JURIDIQUE
PAR Me SYLVAIN STAUB
Le co-développement de logiciel : copropriété ou indivision, mais toujours complication
Le développement d'un logiciel, d'un système expert ou d'une œuvre multimédia est souvent réalisé en commun par différentes personnes. Selon la qualité des contributeurs, la nature des contributions et les éléments développés, le régime juridique de l'œuvre réalisée et les modalités d'exploitation seront très différents.

Dans tous les cas, l'objectif est que chacun puisse protéger et tirer profit de ses investissements. Et qu'en cas de difficulté, les réalisations et les intérêts de chacun soient préservés. 
(14/04/2004)
 
Avocat à la Cour, cabinet Staub & Associés
Article précédent :
Mettre en place un projet informatique en mode ASP
(17/03/2004)
   Le site
Lui écrire

Le logiciel est une œuvre de l'esprit, protégée en tant que telle par le Code de la propriété intellectuelle. Lorsqu'il est créée à plusieurs, et en dehors des cas de création par des salariés, il peut parfois être considéré comme une œuvre de collaboration. A défaut, le logiciel sera soumis au régime général de l'indivision. Et chacun sait qu'être en indivision est particulièrement contraignant …

1. Le recours limité au régime de l'œuvre de collaboration
Lorsque les développements sont réalisés par plusieurs personnes physiques indépendantes, il peut être fait application du régime de l'œuvre dite " de collaboration ", prévu par le Code de la propriété intellectuelle (CPI, article L.113-2.1). Chaque contributeur peut alors être considéré comme coauteur si la création a été réalisée dans une communauté d'esprit. L'œuvre de collaboration est une copropriété commune des coauteurs, qui devront exercer leurs droits d'un commun accord. Le contrat entre les coauteurs devra donc notamment prévoir la nature des contributions de chacun, les modalités d'exploitation commune et les possibilités éventuelles d'exploitation séparée.

En revanche, lorsqu'il n'est pas développé exclusivement par des personnes physiques, le logiciel ne peut plus être une œuvre de collaboration, et ne peut donc plus bénéficier du régime spécifique de la copropriété prévu par le CPI.

Il devra alors tenter de suivre le régime de droit commun de l'indivision conventionnelle, tout en reprenant les principes classiques de la propriété intellectuelle.

2. L'indivision conventionnelle
Il est possible de considérer qu'il y a indivision lorsque plusieurs personnes physiques ou morales, dites indivisaires, possèdent sur un logiciel des droits de même nature, chacune pour une part qui ne peut être matériellement isolée. Cette indivision, provenant de la seule volonté des parties, est nécessairement conventionnelle. Elle suppose qu'un contrat écrit et détaillé soit conclu conformément aux articles 1873-1 et suivants du Code civil.

L'application du régime de l'indivision permettra de définir les relations entre partenaires qui décident de mettre en commun les droits patrimoniaux dont ils sont respectivement titulaires, mais ne permettra toutefois pas de leur donner la qualité de coauteurs.

   Le financement de l'œuvre
La répartition du financement commun d'un logiciel est d'autant plus complexe que les contributions des indivisaires sont nombreuses et variées : matériel, bases de données, moyens humains, sous-traitance techniques…

Bien plus, dès lors que le logiciel développé en commun constitue un tout indivis, les co-indivisaires auront grandement intérêt à avoir des parts d'indivision égales entre eux. A défaut, en cas de rupture des relations et de liquidation-partage concernant le logiciel, il y aura un décalage entre les différentes participations au financement et le caractère indivis du logiciel. Il ne sera donc plus possible de considérer que chaque indivisaire peut, de manière autonome, conserver et exploiter l'ensemble du logiciel dans sa dernière version.

En conséquence, il sera largement préférable que le financement des développements, des évolutions et de l'exploitation soit équilibré entre les parties. Il conviendra dans tous les cas de tenir une comptabilité spécifique, comparable par exemple aux projets audio-visuels, et selon les règles générales de l'indivision.

   L'intérêt et les pouvoirs du gérant de l'indivision
Le contrat de co-développement, reprenant sur ce point les modalités des règlements d'indivision, peut définir les conditions de nomination, de révocation ainsi que les pouvoirs d'un gérant chargé de représenter les indivisaires et d'administrer l'indivision. Toutefois, le gérant ne peut avoir pour mission que d'assurer la gestion courante du logiciel indivis, les indivisaires ne pouvant, sous peine de nullité, lui conférer de pouvoirs plus étendus.

