JURIDIQUE 
PAR ILIANA BOUBEKEUR
Le projet de loi DADVSI et ses implications
Eclairage sur le projet de loi "relatif au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information", avant son examen à l'Assemblée nationale.  (14/12/2005)
 
Avocate aux barreaux de Paris et New-York, correspondante Juriscom.net.
Cabinet Rojinsky
Le projet de loi "relatif au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information" fait couler beaucoup d'encre à la veille de son examen prévu à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale des 20 et 21 décembre prochains. Mais que prévoit ce texte et que va changer, en droit français, son adoption a priori prochaine ?

Déposé le 12 novembre 2003 à l'Assemblée nationale, ce projet de loi a pour objet - essentiel et originel - de transposer la directive européenne 2001/29/CE du Conseil et du Parlement européen "sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information".

Cette directive a été adoptée le 22 mai 2001 dans le but de favoriser le développement de la société de l'information, et a traduit les engagements internationaux pris par les Etats membres sur cette question au sein des Traités sur le droit d'auteur et les droits voisins adoptés en 1996 dans le cadre de l'Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI).

 
"Le périmètre du projet de loi a été étendu à d'autres dispositions n'ayant pas nécessairement un rapport direct avec le numérique"
 

Mais le périmètre du projet de loi a été étendu à d'autres dispositions n'ayant pas nécessairement un rapport direct avec le numérique.

Non moins importantes - quoique passées semble-t-il quelque peu inaperçues -, ces dispositions reconnaissent par exemple expressément aux agents publics la qualité d'auteur pour les œuvres réalisées dans le cadre de leurs fonctions, prennent en compte l'incidence des nouvelles technologies de l'information sur le régime du dépôt légal, et précisent les modalités de contrôle par les pouvoirs publics des sociétés de gestion collective. A n'en pas douter, ces dispositions ne devraient pas provoquer de débats majeurs lors de l'examen du projet de loi.

Quant à la partie relative à la transposition de la directive à proprement parler, elle se trouve dans le titre I du projet de loi. L'objectif poursuivi par la directive consiste à harmoniser et à adapter les législations des Etats membres relatives au droit d'auteur aux impacts liés à l'émergence des nouvelles technologies, de manière à maintenir un "niveau élevé de protection de la propriété intellectuelle", jugée importante pour stimuler la commercialisation des nouveaux produits et services de la société de l'information. Fidèle à la directive, le projet de loi se propose de "trouver les voies permettant une diffusion plus large de la culture tout en préservant les droits des créateurs".

 
"Le projet de loi modifie peu le régime actuel des exceptions au droit d'auteur prévues à l'article L. 122-5 du CPI"
 

Le projet de loi modifie - peu - le régime actuel des exceptions au droit d'auteur prévues à l'article L. 122-5 du Code de la propriété intellectuelle ("CPI"), puisqu'elle ne prévoit de créer que deux nouvelles exceptions, et d'en compléter une troisième.

La première, rendue obligatoire par la directive, concerne les actes de reproduction provisoire qui présentent un caractère accessoire ou transitoire, lorsqu'ils constituent une partie intégrante et essentielle d'un procédé technique et ont pour unique objet de permettre l'utilisation licite de l'œuvre ou sa transition entre tiers par la voie d'un réseau faisant appel à un intermédiaire.

Il s'agit en réalité des copies effectuées lors de prélecture "caching", copies temporaires des pages les plus consultées réalisées par les FAI sur leurs serveurs afin d'accélérer l'accès à des informations en évitant les connexions systématiques aux sites "mères", ainsi que des actes permettant le "browsing" ou survol des sites, qui prennent notamment la forme de copies d'une durée de vie très courte.

Cette exception reprend les conditions posées par la directive, et limite notamment la portée de l'exception aux actes de reproduction qui n'ont pas de signification économique propre par rapport à l'acte principal de transmission et d'utilisation.

La seconde - dont la transposition était facultative - a pour but de permettre sous certaines conditions un accès élargi aux œuvres par les personnes affectées d'un handicap consistant en une déficience important psychique, auditive, visuelle ou motrice.

Enfin, l'exception aux droits de reproduction et de communication prévue pour les actes nécessaires à l'accomplissement d'une procédure juridictionnelle ou administrative prévue par la loi, déjà présente au sein du CPI, a été étendue aux procédures parlementaires.

