JURIDIQUE 
L'externalisation, contrat du troisième type
par Maître Isabelle Renard
August & Debouzy (27 mars 2003)
         
 
Caesar pontem fecit

Cauchemar des latinistes : Cesar le fait-il lui même, ce pont, ou le fait-il faire ? Voilà en une phrase résumée toute la problématique de l'externalisation, cette opération vieille comme le monde qui consiste à faire réaliser par un tiers plus compétent une activité nécessaire à son entreprise.

L'externalisation (ou "infogérance", ou "outsourcing", ou encore "facility management") n'est pas une nouveauté. Mais les contrats correspondant ont mal vieilli, la doctrine sur le sujet est peu abondante et les entreprises qui souhaitent s'engager dans ce type d'opération ont peine à en cerner les contours. C'est seulement maintenant que l'on commence à exploiter les retours d'expérience pour élaborer des contrats plus adaptés et plus efficaces.

A ses débuts, l'infogérance était un contrat de services relativement simple, dont l'objet était circonscrit aux services généraux de l'entreprise (nettoyage, restauration, gardiennage, accueil-réception…). Dans le domaine bancaire au début des années 1980, c'étaient les activités à forte composante technique ou industrielle qui étaient externalisées, comme le traitement des chèques ou les réseaux de place. Puis certaines activités de back office ont été confiées à un tiers (comme le crédit hypothécaire par exemple), avant de voir se développer dans les années 1995 l'infogérance totale ou sélective du système d'information de la banque.

Dans son concept actuel, l'infogérance est devenue une relation de partenariat complexe dans le cadre de laquelle l'infogérant peut s'intégrer à tous les niveaux de la chaîne de valeur de son client en prenant en charge une ou plusieurs activités de l'entreprise de façon totalement transparente vu de l'extérieur : sauf à vouloir en faire publicité, les tiers n'ont pas connaissance de l'existence de l'infogérant. Les domaines dont la gestion est confiée à un tiers reposent le plus souvent sur des systèmes d'information, mais c'est surtout en terme de résultat sur son économie globale que l'opération sera envisagée, indépendamment de l'aspect technique de son support informatique. Pour autant, l'aspect technique de l'opération d'infogérance reste prégnant, car l'évolution rapide des systèmes d'information et de télécommunication oblige à trouver un équilibre délicat entre les intérêts respectifs des parties.

Parmi les multiples facettes que présentent ces opérations très spécifiques, nous avons choisi de nous arrêter sur deux aspects : l'un est celui de la modification du "champ contractuel" au cours de l'exécution du contrat, et l'autre celui de l'étendue de la responsabilité de l'infogérant au regard des évolutions jurisprudentielles récentes en la matière.

1 - Une opération d'infogérance est un partenariat à long terme, et les premiers contrats laissaient peu d'ouverture à la possibilité de changer les règles du jeu en cours d'exécution. Fidèles à la tradition classique du contrat, les parties devaient s'en tenir aux conditions de départ de leur coopération : un service défini, rendu pour un prix fixé une fois pour toute. Il s'est vite avéré que cette rigidité, souvent favorable aux prestataires, ne convenait pas aux clients, qui souhaitaient modifier à la baisse le périmètre des services, ou considéraient le service rendu trop cher par rapport à la concurrence. Contrairement à ce qu'on pourrait penser, un outil contractuel trop rigide n'est pas non plus en faveur des prestataires car pour sortir du contrat, le client n'hésite pas à bloquer les factures, invoquant de prétendues inexécutions afin de "rentrer" dans la seule possibilité de sortie laissée par le contrat, à savoir la résiliation pour faute.

Force est de reconnaître que ces contrats ne fonctionnent que s'ils contiennent les agents de leur propre évolution, et nous allons nous arrêter sur trois d'entre eux : la clause de sortie anticipée avec dédit, la clause de benchmarking et la clause de hardship.

La clause de sortie anticipée avec dédit ne pose aucun problème, sauf celui justement du calcul du dédit. En pratique, pour autant qu'il ait été envisagé, le montant du dédit est souvent évalué sans réalisme au moment de la conclusion du contrat, ce qui ne manque pas de poser problème lorsqu'il faut en faire application. Nous ne saurions trop conseiller de le faire reposer sur des éléments factuels, difficiles à remettre en question lors de leur mise en œuvre : valeur résiduelle des amortissements réalisés par l'infogérant, et coût d'inoccupation de son personnel pendant une période de latence raisonnable par exemple.

