INTERVIEW 
 
Président
UDF
François Bayrou
Il ne faut pas réduire l'innovation logicielle à une logique purement commerciale ou industrielle
Le débat sur la brevetabilité des logiciels a repris au Parlement européen et suscite nombre de commentaires de la part des hommes politiques. François Bayrou nous expose son point de vue entre, d'un côté, le respect des investissements liées à l'innovation et, de l'autre, la nécessaire protection des PME, du logiciel libre et plus globalement de la diversité et de l'indépendance des utilisateurs.
22 septembre 2003
 
          
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JDNet Solutions. La brevetabilité des logiciels, est-ce la mort annoncée des logiciels libres et des petits éditeurs de logiciels ?
François Bayrou. Il faut défendre l’univers du logiciel libre. C’est très important en termes de créativité, et pour éviter des prises de contrôle par des géants, pour éviter que Goliath n’écrase David, par ses capitaux, par ses brevets verrouillés, par ses avocats.

Dans la logique industrielle, on comprend parfaitement que l’innovation doive être protégée car elle nécessite la mobilisation de capitaux importants. Mais le monde du logiciel libre repose sur une autre logique : il fait appel avant tout au capital humain, à l’expérience, à l’échange de savoir-faire. Or les ressources de créativité qu’il recèle sont considérables.

Cet affrontement de deux philosophies, j’allais presque dire de deux visions du monde, avec par ailleurs des poids économiques inégaux, mérite que les responsables publics s’engagent. Il faut préserver la diversité.

A votre avis, quelles conséquences cette directive pourrait-elle avoir sur l'industrie logicielle européenne ?
La directive ne fait qu'entériner la jurisprudence de l'OEB. Sur le plan statistique, on estime que les dépôts dans ce domaine, parfois farfelus, sont à 70 % d'origine étrangère. Or, la directive va faire rentrer dans le droit positif cette situation mettant notre industrie dans une situation délicate.

Si l'on ajoute à cela que nous ne disposons pas, à part quelques exceptions comme SAP ou Business Objects, de multinationales du logiciel capables de rivaliser avec les géants américains, la situation risque de devenir inquiétante.

Mais il y a plus grave. Cela risque de porter un coup fatal à nos PME innovantes dans le secteur car elles n'auront pas les moyens de se défendre et l'arme du brevet leur est souvent inaccessible pour des raisons économiques et d'information à ce sujet. Sur ces deux derniers points, il est impératif de prendre rapidement des mesures pour les faire accéder à cette protection juridique et les sensibiliser en amont aux enjeux.

Dernier aspect et de façon plus large, le logiciel libre, par l'accès au code source, le respect des standards et de l'interopérabilité, garantit également l'indépendance des utilisateurs par rapport aux éditeurs propriétaires. Beaucoup d'acteurs, notamment dans le monde public, ont opté pour cette logique. En mettant en cause cette approche, ce n'est plus simplement une question de menace économique que nous aurions à traiter mais également un risque réel de dépendance, de perte de pouvoir au sens large.


Les brevets contribuent-ils selon vous à protéger l'innovation logicielle ?
Les défenseurs de la brevetabilité avancent des arguments qu’il faut aussi entendre : la mobilisation de capitaux, la garantie d’un juste retour financier en cas de succès et la nécessaire protection de l’innovation sont des conditions essentielles au dynamisme économique.

Pourtant, il ne faut pas réduire l’innovation logicielle à une logique purement commerciale ou industrielle. Ces briques technologiques font qu’aujourd’hui les hommes communiquent à travers la planète, que les échanges sont possibles, que certains pays peuvent accéder à des technologies à bas coût pour rattraper leur retard. Nous ne parlons pas simplement de logiciels de bureautique mais surtout d’inventions humaines qui deviennent le vecteur d’une nouvelle façon de vivre ensemble. Cela semble irréductible avec la logique de la brevetabilité et de l’accaparement de l’innovation par quelques-uns.