En matière de logiciel, la question sera notamment de définir dans quelle mesure le gérant pourra, dans le cadre de sa mission, octroyer seul des licences sur le produit. S'il ne s'agit que de licences d'utilisation concédées dans le cadre normal de l'exploitation du logiciel, il pourrait être considéré que le gérant reste dans sa mission de gestion courante. En revanche, il semble que l'accord préalable de tous les indivisaires soit requis lorsqu'il s'agit de concéder une licence exclusive d'exploitation, et, a fortiori, de céder l'ensemble des droits sur le logiciel.

3. La titularité des droits incorporels
En parallèle des règles propres à l'indivision, le recours au Code de la propriété intellectuelle permettra de définir la titularité des droits incorporels.

   L'identification précise des contributions
Le développement d'un logiciel, d'un système expert ou d'une œuvre multimédia suppose la réunion de contributions souvent très différentes, dont toutes ne sont pas nécessairement protégeables par le droit d'auteur. Il revient donc à chaque contributeur d'identifier clairement son apport et de faire valoir les droits de propriété intellectuelle dont il dispose à la fois sur celui-ci et sur le fruit des différentes contributions.

Ainsi, il peut être particulièrement important pour une entreprise dont l'apport à un projet commun consiste principalement en une expertise scientifique ou une méthodologie, de faire reconnaître ses droits auprès de l'entreprise dont la contribution aura notamment été de procéder à l'écriture des lignes de code. C'est en effet cette dernière qui disposera des éléments matériels susceptibles de protection, alors que la première pourra être considérée comme n'ayant apporté que des " idées ", en elles-mêmes non protégeables.

A l'inverse, les simples prestations d'écriture de lignes de code, de changement de format ou de traduction de langage de programmation pourraient être considérées comme non protégeables car non empruntes de la " personnalité de leurs auteurs ".

Il conviendra donc de décrire très précisément le processus de conception et de développement du logiciel afin de pouvoir identifier, à chaque étape de la production, les éléments protégeables de chacun et les droits sur l'ensemble.

   Le périmètre de l'œuvre commune
Une fois les différentes contributions définies et décrites, il convient de figer le périmètre de l'œuvre commune. Devront ainsi être exclus, si besoin est, les outils de développement propriétaires, les apports restant autonomes ainsi que les œuvres préexistantes pour lesquels les droits sont cédés conformément au régime des œuvres composites.

Sur l'ensemble du périmètre de l'œuvre commune, il ne sera plus possible d'attribuer à chaque contributeur un droit distinct sur le logiciel. Chacun d'entre eux bénéficiera donc des droits de propriété intellectuelle sur l'ensemble.

En cas de rupture des relations entre les partenaires, ils devront tous théoriquement pouvoir disposer d'une copie de la dernière version du logiciel commun, afin de pouvoir en poursuivre le développement et l'exploitation de manière autonome.

Les conséquences de la sortie de l'indivision doivent donc être précisément prévues et notamment les modalités et conditions dans lesquelles les anciens partenaires pourront, de manière parallèle, faire évoluer le logiciel et poursuivre son exploitation.

   Le dépôt régulier du logiciel et de ses outils de conception
Le dépôt des différentes versions majeures du logiciel et des outils de conception est indispensable pour au moins trois raisons : la traçabilité des différentes contributions, la définition de référentiels incontestables sur lesquels porte l'indivision et la capacité de faire valoir ses droits face aux tiers.

Toutefois, compte-tenu de la spécificité du développement logiciel et de la complexité des procédures de revendication de droit, par un indivisaire ou par un tiers, il importe que le dépôt soit fait auprès d'une société capable d'auditer et de séquestrer non seulement le produit fini mais aussi chacune des étapes, des outils et des documents de conception. C'est ainsi, par exemple, que le système de dépôt logiciel de la société Logitas prévoit généralement un test de compilation/génération/exécution à partir des sources, makefiles et DLL, afin de vérifier que les éléments déposés sont complets et que les procédures et environnements de développement et de fonctionnement sont clairement définis.


C'est donc en combinant à la fois les principes du Code de la propriété intellectuelle et ceux du Code civil qu'il sera possible à plusieurs entreprises de sécuriser par contrat et par dépôt(s) le partenariat visant à créer en commun un logiciel. A défaut, le risque est grand qu'un contributeur ne puisse faire valoir ses droits sur son apport, se retrouve exclu des modalités d'exploitation de l'œuvre à laquelle il a contribué et ne puisse assurer de retour sur son investissement.


Sylvain Staub
 
 

Accueil | Haut de page

 

  Nouvelles offres d'emploi   sur Emploi Center
Auralog - Tellmemore | Publicis Modem | L'Internaute / Journal du Net / Copainsdavant | Isobar | MEDIASTAY

Voir un exemple

Voir un exemple

Voir un exemple

Voir un exemple

Voir un exemple

Toutes nos newsletters