Maintenant que les effets de la bulle Internet
sont définitivement retombés, il est peut-être
temps d'analyser sereinement l'impact du réseau
et de l'emploi généralisé des technologies de
l'information sur la vie économique. C'est précisément
ce qu'a réalisé le Conseil d'analyse économique
dans son rapport La société de l'information*.
Dans ce document imposant, on soutient que la
révolution numérique n'est pas seulement une révolution
de l'information et de la communication, mais
bien une troisième révolution industrielle. Ainsi,
le fonctionnement et les usages actuels du système
Internet constituent une sorte de "laboratoire",
préfigurant des phénomènes qui régiront à terme
une part importante des activités socioéconomiques.
Parmi ces phénomènes moteurs de la "révolution
numérique", figurent notamment l'émergence de
l'entreprise en réseau, l'autonomisation croissante
du travail, le rôle accru des marchés financiers
dans l'innovation, la recomposition de la gestion
des savoirs et de la connaissance.
La principale qualité de ce document officiel
est d'établir un bilan objectif des "grandes idées"
lancées dans les années 1990. Ainsi le concept
- utopiste - d'entreprise virtuelle s'est progressivement
affiné pour tenir compte du fait que l'Internet,
les intranets et les places de marché électroniques
pouvaient concrètement servir de base à
des services d'interaction. Finalement, comment
peut-on schématiser le fonctionnement de cette
économie de l'information ? Les auteurs du rapport
estiment qu'elle exerce son influence sur trois
types de marché :
Un marché final reposant moins sur des
échanges d'informations entre l'offre et la demande
que sur l'apprentissage réciproque obtenu par
des interactions entre les consommateurs et organisé
par des "infomédiaires", plus ou moins liés aux
producteurs-assembleurs ; les consommateurs acquièrent
une représentation de l'offre nouvelle en participant
à sa définition, ainsi qu'à sa distribution (sous
la forme d'échanges gratuits ou faiblement payants
du type MP3 pour la partie purement informationnelle)
;
Un marché intermédiaire sur lequel, à partir
d'une représentation de la demande et de l'état
des techniques, se coordonnent trois types d'acteurs
: les assembleurs, cherchant à définir les "écosystèmes"
de la demande ; les producteurs de commodités
tirant parti d'économies d'échelle fortes ; et
les équipes chargées de l'innovation, travaillant
en contact avec la recherche scientifique et participant
de sa logique d'information ouverte ;
Un méta-marché, déjà sensible pour les
biens informationnels purs, comme les logiciels
ou les contenus (images animées, jeux, musique,
etc.), qui réalise le couplage entre la recherche
et l'élaboration des prototypes d'une part, et
les premiers consommateurs (en quelque sorte,
des "bétatesteurs") d'autre part ; ce couplage
ouvre la voie à une économie où les phases de
consommation et de production ne seraient pas
aussi clairement distinctes qu'elles le sont aujourd'hui.
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Révolution
industrielle certes, si l'on parvient à
réduire la fracture numérique
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Loin de se lancer dans une apologie de la technologie,
les auteurs du rapport La société de l'information
sont bien conscients que ces modèles économiques
fonctionneront à plein uniquement si l'équipement
des entreprises et des foyers est conséquent.
Pour réduire l'écart entre ceux qui ont accès
au Web et ceux qui ne l'ont pas, ce que l'on appelle
la fracture numérique, les auteurs du rapport
avancent différentes propositions :
Ils estiment tout d'abord que la politique actuellement
poursuivie en France pour introduire les TIC dans
le système éducatif, notamment à l'école primaire,
reste encore très insuffisante, et ils demandent
que soit amplifié et soutenu l'effort des collectivités
locales en matière d'équipement des écoles, afin
de réduire les disparités existantes et se rapprocher
des meilleures pratiques européennes;
En matière de formation des adultes, les auteurs
préconisent, outre l'ouverture des classes informatiques
des écoles et lycées aux parents, le développement
de la politique déjà engagée "d'espaces numériques
publics", en labellisant et en subventionnant
les initiatives locales qui émanent de différentes
associations et institutions (bibliothèques, MJC,
centres sociaux
) ;
S'agissant du développement de l'équipement des
ménages, ils recommandent que l'État invite les
grands distributeurs à proposer une offre intégrée
d'entrée de gamme, comprenant micro-ordinateur,
accès à l'Internet et maintenance, et qu'il accompagne
cette offre d'une subvention publique ciblée vers
les ménages modestes ayant des enfants scolarisés.
L'intention est louable. Mais elle n'est pas
sans rappeler le plan Informatique pour tous
des années 1980. Espérons que l'histoire ne se
répétera pas car ce dernier s'était soldé par
un échec cuisant.
*La société de
l'information, Nicolas Curien et Pierre-Alain
Muet, Rapport du Conseil d'analyse économique,
édité par la Documentation française, 312 pages.
Document au format pdf téléchargeable.
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