La clause de benchmarking permet au client de comparer le prix des services fournis par son prestataire avec ceux qui lui seraient consenti, pour des services équivalents, par des prestataires concurrent. Si le résultat de l'étude de benchmarking fait apparaître un écart de prix trop important (plus de 10% par exemple), l'infogérant sera tenu de s'aligner, faute de quoi le client pourra résilier le contrat. Simple dans son principe, cette clause est évidemment la bête noire des infogérants, qui l'acceptent avec réticence et l'entourent de multiples précautions. Il nous semble en réalité que le benchmarking n'est adapté qu'aux situations simples et aux prestations facilement individualisables : dès lors que le service est sophistiqué et les prestations très imbriquées, il est extrêmement difficile d'en obtenir des cotations réalistes de la part de tiers qui auront bien entendu tout intérêt à minimiser leurs prix dans le cadre d'une telle réponse.

Reste la clause de hardship, bien connue des familiers des grands contrats internationaux, qui offre aux parties la possibilité de se rapprocher pour négocier lorsque les circonstances économiques, financières ou législatives modifient l'économie des rapports contractuels dans une mesure telle que l'exécution du contrat devient très préjudiciable à l'une des parties. Rien de plus naturel, dira-t-on, que les parties se rencontrent lorsque l'une d'entre elles rencontre une difficulté, et il ne sert pas à grand chose de l'écrire dans le contrat. Nous ne partageons pas cet avis : la clause de hardship permet d'encadrer avec précision les conditions dans lesquelles les parties s'obligent mutuellement à discuter l'économie du contrat, et évitent les formulations alambiquées par lesquelles le prestataire s'engagerait à partager le risque" du contrat avec le client en cas d'évènements imprévus, dont le caractère vague et général laisse la place à des interprétations incertaines.


2 -
Le second volet que nous souhaitons aborder ici est celui de la responsabilité. La plupart des contrats de prestations de service, et l'infogérance n'y fait pas exception, comprennent la classique exclusion de responsabilité par laquelle le prestataire ne serait pas tenu de réparer les dommages indirects, comprenant les préjudices commerciaux, les préjudices financiers, les préjudices d'image, etc …

Par cette formulation innocente, le prestataire exclut purement et simplement du champ de sa responsabilité les seuls dommages directs qui résultent de l'inexécution de la convention d'infogérance, à savoir les préjudices financiers. En effet, le plus souvent, un défaut grave dans l'exécution des services (arrêt du système d'information pendant douze heures par exemple), se traduit directement par une perte du chiffre d'affaire d'une journée pour le client (qui ne serait donc pas indemnisable, puisque c'est un préjudice financier …).

Nous ne pensons pas que ces clauses soient de bonne pratique, non seulement pour les clients mais également pour les infogérants. En effet, depuis le fameux arrêt Chronopost, et sur des fondements divers (le plus souvent la faute lourde), les tribunaux invalident ce type d'exonération de responsabilité et les prestataires se retrouvent tenus à réparation de l'entier dommage, là où une clause limitative de responsabilité prévoyant un montant d'indemnisation raisonnable n'aurait pas été remise en cause et aurait permis de limiter la réparation à un certain montant.

Il nous semble en conséquence que ces exclusions déguisées de responsabilité sont à bannir dans les contrats d'infogérance, et qu'il est beaucoup plus pertinent de s'attacher à y introduire des clauses limitatives de responsabilité dont le montant plafond est raisonnablement calculé par rapport à une conséquence de l'inexécution des prestations considérées : le client a ainsi une vision claire de la réparation qu'il peut espérer, et le prestataire peut souscrire une assurance civile professionnelle sur la base de montants qui ne risqueront pas d'être dépassés.


Les contrats d'externalisation sont en conclusion, et à notre avis, parmi les plus sophistiqués de ceux qui gravitent autour des systèmes d'information. Ils touchent à des domaines du droit très différents (droit des obligations, droit social, droit fiscal) et il est difficile d'en apprécier les véritables écueils sans le recul de l'expérience, ce qui est le cas de la plupart des clients qui se livrent à ce type d'opération. Caesar pontem fecit, mais pas tout seul …

 

 
 Isabelle Renard
 
 

  Nouvelles offres d'emploi   sur Emploi Center
Chaine Parlementaire Public Sénat | Michael Page Interim | 1000MERCIS | Mediabrands | Michael Page International

Voir un exemple

Voir un exemple

Voir un exemple

Voir un exemple

Voir un exemple

Toutes nos newsletters