Privacy Sandbox : Faut-il s'alarmer des chiffres de Criteo ?

Criteo révèle que les éditeurs pourraient perdre 60% de leurs revenus avec la Privacy Sandbox. Ce chiffre doit être relativisé, compte tenu des hypothèses et des progrès attendus dans l'écosystème.

Avec la fin de la période de “Market Testing” de la Privacy Sandbox initiée par la CMA, plusieurs participants à cette campagne de test commencent à publier leurs résultats. Un rapport a particulièrement capté l’attention du marché : celui de Criteo. Vu l’envergure et la rigueur des tests menés par l’adtech française, l’un des plus grands contributeurs au projet de la Privacy Sandbox derrière Google, cela n'a rien d'étonnant.

60% : le chiffre qui fait parler

Un chiffre en particulier a fait beaucoup parler : 60%, l’estimation des revenus qui seraient perdus par les éditeurs si les cookies tiers venaient à être supprimés aujourd’hui. Ce chiffre a été sujet à de nombreuses interprétations, souvent très négatives, dépeignant un avenir apocalyptique pour la publicité digitale si la Privacy Sandbox était adoptée comme alternative aux cookies tiers.

D’où vient alors ce chiffre ? Comment l’interpréter correctement ? Et dans quelle mesure permet-il d’évaluer la pertinence et l’efficacité de la Privacy Sandbox comme alternative aux cookies tiers ?

D’où vient ce chiffre ?

Tout à son honneur, Criteo a suivi une approche rigoureuse en publiant également une description détaillée de la méthode qui les a conduits à ces résultats. Regardons de plus près pour mieux comprendre ce chiffre.

Criteo a utilisé le framework de test proposé par Chrome dans le cadre de cette campagne de Market Testing en collaboration avec la CMA. Ils ont exécuté les mêmes campagnes en parallèle sur une population équipée de la Privacy Sandbox (Treatment), une autre équipée de cookies tiers (Control 1), et une troisième population n’ayant aucune des deux (Control 2).

Il est connu dans le domaine de la publicité que le retour sur investissement des dépenses publicitaires (ROAS) décroît au fur et à mesure que ces dépenses augmentent : le premier euro dépensé apportera beaucoup plus de valeur que le cent-millième. Arrivé à un certain niveau de ROAS, l’annonceur estime qu'il n'est plus intéressant de continuer la campagne et choisit de se tourner vers d’autres canaux de publicité.

On comprend du rapport que Criteo observe un ROAS plus faible sur la population Treatment que sur la population Control 1, ce qui conduirait à une arrivée plus rapide au seuil où l'annonceur choisirait d'arrêter ses dépenses sur ce canal. Criteo estime que, selon les résultats obtenus, à seuil de ROAS égal, l'annonceur dépenserait 60% de moins via sa plateforme sur la population utilisant la Privacy Sandbox par rapport à celle utilisant les cookies tiers.

Des limites techniques à l’origine de cette perte ?

La différence de ROAS s’expliquerait principalement par une différence de performance affichée par les deux environnements sur les campagnes de test. Dans ces campagnes, Criteo utilise les visites qualifiées aux sites des annonceurs comme indicateur de performance, ce qui peut être ramené, bien que de manière simpliste, à une différence de taux de clics (CTR), défavorable à la Privacy Sandbox. Cette différence peut s'expliquer en partie par une latence d'affichage relativement plus élevée de la Privacy Sandbox, un point d'amélioration déjà identifié aujourd'hui pour cette technologie.

Une autre cause mise en avant par Criteo est le manque de signaux fournis par la Privacy Sandbox comparé à ce que fournissent les cookies, ce qui rend l'optimisation des campagnes plus difficile et moins précise dans cet environnement.

