Le logiciel est une uvre de l'esprit, protégée en tant que telle par le Code
de la propriété intellectuelle. Lorsqu'il est créée à plusieurs, et en dehors
des cas de création par des salariés, il peut parfois être considéré comme une
uvre de collaboration. A défaut, le logiciel sera soumis au régime général de
l'indivision. Et chacun sait qu'être en indivision est particulièrement contraignant
1. Le recours limité au régime de l'uvre de collaboration
Lorsque les développements sont réalisés par plusieurs
personnes physiques indépendantes, il peut être fait application
du régime de l'uvre dite " de collaboration ", prévu
par le Code de la propriété intellectuelle (CPI, article L.113-2.1).
Chaque contributeur peut alors être considéré comme coauteur
si la création a été réalisée dans une communauté
d'esprit. L'uvre de collaboration est une copropriété commune
des coauteurs, qui devront exercer leurs droits d'un commun accord. Le contrat
entre les coauteurs devra donc notamment prévoir la nature des contributions
de chacun, les modalités d'exploitation commune et les possibilités
éventuelles d'exploitation séparée.
En revanche, lorsqu'il n'est pas développé exclusivement par
des personnes physiques, le logiciel ne peut plus être une uvre de
collaboration, et ne peut donc plus bénéficier du régime
spécifique de la copropriété prévu par le CPI.
Il devra alors tenter de suivre le régime de droit commun de l'indivision
conventionnelle, tout en reprenant les principes classiques de la propriété
intellectuelle.
2. L'indivision conventionnelle
Il est possible de considérer qu'il y a indivision lorsque plusieurs
personnes physiques ou morales, dites indivisaires, possèdent sur un logiciel
des droits de même nature, chacune pour une part qui ne peut être
matériellement isolée. Cette indivision, provenant de la seule volonté
des parties, est nécessairement conventionnelle. Elle suppose qu'un contrat
écrit et détaillé soit conclu conformément aux articles
1873-1 et suivants du Code civil.
L'application du régime de l'indivision permettra de définir
les relations entre partenaires qui décident de mettre en commun les droits
patrimoniaux dont ils sont respectivement titulaires, mais ne permettra toutefois
pas de leur donner la qualité de coauteurs.
Le financement de l'uvre
La répartition du financement commun d'un logiciel est d'autant plus complexe
que les contributions des indivisaires sont nombreuses et variées : matériel,
bases de données, moyens humains, sous-traitance techniques
Bien plus, dès lors que le logiciel développé en commun
constitue un tout indivis, les co-indivisaires auront grandement intérêt
à avoir des parts d'indivision égales entre eux. A défaut,
en cas de rupture des relations et de liquidation-partage concernant le logiciel,
il y aura un décalage entre les différentes participations au financement
et le caractère indivis du logiciel. Il ne sera donc plus possible de considérer
que chaque indivisaire peut, de manière autonome, conserver et exploiter
l'ensemble du logiciel dans sa dernière version.
En conséquence, il sera largement préférable que le financement
des développements, des évolutions et de l'exploitation soit équilibré
entre les parties. Il conviendra dans tous les cas de tenir une comptabilité
spécifique, comparable par exemple aux projets audio-visuels, et selon
les règles générales de l'indivision.
L'intérêt
et les pouvoirs du gérant de l'indivision
Le contrat de co-développement, reprenant sur ce point les modalités
des règlements d'indivision, peut définir les conditions de nomination,
de révocation ainsi que les pouvoirs d'un gérant chargé de
représenter les indivisaires et d'administrer l'indivision. Toutefois,
le gérant ne peut avoir pour mission que d'assurer la gestion courante
du logiciel indivis, les indivisaires ne pouvant, sous peine de nullité,
lui conférer de pouvoirs plus étendus.
En matière de logiciel, la question sera notamment de définir
dans quelle mesure le gérant pourra, dans le cadre de sa mission, octroyer
seul des licences sur le produit. S'il ne s'agit que de licences d'utilisation
concédées dans le cadre normal de l'exploitation du logiciel, il
pourrait être considéré que le gérant reste dans sa
mission de gestion courante. En revanche, il semble que l'accord préalable
de tous les indivisaires soit requis lorsqu'il s'agit de concéder une licence
exclusive d'exploitation, et, a fortiori, de céder l'ensemble des droits
sur le logiciel.
