effondrement
de l'Internet. A l'époque, ils avaient été
nombreux à le croire tant les chiffres de croissance
vertigineux laissaient penser qu'on allait droit dans le mur
Metcalfe avait en tête le bug insidieux qui allait gripper
la machine entière d'un seul coup. Ce bug pouvait se
nicher dans le logiciel des DNS qui assurent le routage du
réseau (celui-ci repose sur une série de tables
d'adresses maintenues par des routeurs qui se communiquent
automatiquement les changements de topographie).
Or ces changements sont devenus si fréquents avec la
croissance du Web qu'on assiste de temps en temps à
des "effets de bord" où les routeurs restent
bloqués en cercles de modifications réciproques
jusqu'à une intervention d'un opérateur (humain).
Metcalfe annonçait que ce type de blocage pourrait
bien arriver à grande échelle et échapper
au contrôle et à l'intervention des opérateurs
Un écroulement général pouvait donc être
redouté.
Bien sûr, il n'y a pas eu de grand effondrement. Au
contraire. Tout le monde se plaint de la lenteur du Web (au
point qu'on a surnommé le Web le " World Wide
Wait " !) mais peu de gens savent que l'Internet s'améliore
tous les ans. En effet, les statistiques prouvent que le délai
nécessaire pour la propagation d'un ping diminue régulièrement
d'années en années. Ceci dit, il ne suffit pas
que les paquets circulent de plus en plus vite sur l'épine
dorsale pour que la situation globale devienne idyllique,
on vient de le voir, des applications exigeantes comme la
vidéo à la demande exigent aussi et surtout
de la qualité de service
Peu diffusées : les set-top-box
Le PC a été le principal vecteur
d'accès au Net depuis des années mais il semble
que personne ne veuille se satisfaire de cet état de
fait. Il est vrai que, pour mettre l'Internet dans les mains
des populations " ordinaires ", le PC n'est sûrement
pas le moyen idéal : trop compliqué et trop
fragile.
C'est pourquoi certains ont imaginé un ordinateur très
simplifié, qui se raccorde directement au téléviseur
et qui se pilote avec une télécommande, les
fameux set top box, appelés ainsi à cause de
leur emplacement supposé (boite posé sur le
haut de la TV
). L'idée semble bonne et pourtant
ce marché ne décolle pas. Et ce n'est pas faute
de tentatives sérieuses. Microsoft (toujours lui !)
a dépensé plus de 300 millions de dollars pour
racheter WebTV (un producteur de Set-Top-Box) et ne ménage
pas ses efforts pour rentabiliser son investissement avec
peu de résultats jusque là.
Il y a une bonne raison à ce relatif échec :
pour tous les utilisateurs, le confort d'utilisation passe
avant la notion de sécurité des transactions.
Or, une télécommande est un très mauvais
moyen de manipuler un navigateur Web !
Pour s'en rendre compte, il suffit d'essayer, j'ai essayé.
Le Hilton qui est à côté de l'agence lyonnaise
du groupe SQLI propose un accès Internet dans ses chambres.
A 35 francs le quart d'heure, cela valait la peine de voir
ce que donnait notre site sur un téléviseur
grand écran
Peine perdue, impossible de saisir
correctement l'URL sur le clavier virtuel avec la télécommande.
J'ai alors essayé de simplement parcourir les pages
de Yahoo ou du site des Echos qui était proposées
en " bouquet de contenus ". Au bout de quelques
minutes, j'ai compris pourquoi l'accès Internet était
proposé par tranche d'un quart d'heure : je doute fort
que quiconque ait réussi à tenir plus longtemps
!
Forcément, on finira par voir arriver sur le marché
un terminal Internet destiné aux gens réfractaires
à l'utilisation d'un PC mais la bonne formule reste
encore à concevoir
Décevant
: l'accès Internet par le câble
L'accès par Internet via modem est source de grandes
frustrations à la longue : le débit est faible
et on ne peut rester connecté en continue.
Face à ses deux limites, l'accès par Internet
en passant par le câble qui sert déjà
pour la télévision à péage paraît
évident : voilà une infrastructure de réseau
qui permet [théoriquement] les hauts débits
et qui semble simple à adapter pour y ajouter l'accès
Internet.
Dans les pays où les câblo-opérateurs
sont puissants, ce raisonnement a vite conduit à de
grandes espérances. Inutile de préciser que
ces grandes espérances se sont vite transformées
en amères déceptions
L'échec de l'accès par câble provient
de deux obstacles inattendus : l'installation s'est avérée
bien plus ardue que prévue et les débits promis
n'ont pas été au rendez-vous.
Tout d'abord, on s'est rendu compte que de greffer un "
modem-câble " sur un PC était bien plus
compliqué que de configurer les modems traditionnels
(dont la mise en place est déjà souvent un cauchemar
pour les néophytes).
Même si l'installation s'est révélée
difficile, cela valait tout de même la peine pour bénéficier
des hauts débits que permet le câble, n'est-ce
pas ?
Hélas, même pas !
