Expérience utilisateur et monétisation : la méthode américaine

La plupart des services en ligne et notamment les réseaux sociaux reposent sur un tryptique constitué par des utilisateurs, un écosystème de partenaires et des annonceurs. Ce billet essaye de décrire la façon dont les principaux géants du secteur (Facebook, Google, Twitter, etc) tentent de trouver un compromis entre ces 3 entités.

Engagement: trouver le moment A-ha!
Au lancement d'un nouveau service la priorité est donnée à l'utilisateur. L'objectif est de faire en sorte de se concentrer sur l'expérience utilisateur afin de donner le maximum de croissance au produit. Il faut arriver à faire en sorte que l'utilisateur atteigne le plus vite possible le moment "A-ha !", ce moment où il comprend ce que fait le produit et en quoi cela va lui apporter un plus ! Pour cela, il est essentiel de déterminer ce que l'on souhaite offrir à l'utilisateur et de se doter de moyens permettant de mesurer si l'utilisateur l'a compris.
Le second effet recherché est la viralité, en multipliant les moyens de faire connaître le produit à un grand nombre d'utilisateurs. A chaque nouvel utilisateur, il s'agit de chercher à faire venir au moins un de ses contacts. Les leviers sont variés: la bêta accessible uniquement sur invitation, la possibilité de se connecter à sa messagerie pour envoyer des invitations à ses contacts, la connexion à des réseaux sociaux existants pour faire connaître le produit à ses amis, etc. Dans le cas des services payants (ou partiellement payants), l'invitation d'amis sur la plateforme peut par exemple permettre d'obtenir des réductions sur un abonnement ou une extension gratuite des services délivrés.

Rétention
Lorsque les utilisateurs sont actifs sur la plateforme, il est important de les garder à bord. Pour cela, il existe un grand nombre de stratégies. La définition du terme rétention est propre à chaque service, mais on peut globalement la définir comme le ratio d'utilisateurs continuant à utiliser votre produit après un certain nombre de jours.
Ce qui fait notamment que l'on ne se désinscrit pas d'un service, même si on ne l'utilise pas, c'est la somme de ce que l'on a construit autour, notamment les relations sociales avec d'autres utilisateurs ou avec ses amis, les contenus postés ou encore le temps passé à le configurer. Twitter l'a bien compris et vous propose dès l'inscription de commencer à suivre quelques comptes. Idem pour Facebook, qui vous pose des questions a priori anodines sur votre cursus pour pouvoir mieux vous suggérer des amis. Dès lors, vous avez des attaches affectives, qui créent du liant avec le produit.
L'une des stratégies les plus simples consiste également à enfouir le bouton de désinscription dans les arcanes des options du site ou de l'application. Facebook est un maître en la matière car son bouton de désinscription est caché aux fins fonds de ses (nombreux) paramètres. Le processus de désinscription est également conçu sur mesure, puisqu'il ne s'agit que d'une mise en veille du profil, celui-ci ne sera véritablement détruit qu'après une longue période d'inactivité. Ainsi, si l'utilisateur revient sur sa décision, le profil est complètement réactivé, avec son historique, mais surtout avec tous les liens sociaux. Plutôt malin pour éviter les désinscriptions sur un coup de tête !
Les notifications (push ou mail) sont également une arme redoutable pour faire en sorte que l'utilisateur continue d'utiliser un site ou une application, mais elles peuvent également aboutir à l'effet inverse si elles sont utilisées à mauvais escient. Prenez Facebook à nouveau : si vous utilisez régulièrement le réseau social, vous n'aurez aucun mail dans votre mesagerie. En revanche lorsque vous vous absentez trop longtemps, Facebook a une stratégie pour vous faire revenir, consistant à vous envoyer quelques emails sur des actions très engageantes de vos amis, mais en quantité très limitée. De même, Facebook prévoit un temps important entre le moment où une information est publiée et le moment où vous êtes alerté par mail, afin de vous laisser le temps de vous en apercevoir par vous même, sans qu'il ait besoin de vous harceler, mais également probablement pour s'assurer de ne pas envoyer de spams dans les boîtes aux lettres des utilisateurs, le nec plus ultra de la notification ! Dans le cas des services en mode SaaS, il est essentiel de proposer à l'utilisateur de donner son feedback et de montrer qu'il est pris en compte, afin de comprendre ses attentes, de fournir un produit qui y répond et de créer une relation de confiance, plus humaine. 
Enfin, les géants américains font tout pour éviter que l'utilisateur se déconnecte. C'est ainsi qu'avec le temps les boutons de déconnexion qui étaient immédiatement visibles dans les premières interfaces web de Facebook, Google, Hotmail ou Yahoo!Mail se sont petit à petit fait une place plus discrète dans une zone secondaire, afin de garder l'utilisateur connecté et de pouvoir continuer à lui proposer une expérience sur des sites tiers via des boutons de partage et également pour s'assurer qu'il se retrouve directement connecté par défaut à chaque nouvelle ouverture du service. 

