Leader agile, ayez le pied marin

Acteurs de l’informatique, vous êtes convaincus que les méthodes agiles sont nouvelles ? Pas tant que ça ! Je vous propose de découvrir qu’elles héritent de vieux usages, ceux de la navigation.

Notre société, grâce au digital, rend accessible d’innombrables nouveaux produits et services dans des délais records partout où une connexion internet s’installe. Les marchés et technologies évoluent, les entreprises se doivent d’être à l’écoute et de s’y adapter régulièrement, sur des cycles de plus en plus courts. Il en va de leur image de marque, de leur développement, de leur pérennité. Les méthodologies agiles répondent parfaitement à ce besoin et s’immiscent jour après jour dans nos organisations, imposées par le rythme de nos marchés qui s’accélère sans cesse. L’agilité est populaire mais reste assez difficile à mettre en place, souvent mal comprise ou mal appliquée, comme si, novatrice, elle venait en contradiction des méthodes traditionnelles, bouleverser l’ordre établi et les habitudes, promouvant des valeurs et priorités nouvelles, prônant la mise en avant:

  • Des individus et interactions plutôt que des processus et outils,
  • Des fonctionnalités opérationnelles plutôt que d’une documentation exhaustive,
  • De la collaboration avec le client plutôt que de la contractualisation des relations,
  • De l’acceptation du changement plutôt que de la conformité aux plans.

Pourtant, nous allons voir qu'elle s’inspire fortement de pratiques vieilles comme l’Homme en mer, ce marin affrontant les éléments pour la pêche ou le commerce.

Si vous échangez autour de vous sur l’agilité, vous verrez qu’il est courant d’assimiler l’agilité à son effet pervers : une désorganisation improvisée, ou improvisation désorganisée selon les cas, due, très souvent, à un manque de préparation. Il faut dire que la tentation est grande quand les principes agiles nous somment de ne pas tout documenter et d’accueillir le changement plutôt que de nous tenir au plan établi. Devant de tels préceptes, à quoi bon s’attarder à la conception s’il est inutile de la documenter ? A quoi bon planifier si c’est pour ne pas tenir le plan ?

Pourtant, un bon projet agile se mène comme une sortie en mer, et un bon marin, comme un bon leader agile, ne se lancera pas s’il n’est pas préparé. La mer est aussi merveilleuse que dangereuse et un capitaine averti ne s'y abandonnerait pas sans préparation. Face à l'élément imprévisible et tout puissant, il ne prétendra probablement pas assurer la sécurité de son bateau et de ses passagers en toute circonstance. Comment le pourrait-il ? Il assurera, par contre, par une pleine conscience de la situation, une analyse des risques et une bonne préparation, les conditions optimum pour une navigation sereine. Il analysera les conditions climatologiques, océanographiques et météorologiques, les récifs, faibles fonds, marées et autres dangers, calculera son cap et tracera sa route afin d'optimiser la sécurité, le confort de ses passagers, le temps passé en mer, le carburant consommé et ce n'est qu'après qu'il larguera les amarres, confiant. Cependant, malgré tous ces efforts fournis en amont, le marin n'a pas l'ombre d'un doute sur le fait qu'il ne suivra pas simplement la route qu’il a pu tracer au préalable sur la carte, de son point de départ à sa destination. Il sait déjà que les courants, les vents, les manoeuvres ou autres aléas viendront le détourner du chemin défini en amont. Au cours de sa navigation, le marin estimera sa position régulièrement, s’attardant sur le chemin parcouru, sans s’en contenter pour autant. Grâce à différentes méthodes (calcul des coordonnées géographiques grâce à des points astronomiques ou un système satellitaire, ou triangulation), il calculera une référence absolue, recalera sa position, surveillera les écarts et réajustera sa route pour atteindre son objectif final sans perdre de vue ses fidèles préoccupations : sécurité, confort, consommation et délais. Grâce à sa préparation rigoureuse et sa remise en question régulière de la route suivie, le marin optimise ses chances d’un voyage sans encombre et d’une issue heureuse.

À l'image du capitaine, quel chef de projet digne de ce nom se jetterait tête baissée dans sa réalisation sans évaluer les risques et enjeux, les investissements, délais et ressources dont il aura besoin ? Oui, la gestion agile refuse une phase de conception exhaustive, immuable et chronophage comme le recommande une gestion de projet classique, de même qu’il semblerait absurde qu’un capitaine trace et suive rigoureusement voire obstinément la route définie avant son départ sans surveiller sa position. Quelles chances aurait-il d’arriver à destination ?

Pour autant, l’agilité n’est pas synonyme de cécité. Elle aussi nécessite de définir une route et un cap à suivre, elle réclame simplement une conception en amont moins lourde et chronophage, et surtout en pleine conscience des changements que la phase de réalisation amènera, comme le fait le marin. Le leader agile aura des préoccupations très proches de ce dernier, telles que les risques, le confort de travail des équipes projet, les coûts et les délais. Et de même, conscient de l’influence de son environnement, il ne manquera pas de réévaluer régulièrement sa position et sa direction afin de ne jamais perdre son objectif de vue. 

L’agilité, bien que novatrice dans nos pratiques récentes, ne s’inspire donc pas moins de pratiques vieilles comme le monde qui répondent aux besoins d’un environnement changeant et mystérieux, plein de merveilleuses découvertes et parfois hostile, comme peut l’être le monde dans lequel nous évoluons aujourd’hui.

Alors, cher leader agile, un seul conseil, passez votre permis bateau !