Dans ce secteur, la logique de l’innovation a aussi changé de nature. Elle se fonde désormais sur l’échange, non seulement d’un savoir faire mais aussi de briques logicielles utilisées par de nombreux programmeurs. On est passé d’une logique individualiste à une approche collaborative. Dès lors, le risque est grand de voir un maillon de la chaîne arrêté car un éditeur en réclamerait la paternité et bloquerait ainsi le cycle d’une production logicielle innovante dont tout le monde bénéficie.

Même si l’on considère que le brevet est une source de protection pour l’innovation logicielle, il faudra encore lever d’autres obstacles et notamment les critères de la brevetabilité qui semblent inapplicables à l’innovation immatérielle. Par exemple, comment établir l’état de la technique dans un monde en constante mutation où l’innovation est nécessairement éparse et non centralisée ?


N'est-ce pas l'importation d'une conception et de méthodes purement anglo-saxones ?
La jurisprudence de l'OEB a été inspirée directement par les pratiques américaines. Il ne s'agit pas d'une importation mais le résultat de nombreux dépôts faits par l'industrie nord-américaine qui nous pousse aujourd'hui à clarifier la situation ! Nous n'avons pas à transposer ce système, qui d'ailleurs suscite des critiques outre-Atlantique, nous ne faisons qu'entériner les pratiques d'un organisme qui est indépendant des instances politiques et qui tire d'importants bénéfices du dépôt de brevet.

Y a-t-il des pressions exercées par certains
lobbies au Parlement ?

Les nombreux reports de ce texte et les oppositions, souvent acerbes, qu'il provoque aujourd'hui sont évidemment le résultat d'un affrontement bloc contre bloc dont les acteurs sont parfaitement identifiés. D'un côté, l'on retrouve les grands éditeurs de logiciels et notamment leur association BSA et de l'autre, des acteurs nombreux, souvent associatifs, qui représentent les logiciels libres.

Est-ce que les reports successifs du débat au Parlement traduisent de réelles dissensions au sein des différents partis politiques qui vont avoir à se prononcer sur la question ?
Oui, bien sûr. Tous les groupes sont divisés. Pour le Parti socialiste européen, Arlene Mc Carthy, rapporteur du projet pour la Commission juridique et du marché intérieur soutient le texte, tandis que Michel Rocard s'y oppose fermement. Les Verts sont dans la même sensibilité que celle que j'exprime. Mes amis UDF qui siègent au sein du PPE défendront majoritairement le logiciel libre.

Quotidiennement, quel type de logiciel utilisez vous ?
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Je suis un adepte des Mac depuis de nombreuses années. J'utilise mon ordinateur quotidiennement et je constate que Mac OS X basé sur FreeBSD est un système très robuste, standard et dont l'interface dépasse largement les autres systèmes d'exploitation grand public !


 
Propos recueillis par mail par Fabrice Deblock

PARCOURS
 
 
Né dans les Pyrénées-Atlantiques, François Bayrou est Agrégé de Lettres classiques de l'université de Bordeaux III. Il est Député des Pyrénées-Atlantiques depuis 1986 (sauf entre 1999 et 2002 où il a démissionné pour cause de cumul des mandats). Parmi ses autres mandats, il a été Président du Groupe UDF à l'Assemblée nationale (1997 - 1998), Ministre de l'Education nationale (1993 - 1995), Ministre de l'Education nationale, de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'Insertion professionnelle (mai à novembre 1995), Ministre de l'Education nationale, de l'Enseignement supérieur et de la Recherche (1995 - 1997) et candidat de l'UDF à l'élection présidentielle 2002. Il est par ailleurs l'auteur de plusieurs livres dont Relève, publié en 2001 chez Grasset. Enfin, il a été Président du Groupe permanent de Lutte contre l'Illettrisme de 1986 à 1993.

   
 

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