Nathaël Duboc (Dentsu Creative) "Je souhaite que Dentsu Créative intègre le top 15 des agences françaises d'ici deux ou trois ans"

Nathaël Duboc, nouveau CEO de Dentsu Creative, structure qu'il a aidé à créer en fusionnant les agences créatives du groupe, déroule sa feuille de route.

JDN. Le 5 juin dernier vous avez été nommé CEO de Dentsu Creative, agence lancée en France il y a deux ans sous votre houlette. Quelles sont vos priorités désormais ?

Nathaël Duboc est CEO de Dentsu Creative. © Dentsu Creative

Nathaël Duboc. Dentsu Creative est née officiellement à Cannes en juin 2022 (référence à Cannes Lions, le festival international de la créativité publicitaire dont l'édition 2024 a lieu cette semaine, ndlr). Son lancement répond à la volonté de Dentsu de rendre son offre plus lisible au niveau mondial en réunissant toutes ses agences créatives et l'ensemble de leurs métiers au sein d'une seule structure : Dentsu Creative.

Notre agence couvre désormais l'ensemble des métiers, du planning stratégique et de la création jusqu'au pilotage par la donnée des campagnes de communication. C'est ce qui nous permet également de disposer d'un réseau plus fort et cohérent au niveau international. Dans ce processus, le premier enjeu pour nous était de réussir cette transformation au niveau de nos ressources humaines, en leur permettant de converger vers un seul et même projet et une nouvelle culture au sein de Dentsu, un groupe fortement orienté média. Il faut savoir que la création représente 15% de l'activité de Dentsu en France, c'est considérable.

Quels sont vos effectifs aujourd'hui en France ?

Nous sommes 110 personnes chez Dentsu Creative en France et 9 000 dans 41 pays dans le monde pour Dentsu Creative et 71 000 personnes pour le groupe Dentsu. Notre équipe en France s'est légèrement agrandie pour répondre notamment aux besoins de l'armée de Terre, client très structurant que nous avons gagné début 2024. L'armée de Terre est typiquement un client que nous n'aurions jamais pu remporter face à un Havas Paris ou un Capgemini, pour ne citer que deux de nos concurrents sur cet appel d'offres, avant notre fusion. La raison est que désormais notre périmètre s'est considérablement élargi pour couvrir l'ensemble des problématiques marketing et communication des annonceurs. Pour l'armée de Terre, nous intervenons dans la définition de la stratégie, le pilotage des campagnes de communication, la refonte de l'ensemble de l'écosystème digital et du parcours de recrutement. C'est le client le plus intégré que nous avons à ce jour.

L'approche créative ne se conçoit visiblement pas sans data ni objectifs business…

Nous sommes là en effet justement pour accompagner la croissance du business de nos clients. Il y a bien sûr le storytelling et la stratégie de marque en amont, mais également l'ensemble du parcours client (toutes les interactions, la gestion des communautés, le CRM), la création et la data étant au cœur de tous ces axes. Nous gérons par exemple les programmes de CRM/fidélisation d'Air France, Flying Blue, et de Midas.

Mais nous sommes également une entreprise à mission qui doit pouvoir exercer un impact transformatif sur la société. Nous vivons une époque de nombreuses ruptures : sociétale, avec la polarisation et la culture du clash ; technologique, avec la data et l'IA ; d'attention, de sens, de confiance. L'IA vient compliquer la donne, d'où l'importance pour tous d'embrasser ce changement. Tout compte fait, l'avènement de l'IA peut s'avérer une sacrée opportunité pour nous permettre de redonner du sens à l'humain, aux idées et à la création.

Quel usage Dentsu Creative fait-il de l'IA générative ?

L'IA répond à des besoins opérationnels - production de résumés, rédaction d'emails, recherche et extraction de données, etc. - et créatifs. Chez Dentsu, notre partenariat avec Microsoft nous permet de nous servir de Copilot de manière native dans notre espace sécurisé. Nous avons également développé plusieurs outils et prototypes pour nos clients mais également pour notre usage interne. Par exemple, pour consulter et travailler sur des documents très longs, comme dans le cadre d'appels d'offres publics, nous avons mis en place un système de moteur de recherche en langage naturel en vase clos. Les LLM sont aussi d'une très grande utilité pour l'extraction de données en vue d'alimenter des insights.

"Les créatifs se servent beaucoup de l'IA générative pour la génération d'images dans le cadre de la production de maquettes"

Les créatifs s'en servent beaucoup pour la génération d'images dans le cadre de la production de maquettes ou ponctuellement pour illustrer le social ou des sites Internet. En revanche, nous ne nous en servons pas pour la production d'assets de campagne, car cela peut impliquer encore des risques liés à la propriété intellectuelle.

Quel impact cet usage a déjà sur vos coûts et sur vos résultats ?

Pour l'instant nous ne mesurons pas les impacts de l'intégration de l'IA générative. Nous en sommes encore à l'étape de l'apprentissage, d'acculturation et de réflexion sur l'utilité de l'IA en tant qu'outil de créativité et de compétitivité. Il faut déjà que tout le monde chez nous mais également chez nos clients se l'approprient. Ce qui est sûr : l'IA procure un gain de temps considérable dans le travail quotidien libérant davantage les professionnels pour la réalisation de tâches à plus forte valeur ajoutée.

La démocratisation avec l'IA générative des outils de création qui sont de plus drivés par la data n'est-elle pas une nouvelle forme de concurrence pour les agences créatives comme la vôtre ?

A terme je pense que l'industrie se dirige vers deux niveaux différents de production créative. Un premier niveau industriel fait de grandes quantités de contenus jetables, à faible valeur ajoutée et très uniformisés et pour lesquels l'IA est un outil efficace. C'est ce qui se passe déjà, il suffit d'analyser ce qui se fait sur les réseaux sociaux, sachant que l'IA renforce cette uniformisation. Le deuxième niveau sera tout à fait le contraire : celui de la singularité, qui fait la part belle à l'humain. Paradoxalement, c'est la touche humaine qui fera la différence dans tous les domaines. Cela nous renforce dans notre responsabilité et dans notre ambition de créer de la singularité, de l'intérêt et de l'engagement dans ce monde seamless. L'histoire se répète en quelque sorte : les récits qui traversent les époques ont besoin de raisonnements complexes et d'émotion.

Quels objectifs vous fixez-vous pour les deux années à venir ?

Désormais nous cherchons la croissance, après une année 2023 consacrée à notre transformation, lors de laquelle nous avons réalisé un chiffre d'affaires de 23 millions d'euros, stable par rapport à 2022. Nous devons par conséquent accélérer notre notoriété en tant qu'agence créative en France avec une double dimension business et sociétale. Je souhaite que Dentsu Créative intègre le top 15 des agences françaises d'ici deux ou trois ans, aujourd'hui nous sommes à la vingtième place. Cela n'impliquera pas une croissance démesurée : nous pouvons le faire sans perdre notre taille humaine. Pour cela il nous faut en revanche encore conquérir davantage de gros clients structurants, comme l'armée de Terre. Nous servons actuellement 25 clients (parmi lesquels également les stylos Pilot, Legrand, Michelin, Durex, Mentos, ndlr) et près de 40% de notre activité est dédiée aussi à l'international, un ratio que nous entendons garder.