3. La titularité des droits incorporels
En parallèle des règles propres à l'indivision, le recours
au Code de la propriété intellectuelle permettra de définir
la titularité des droits incorporels.
L'identification
précise des contributions
Le développement d'un logiciel, d'un système expert ou d'une uvre
multimédia suppose la réunion de contributions souvent très
différentes, dont toutes ne sont pas nécessairement protégeables
par le droit d'auteur. Il revient donc à chaque contributeur d'identifier
clairement son apport et de faire valoir les droits de propriété
intellectuelle dont il dispose à la fois sur celui-ci et sur le fruit des
différentes contributions.
Ainsi, il peut être particulièrement important pour une entreprise
dont l'apport à un projet commun consiste principalement en une expertise
scientifique ou une méthodologie, de faire reconnaître ses droits
auprès de l'entreprise dont la contribution aura notamment été
de procéder à l'écriture des lignes de code. C'est en effet
cette dernière qui disposera des éléments matériels
susceptibles de protection, alors que la première pourra être considérée
comme n'ayant apporté que des " idées ", en elles-mêmes
non protégeables.
A l'inverse, les simples prestations d'écriture de lignes de code, de
changement de format ou de traduction de langage de programmation pourraient être
considérées comme non protégeables car non empruntes de la
" personnalité de leurs auteurs ".
Il conviendra donc de décrire très précisément
le processus de conception et de développement du logiciel afin de pouvoir
identifier, à chaque étape de la production, les éléments
protégeables de chacun et les droits sur l'ensemble.
Le
périmètre de l'uvre commune
Une fois les différentes contributions définies et décrites,
il convient de figer le périmètre de l'uvre commune. Devront
ainsi être exclus, si besoin est, les outils de développement propriétaires,
les apports restant autonomes ainsi que les uvres préexistantes pour
lesquels les droits sont cédés conformément au régime
des uvres composites.
Sur l'ensemble du périmètre de l'uvre commune, il ne sera
plus possible d'attribuer à chaque contributeur un droit distinct sur le
logiciel. Chacun d'entre eux bénéficiera donc des droits de propriété
intellectuelle sur l'ensemble.
En cas de rupture des relations entre les partenaires, ils devront tous théoriquement
pouvoir disposer d'une copie de la dernière version du logiciel commun,
afin de pouvoir en poursuivre le développement et l'exploitation de manière
autonome.
Les conséquences de la sortie de l'indivision doivent donc être
précisément prévues et notamment les modalités et
conditions dans lesquelles les anciens partenaires pourront, de manière
parallèle, faire évoluer le logiciel et poursuivre son exploitation.
Le
dépôt régulier du logiciel et de ses outils de conception
Le dépôt des différentes versions majeures du logiciel et
des outils de conception est indispensable pour au moins trois raisons : la traçabilité
des différentes contributions, la définition de référentiels
incontestables sur lesquels porte l'indivision et la capacité de faire
valoir ses droits face aux tiers.
Toutefois, compte-tenu de la spécificité du développement
logiciel et de la complexité des procédures de revendication de
droit, par un indivisaire ou par un tiers, il importe que le dépôt
soit fait auprès d'une société capable d'auditer et de séquestrer
non seulement le produit fini mais aussi chacune des étapes, des outils
et des documents de conception. C'est ainsi, par exemple, que le système
de dépôt logiciel de la société Logitas prévoit
généralement un test de compilation/génération/exécution
à partir des sources, makefiles et DLL, afin de vérifier que les
éléments déposés sont complets et que les procédures
et environnements de développement et de fonctionnement sont clairement
définis.
C'est donc en combinant à la fois les principes du Code de la propriété
intellectuelle et ceux du Code civil qu'il sera possible à plusieurs entreprises
de sécuriser par contrat et par dépôt(s) le partenariat visant
à créer en commun un logiciel. A défaut, le risque est grand
qu'un contributeur ne puisse faire valoir ses droits sur son apport, se retrouve
exclu des modalités d'exploitation de l'uvre à laquelle il
a contribué et ne puisse assurer de retour sur son investissement.
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