S'ouvrir à un écosystème
Lorsque le service atteint une masse critique, une manière de continuer à créer de la croissance consiste à ouvrir la plateforme à des tiers, en leur permettant d'une part de s'y faire une place (pages Facebook, comptes Twitter de marques, chaînes YouTube), mais également de développer des outils fortement intégrés (Facebook Connect, API, etc.) et enfin de s'intégrer sur leurs sites (boutons de partage).
La promesse pour les marques et les médias ? Toucher plus d'utilisateurs via leurs services et profiter de l'effet viral. Une des complexités du modèle est d'arriver à faire évoluer les outils proposés aux tiers, sans les mettre en difficulté. C'est ainsi que Facebook a déclaré qu'il allait complètement changer la manière dont ses likebox fonctionnent le 23 juin 2015, ce qui signifie que tous les partenaires n'ayant pas changé l'implémentation sur leur site se retrouveront avec un message d'erreur. Un passage obligé pour la plateforme, qui doit continuer à innover sans cesse. Il en va de même pour les développeurs qui doivent suivre le rythme effréné des changements des API. Un élément à prendre en compte car il faut que le gain espéré par les partenaires soit à la hauteur de l'effort technique. 
D'autre part, le fait d'ouvrir des fonctionnalités à des développeurs tiers, c'est également s'exposer à ce que certains les exploitent mieux que prévu. On s'est ainsi retrouvé à une époque avec des murs Facebook inondés de ce que les utilisateurs lisaient, écoutaient ou regardaient. Un effet de bord que Facebook a su rapidement corriger en réduisant la manière dont ces actions étaient présentées aux utilisateurs, au grand dam de certains développeurs. Idem pour les sollicitations d'utilisateurs pour des applications de jeu qui représentaient à un moment l'essentiel des notifications. Un exercice délicat et permanent pour le mastodonte social consistant à ouvrir des vannes, puis les refermer juste ce qu'il faut pour que tout le monde y trouve son compte.

Monétiser
La difficulté de la monétisation, notamment lorsqu'elle est faite grâce à la publicité, c'est qu'elle va souvent à l'encontre de l'expérience utilisateur et de l'écosystème. En effet, sur le web il n'y a pas de magie: un utilisateur qui clique sur une publicité est un utilisateur qui s'en va et il en va de même pour un utilisateur qui clique sur le lien d'un partenaire de l'écosystème. Pour schématiser, les géants du web ont devant eux trois robinets: un pour l'expérience utilisateur, un pour la monétisation et un pour les partenaires de son écosystème. A chaque fois que l'un d'entre-eux souhaite ouvrir un robinet, il peut être sûr que les deux autres robinets vont se mettre à crier. A titre d'illustration, dans un billet daté du 21 avril, Facebook a annoncé qu'il diminuait la portée des publications des pages Facebook au profit d'informations liées à ses amis afin d'améliorer l'expérience utilisateur. En gros, les publications des marques et des médias passent au second plan. Une nouvelle bien accueillie par les utilisateurs, mais plutôt fraîchement par les marques ayant investi massivement dans leur page Facebook. Pour certains une manière déguisée de les obliger à payer pour toucher la même audience qu'auparavant. 

Toujours communiquer sur des valeurs positives pour l'utilisateur.
Les grands groupes américains sont particulièrement forts en terme de communication. Ainsi, chaque changement impactant leur service est systématiquement liée à une amélioration de l'expérience utilisateur. C'est ainsi que Google, après avoir longuement poussé les propriétaires de sites a utiliser des boutons Google+ et à lier le profil des auteurs dans leurs articles a finalement décidé de faire machine arrière. En effet, les pages ainsi configurées apparaissaient dans le moteur de recherche précédées d'une photo et du nom de l'auteur, ce qui avait notamment pour effet d'améliorer le taux de clic sur les dites pages. Dans un communiqué, Google a annoncé en plein été 2014 qu'il mettait fin à ce dispositif, non pas parce que cela baissait le taux de clic sur les publicités ou parce que cela augmentait le taux de clic vers les partenaires, mais pour le bien-être de l'utilisateur. Aussi étonnant que cela puisse paraître, la zone dédiée à la publicité a rarement été diminuée au profit de l'expérience utilisateur.

Annoncer les bonnes nouvelles en début de semaine et les mauvaises en fin de semaine.
Google annonce généralement les nouveaux services en début de semaine et les changements d'algorithme susceptibles de fâcher les propriétaires de sites ou les fermetures de services en fin de semaine, souvent le vendredi et de préférence les veilles de vacances, afin de limiter un éventuel bad buzz. De plus, les lancements de nouveaux services font l'objet d'une conférence de presse, tandis que les fermetures font l'objet d'un billet publié dans le coin d'un blog. C'est ainsi que Google a fermé son service d'aide en vidéo, Google Helpouts, le 13 février dernier, un vendredi. La nouvelle fût ainsi uniquement reprise par quelques sites spécialisés, mais lorsque les médias généralistes apprirent la nouvelle le lundi matin, l'information n'était plus toute fraîche et ne méritait donc plus un traitement de faveur.

Communiquer le jour même
Ne pas annoncer des fonctionnalités à venir, mais communiquer le jour même de leur mise en oeuvre. En effet, il est toujours tentant pour un entrepreneur de partager son enthousiasme pour sa prochaine meilleure idée, si ce n'est qu'il donne des informations à la concurrence et qu'il se met en difficulté si jamais son produit est retardé ou tout simplement annulé.. Rappelez-vous le projet Quaero, le moteur de recherche européen ...

Des méthodes éprouvées
Evidemment ce qui fait avant tout la force des géants du Net, c'est la qualité de leur produit. Il faut reconnaître qu'ils sont doués pour faire évoluer leurs produis afin de continuer le plus longtemps possible à plaire avant tout aux utilisateurs, mais également à leurs partenaires et annonceurs. Si l'on y pense bien, rien de tout ceci n'est forcément nouveau, vous pouvez relire cet article en imaginant comment ces méthodes peuvent (et sont) utilisées en politique !