Comment les BlackRock et consorts font main basse sur l'infrastructure IA
On tend à l'oublier, mais pour les investisseurs, l'année a commencé par un vent de panique. La sortie de l'IA frugale du chinois DeepSeek a fait craindre un moment un surinvestissement dans de coûteux centres de données géants en passe de devenir obsolètes. Six mois plus tard, ces inquiétudes ont été reléguées aux oubliettes, et les dépenses dans les infrastructures de l'IA ne cessent de s'accroître.
Les géants de la tech que sont Microsoft, Alphabet, Amazon et Meta prévoient d'augmenter leurs dépenses en capital de plus de 300 milliards de dollars en 2025, et Gartner estime qu'un total de 475 milliards de dollars seront investis dans les centres de données dans le monde cette année, soit une hausse de 42% d'une année sur l'autre. En affirmant en mai dernier que l'intelligence constituait désormais "une infrastructure essentielle", le patron de Nvidia, Jensen Huang (qui prêche certes pour sa paroisse), énonçait un sentiment qui semble aujourd'hui partagé par la plupart des investisseurs.
Rachats en série
Car au-delà des géants de la tech, d'autres investisseurs plus traditionnels, comme les hedge funds, commencent également à multiplier les dépenses dans les infrastructures de l'IA. L'an passé, BlackRock a forgé, avec Microsoft et le fond Emirati MGX, The Global AI Infrastructure Investment Partnership. Comme son nom l'indique, celui-ci, doté d'une enveloppe colossale de 100 milliards de dollars, a pour but de contribuer à la construction du parc de centres de données géants utilisé par les cadors de l'IA. L'initiative a depuis sa création réuni un cercle de partenaires forts prestigieux, parmi lesquels Nvidia, xAI, GE Vernova et Cisco Systems.
Le fonds est actuellement en passe d'acquérir Aligned Data Centers, une société texane spécialisée dans les centres de données de l'IA, pour 20 milliards de dollars. Cette société compte près de 80 centres de données répartis aux Etats-Unis, au Canada et dans plusieurs pays d'Amérique latine. En janvier, elle a levé cinq milliards de dollars auprès d'investisseurs et 7 milliards de dollars de dette pour accélérer la construction de ces infrastructures essentielles à l'entraînement des grands modèles de langage.
The Global AI Infrastructure Investment Partnership est par ailleurs en discussions pour racheter AES, une société américaine de production et distribution d'électricité, basée en Virginie, pour 38 milliards de dollars. Rappelons à cet égard que l'appétit insatiable des géants de l'IA pour la puissance informatique génère une forte pression sur la grille énergétique, au point que l'approvisionnement en énergie est devenu un enjeu stratégique majeur pour ces sociétés.
En septembre, profitant de la visite diplomatique de Donald Trump au Royaume-Uni, BlackRock a également annoncé un investissement de 500 millions de livres sterling pour construire des centres de données sur place. Preuve que le hedge fund prend le sujet très au sérieux.
Et il n'est pas le seul. D'autres gros investisseurs américains traditionnels, à l'instar de Blackstone, Blue Owl et KKR, sortent également leur portefeuille pour financer la construction de ces infrastructures du futur. Blue Owl a par exemple lancé en septembre un fonds d'investissement de 3 milliards de dollars avec le Qatar pour investir dans ce domaine, tandis que Blackstone finance à tour de bras la construction de centres de données et la modernisation de la grille énergétique nécessaire pour les alimenter. KKR a de son côté récemment recruté l'ancien patron d'Amazon Web Services pour guider ses investissements, et annoncé en juillet le développement d'un campus de centre de données au Texas en partenariat avec l'énergéticien Energy Capital Partners. En août, Apollo, un autre fonds américain, a de son côté racheté Stream Data Centers.
Au total, 162 fusions acquisitions liées aux centres de données ont déjà eu lieu dans le monde cette année, pour un total de 46 milliards de dollars, selon les données de Synergy Research Group, un cabinet d'analyse de marché. 45 autres accords, d'une valeur totale de 35 milliards, sont également en cours de négociation. L'an passé, 287 accords ont été conclus, pour une valeur cumulée de 77 milliards de dollars, soit davantage que n'importe quelle année précédente, toujours selon Synergy. Un record que 2025 est donc bien partie pour battre, sinon en nombre d'accords, du moins au niveau des sommes représentées, grâce notamment à l'intervention croissante des hedge funds.
BlackRock finance sa propre transformation
Cette arrivée en force des hedge funds dans le financement des infrastructures d'IA s'explique d'abord par la bonne santé financière de ces sociétés, qui, grâce à leurs stratégies d'investissement complexes, parviennent à tirer leur épingle du jeu dans un climat d'incertitude économique plus difficile à traverser pour les investisseurs moins chevronnés.
Selon la plateforme financière Hedge Fund Research, les hedge funds sont ainsi en passe de réaliser leur meilleure année depuis fort longtemps. Ils ont réuni 37,4 milliards de dollars rien qu'au premier semestre 2025 — soit la plus grosse collecte depuis le premier semestre 2015 et trois fois plus que toute l'année 2024 (11 milliards de dollars). Signe qui ne trompe pas, Neeraj Seth, un ancien de BlackRock, a annoncé fin septembre un nouveau hedge fund doté d'une enveloppe colossale de 700 millions de dollars.
Loin de croire à une bulle de l'IA, ces sociétés sont en outre convaincues que leurs investissements s'avéreront rentables et que la technologie n'en est encore qu'à ses balbutiements. John Dinsdale, expert chez Synergy, estime ainsi que les centres de données apparaissent comme "un investissement sûr", ce qui, couplé à "l'incapacité des opérateurs de centres de données à financer les investissements nécessaires en interne", conduit les gros fonds à mettre la main à la poche. Echange de bons procédés : les hedge funds ont les valises de cash nécessaires pour financer des infrastructures toujours plus coûteuses et leur alimentation en énergie, tandis que les professionnels des centres de données ont les connaissances techniques pour les construire et les opérer.
Enfin, l'intérêt de sociétés comme BlackRock s'explique aussi par le fait qu'elles sont les premières à miser fortement sur l'IA pour accélérer leur transformation. Usage des grands modèles de langage pour débusquer des pistes d'investissement invisibles à l'œil humain ; portefeuilles générés grâce à des agents d'IA collaborant avec les humains ; algorithmes sondant en permanence le web pour réaliser des prédictions sur l'évolution future des marchés… BlackRock a mis l'IA au cœur de sa stratégie, et sa puissance financière colossale lui offre le luxe de financer elle-même le développement de la technologie dont elle a besoin pour accélérer sa croissance.