 
"Le projet de loi assimile à la contrefaçon le contournement des mesures techniques efficaces de protection"
 

Autre point, et c'est le cœur de la transposition, le projet de loi autorise et protège les mesures techniques permettant de contrôler l'accès aux œuvres et aux autres objets de droits voisins et leur utilisation.

Il assimile à la contrefaçon le contournement des mesures techniques efficaces de protection (systèmes anti-utilisation, utilisant des clefs d'activation ou de décryptage, systèmes anti-copie par altération volontaire du support original et limitation du nombre de copies ultérieures, codes d'accès, blocage de reconnaissance matérielle, suivi des œuvres en ligne par marquage, tatouage etc.), le contournement d'une mesure d'information sur le régime des droits afférents à une œuvre ou à une prestation protégée par un droit voisin, et les actes préparatoires destinés à faciliter ou à permettre ces actes de contournement. Ces dispositions reprennent fidèlement les critères posés par la directive.

Ceci étant, les titulaires de droits doivent prendre les mesures permettant au public de bénéficier de l'exception de copie privée et de l'exception liée aux personnes handicapées. Tout différend lié aux difficultés d'utilisation d'une œuvre en ce sens pourra être soumis à un collège de médiateurs comprenant trois personnalités qualifiées nommées par décret.

 
"Un amendement très controversé pourrait assimiler à la contrefaçon le fait, sciemment, d'éditer ou de mettre à disposition un logiciel manifestement destiné à la mise à la disposition non autorisée du public, entre utilisateurs de ce logiciel, d'œuvres ou d'objets protégés par un droit de propriété littéraire et artistique"
 

C'est à la suite de ces dispositions que le rapport de la Commission spécialisée du CSPLA (Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique, instituée par le ministère de la Culture) présidée par le Doyen Pierre Sirinelli, professeur des universités, préconise l'adoption d'un amendement, très controversé, assimilant notamment à la contrefaçon le fait, sciemment, d'éditer ou de mettre à disposition, sous quelque forme que ce soit, un logiciel manifestement destiné à la mise à la disposition du public non autorisée, entre utilisateurs de ce logiciel, d'œuvres ou d'objets protégés par un droit de propriété littéraire et artistique.

Ce rapport, qui a provoqué un lever de boucliers, pourrait être utilisé par le ministre de la Culture pour faire adopter cet amendement. Son efficacité est discutable dans la mesure où la plupart des éditeurs de logiciels P2P se situent à l'étranger et son applicabilité potentielle aux éditeurs de logiciels libres difficilement justifiable.

Quant à la proposition préconisant la mise en place d'une licence légale applicable aux échanges numériques non commerciaux - déjà présentée lors de l'examen du projet de loi en commission des lois, défendue par l'Alliance Public-Artistes et expressément écartée par la Commission Sirinelli - elle pourrait être rejetée, même si l'amendement est soutenu par le groupe socialiste à l'Assemblée. Les arguments avancés sur le plan juridique concernent sa difficile compatibilité avec les textes internationaux auxquels la France est liée.

 
"La France est très en retard dans le processus de transposition de cette directive européenne"
 

Notons que la France est très en retard dans le processus de transposition de cette directive. Elle aurait dû - comme les autres Etats membres - procéder à cette transposition au plus tard le 22 décembre 2002, et en informer immédiatement la Commission européenne (*).

C'est ce qui explique la mise en place par le Gouvernement d'une procédure d'urgence pour l'adoption du projet de loi, la France ayant été récemment condamnée pour manquement par la Cour de Justice des Communautés Européennes. Dans ce contexte, l'épée de Damoclès d'éventuelles sanctions aura peut-être raison de la nécessité d'un débat sérieux et démocratique sur ce texte et les amendements déposés récemment, ce que l'on peut à juste raison déplorer.

Il est donc à craindre que la pétition qui circule actuellement à l'initiative de EUCD.info (www.eucd.info), sollicitant le retrait du projet de l'ordre du jour parlementaire, ne remette pas en cause cette procédure.

(*) Cette transposition était nécessaire car contrairement aux règlements communautaires, les directives doivent, pour engendrer droits et obligations à l'égard des personnes physiques et morales, être mises en œuvre selon des formes et moyens juridiques laissés à la libre appréciation des Etats membres, lesquels ne sont liés que quant aux résultats à atteindre.

Iliana Boubekeur
 
 

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