C'est que les débits formidables qui ont été
promis se sont finalement réduits dans des proportions
jugées inacceptables (avec, en plus, une qualité
de service bien en dessous de ce qu'on pouvait raisonnablement
exiger d'une connexion permanente
) par les utilisateurs
qui se sont souvent regroupés en associations de défense
attaquant en justice les câblo-opérateurs défaillants
Bref, une fois encore, on s'aperçoit que le mélange
des genres est rarement bénéfique et que les
questions d'infrastructure réseau sont des questions
sérieuses réclamant du temps et beaucoup d'argent
avant de produire des résultats intéressants.
Décevant : l'accès
Internet par le satellite
Comme pour le câble, l'accès Internet
par satellite a suscité beaucoup d'attentes. Et comme
pour le câble, on attend encore
Au départ, le satellite a tout pour plaire ; il se
rit du problème " des derniers kilomètres
" puisqu'une antenne parabolique suffit pour recevoir
son signal (pas besoin de poser une ligne spécialisée
jusqu'à l'abonné, un avantage déterminant)
et il offre lui aussi des débits élevés.
Hélas, une fois de plus c'est la fameuse " voie
de retour " qui pose problème
L'accès Internet est fondamentalement différent
de la diffusion télévisée (que ce soit
par câble ou par satellite) car il nécessite
une communication bidirectionnelle comme le téléphone.
Il faut donc implémenter une " voie de retour
" afin que les moyens d'émission puissent aussi
servir en réception.
Sur le câble, c'est cette voie de retour qui est à
l'origine de la plupart des problèmes. Dans le cas
du satellite, c'est pire, il faut carrément passer
part un autre chemin pour acheminer ses requêtes. Et
c'est pourquoi tous les fournisseurs d'accès Internet
par satellite vous imposent de mettre en place un accès
hybride : par un moyen classique (téléphone,
Numéris ou ligne spécialisée) pour l'émission
des requêtes et satellite pour le résultat des
requêtes (pages, images, fichiers, etc.).
Cette dualité lourde, coûteuse et compliquée
explique largement le peu de succès rencontré
par ce type d'accès et ce n'est pas prêt de changer
En
attente : une fiabilité parfaite des grands services
Tous les grands services présents sur l'Internet ont
connu des défaillances plus ou moins graves et plus
ou moins longues. On se souvient des difficultés d'accès
à AOL début 97 mais bien d'autres fournisseurs
d'accès ont également souffert de défaillances.
Le service d'email via le Web, Hotmail (racheté par
Microsoft lors de l'été 97) a connu plusieurs
interruptions de services en 99. Ebay, le principal services
d'enchères et Etrade, un service de bourse en ligne,
ont connu aussi des interruptions qui ont été
largement médiatisées. En fait, il faut s'attendre
à voir se multiplier des défaillances de ce
type vu les volumes en jeu (en France, c'est Ibazar qui fut
submergé après une campagne de publicité
télévisée
). L'Internet peut provoquer
des effets d'échelle inconnus jusqu'alors, il faudra
s'y habituer.
Ephémère
: le succès du "push"
En 1999 on a connu la mode des " portails
" mais en 1997 on a connu une mode encore plus forte
et encore plus passagère : le push.
PointCast, son inventeur et principal promoteur, ne pu profiter
de la vague trop brève pour s'introduire en bourse
et NetCaster de Netscape ne fut qu'une brillante démonstration
de la lenteur de Java côté client. De son côté,
Microsoft fit aussi un beau flop avec les " Channels
" équipant la version 4.0 d'Internet Explorer.
Ces canaux, qui avaient été vendus fort chers
à des médias connus, ne connurent pas la moindre
popularité. Fin de l'épisode push.
Comment expliquer que le push ait ainsi fait long feu ?
En fait, ce n'est pas le cas, c'est même le contraire
: le push est bien vivant, il est efficace et très
utilisé. Car le vrai push, c'est l'email, tout simplement.
Il existe de nombreuses newsletters qui ne sont diffusées
que par emails et qui rencontrent un franc succès.
Ce qui n'a pas marché, c'est ce push artificiel basé
sur des logiciels spécifiques. Le push, comme le reste
des applications de l'Internet, a eu sa période technoïde
avant de trouver sa forme finale : simple et standard.
On vient
de le voir, le Web n'est pas le creuset des révolutions
techniques et il ne faut pas trop attendre de l'Internet dans
ce sens. En revanche, il faut réaliser que le Net était
déjà très présent dans notre paysage
et que les acteurs qui ont compris ce que le Net pouvait apporter
et qui exécutent correctement creusent l'écart
avec ceux qui, sans le savoir la plupart du temps, sont laissé
de côté par les consommateurs exigeants.
J'ai pris conscience que le Net était devenu un élément
puissant de ma vie quotidienne récemment en conduisant
mes fils à leur école. En écoutant la
radio pendant le trajet en voiture, j'entend le journaliste
de France Inter faire allusion à une chronique diffusée
quelques jours plus tôt. Le sujet de cette chronique
m'intéressant, je me connecte au site Web de France
Inter peu après afin de consulter les archives et de
pouvoir entendre -en Real Audio- l'émission manquée.
Au bout de quelques minutes, je comprends que l'émission
tourne autour d'un livre que je m'empresse de commander sur
le site d'Eyrolles.com. Pas encore tout à fait un "style
de vie Web" mais on s'en rapproche !
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