Ces deux points d'amélioration, qui font partie des recommandations de Criteo à la fin de son rapport, sont déjà identifiés par les équipes travaillant sur la Privacy Sandbox, avec des propositions de solutions. Les résultats de Criteo ainsi que ceux des autres acteurs participant à la campagne de Market Testing confirment leur priorité. Il est raisonnable de penser qu'au moment de la suppression définitive des cookies tiers, ces problèmes seront résolus, réduisant ainsi l'écart de performance entre la Privacy Sandbox et les cookies tiers.

Les hypothèses sont-elles réalistes ?

Un autre élément auquel il faut prêter attention en interprétant les résultats de Criteo est les hypothèses prises dans ces tests.

Une hypothèse en particulier : celle supposant que le ROAS des autres canaux où l'annonceur ventilerait ses budgets ne serait pas affecté par la suppression des cookies tiers. Cette hypothèse est peu réaliste : si plus de budgets sont migrés de l'Open Web opérant avec la Privacy Sandbox vers ces canaux, la pression supplémentaire de la compétition fera grimper les prix, faisant ainsi baisser mécaniquement leur ROAS. De plus, certaines parties des walled gardens seront aussi affectées par la disparition des cookies tiers (le pixel Facebook, les données Amazon, etc.), diminuant ainsi leur ROAS également et par conséquent leur attraction des budgets annonceurs.

Une autre approximation est importante à signaler : les 60% représentent la baisse des dépenses chez Criteo et non de tous les revenus publicitaires, mais le rapport extrapole cette baisse aux autres sources de demande, Criteo n’ayant pas accès aux revenus générés par ces autres sources. Or, on sait que la plupart de ces derniers reposeraient moins sur les cookies tiers que Criteo, la baisse y serait potentiellement inférieure à 60%. 

Il est à noter également que ce fameux chiffre ne provient pas directement des résultats des tests. C’est aussi une extrapolation des chiffres obtenus, qui conduit Criteo à la conclusion que la différence de ROAS amènerait les annonceurs à dépenser 60% de budget en moins sur son canal sur long terme.

Et côté annonceur, ça donne quoi ?

Il aurait été très intéressant que Criteo fournisse plus de détails chiffrés sur les performances observées dans les campagnes : quelles différences ont été constatées sur les taux de clic ? Quelles différences sur le coût d'acquisition de trafic (TAC) ? Comment sont définis les seuils tolérés de ROAS ? Et encore, sur les 60% de budgets dépensés en moins, quelle partie est due aux CPMs, 65% plus bas, constatés sur la population utilisant la Privacy Sandbox, où il y a sûrement moins de compétition des autres sources de demande parce qu'il n'y a pas de cookies tiers ?

Une comparaison chiffrée de la valeur apportée aux annonceurs par les campagnes de tests nous aurait en effet permis d’avoir une meilleure vision sur l’impact de l’utilisation de la Privacy Sandbox sur les campagnes des annonceurs et de mettre en perspective les chiffres perçus du côté des éditeurs.

Conclusion

Bien qu’il faille saluer les moyens et les efforts déployés par Criteo dans cette campagne de Market Testing, ainsi que la rigueur de l’approche suivie, il est nécessaire de relativiser les interprétations apocalyptiques des résultats faites par certains acteurs du marché.

Ces résultats sont extrapolés en se basant sur des hypothèses pessimistes, sûrement faute de pouvoir faire autrement du côté de Criteo, en raison de la faible adoption de la Privacy Sandbox par le marché et du volume dérisoire de la population de tests. Il manque également des chiffres sur les performances obtenues par les annonceurs pour pouvoir mettre en perspective les résultats perçus par les éditeurs. Et bien évidemment, il faut prendre en compte que le jour où les cookies tiers seront définitivement abandonnés, les différents acteurs du marché de la publicité digitale seront beaucoup mieux équipés et les outils seront bien plus au point qu’aujourd’hui.

Chez Lucead, nous sommes pleinement alignés avec les recommandations émises par Criteo et partageons la nécessité de les prendre en compte rapidement afin d'accélérer l’adoption de la Privacy Sandbox.