Le cœur du futur bat au rythme de la simulation numérique
À l'occasion de la Journée mondiale du cœur, ce 29 septembre, retour sur le rôle clé de la simulation pour accélérer l'innovation médicale et renforcer la sécurité des patients.
Les maladies cardiovasculaires demeurent la première cause de mortalité dans le monde, responsables de près d’un tiers des décès selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Les progrès de la recherche ont été considérables, mais comprendre la mécanique intime d’un cœur humain appelle aujourd’hui des outils bien plus sophistiqués qu’hier.
Les interrogations sont nombreuses : comment modéliser un organe qui bat cent mille fois par jour ? Comment anticiper l’effet d’une intervention sans mettre le patient en danger ? Et surtout, comment accélérer la mise au point de traitements essentiels pour des millions de personnes ? C’est à ces questions que l’innovation numérique, et en particulier la simulation, commence à apporter des réponses
Le cœur, un mécanisme vital à décrypter
Le cœur humain bat environ 40 millions de fois par an, soit près de trois milliards au cours d’une vie. Ce rythme infatigable repose sur une mécanique subtile : la transformation des impulsions électriques en contractions musculaires coordonnées, un processus connu sous le nom de « couplage excitation-contraction ». Lorsque ce système est perturbé, qu’il s’agisse d’un tissu affaibli, d’artères fragilisées ou d’autres pathologies, c’est toute la circulation sanguine qui se dérègle, avec des conséquences directes pour l’ensemble du corps.
Observer un cœur en action sans perturber son activité reste cependant un défi majeur. Les outils traditionnels n’offrent qu’un aperçu limité, ce qui a longtemps freiné les progrès dans l’analyse et le traitement des maladies cardiovasculaires. La simulation numérique change cette perspective : elle permet d’explorer en profondeur des dynamiques jusque-là invisibles et d’ouvrir une voie nouvelle pour la recherche et les soins.
La puissance de la médecine in silico
Pour relever ces défis, la modélisation et la simulation numériques offrent une approche non invasive et personnalisée de la recherche cardiovasculaire. Elles ne remplacent pas les méthodes classiques, mais les complètent en apportant une lecture plus fine et de nouvelles perspectives.
En s’appuyant sur les données de nombreux patients, les chercheurs créent des modèles numériques capables de reproduire le fonctionnement cardiaque. Ces modèles permettent d’observer des paramètres auparavant impossibles à mesurer. Grâce à l’intelligence artificielle, les informations recueillies peuvent être organisées et analysées de manière structurée, ouvrant l’accès à des connaissances que les approches conventionnelles ne permettent pas d’obtenir.
L’un des principaux atouts de cette approche in silico est de rendre possibles des expérimentations plus rapides, moins coûteuses et sans risque pour les patients, là où les approches in vitro, ex vivo ou in vivo atteignent leurs limites. Les représentations numériques enrichissent la compréhension de la physiologie cardiaque et de l’évolution des pathologies, tout en permettant d’explorer des scénarios difficiles à reproduire en laboratoire.
Les plateformes les plus avancées génèrent désormais des modèles d’une grande précision. Elles intègrent la dynamique des flux sanguins, la mécanique des tissus et les comportements électrophysiologiques complexes. Elles peuvent ainsi restituer les contraintes structurelles et l’orientation des fibres musculaires, tout en tenant compte des éléments anatomiques environnants, comme le sac péricardique rempli de liquide qui enveloppe le cœur.
Un cadre réglementaire en mutation
En 2017, la FDA a accepté que des données issues de la Modélisation et Simulation Numériques (M&SN, ou Computational Modelling & Simulation) puissent étayer les dossiers de demande d’autorisation de mise sur le marché des dispositifs médicaux. La même année, l’Union européenne a adopté le Règlement (UE) 2017/745 relatif aux dispositifs médicaux (MDR). Ce texte ouvre la voie à l’utilisation de données in silico pour les études non cliniques et reconnaît la modélisation informatique comme source valable pour les essais précliniques, y compris les tests sur les animaux, sous réserve d’une justification scientifique de leur validité. Cette reconnaissance a été renforcée en novembre 2023 par la publication de directives spécifiques à l’intégration de la M&SN aux données cliniques réelles.
Malgré ces avancées, l’absence de règles claires et communes, notamment pour les données cliniques, entretient une incertitude qui freine l’adoption à grande échelle. Or, le parcours classique de développement des dispositifs cardiovasculaires (de l’idéation à la mise sur le marché) reste semé d’embûches et expose des patients à des essais qui échouent fréquemment. Dans 52 % des cas, les premières technologies testées sur l’homme sont abandonnées après implantation, sans avoir obtenu d’autorisation. Par ailleurs, 24 % des essais pivots ne débouchent sur aucun produit, et 41 % des patients inclus participent à des études portant sur des dispositifs qui n’atteindront jamais le marché.
L’intégration de preuves numériques modifie cette équation. Les simulations permettent aux fabricants de vérifier la sécurité et l’efficacité de leurs produits en amont des essais cliniques, réduisant ainsi l’exposition inutile des patients à des traitements expérimentaux et limitant le risque d’échec.
L’Europe à la croisée des chemins
Les prochaines années verront la simulation cardiovasculaire progresser vers des modèles toujours plus personnalisés, directement connectés au patient réel. Ces « jumeaux numériques » permettront aux cliniciens de tester virtuellement différentes stratégies thérapeutiques pour un patient donné, ou de constituer des cohortes virtuelles diversifiées avant tout essai clinique. En France, la startup inHEART, issue de l’Inria et du CHU de Bordeaux, illustre déjà ce potentiel. Ses jumeaux numériques guident les interventions sur les arythmies, réduisent la durée des procédures et améliorent leur précision.
Dans ce domaine où la précision conditionne directement la vie des patients, la simulation numérique dépasse le statut d’outil : elle devient une nouvelle manière de concevoir, diagnostiquer et traiter. Déjà largement adoptée aux États-Unis et au Royaume-Uni, elle offre des perspectives immenses à des millions de patients. À l’Europe maintenant de trancher : investir pour accompagner cette dynamique mondiale et affirmer sa souveraineté technologique en santé, ou accepter de rester en retrait.