100.000 téléchargeurs "ciblés" par le ministère de la Culture

Des milliers d'internautes ont reçu un emailing mettant en garde contre le piratage et faisant la promotion de la loi Hadopi. Mais comment leurs adresses sont-elles arrivées jusqu'au ministère de la Culture ?

100 000 personnes ont reçu dans leur boîte mail personnelle un message pour le moins inattendu, le 30 octobre dernier. Provenant du ministère de la Culture et de la Communication, il les incitait à visiter le site Jaimelesartistes.fr, lancé pour soutenir la loi Création et Internet actuellement débattue (Lire Les sénateurs veulent rééquilibrer la loi antipiratage, du 28/10/2008). Problème : les destinataires du message ne sont apparemment pas informés de la raison pour laquelle ils le reçoivent. Christine Albanel a-t-elle entrepris une campagne agressive de marketing ? Une chose est sûre, les destinataires ont été particulièrement bien ciblés.

Le ministère de la Culture a confié la réalisation du site Jaimelesartistes.fr à l'agence de communication JMS l'inconscient collectif. Son objectif : expliquer aux jeunes internautes en quoi la mis en place de la riposte graduée au piratage peut permettre de préserver et de développer l'offre de musique, de films, de programmes audiovisuels et de jeux vidéo. Pour promouvoir le site, l'agence diffuse des messages radio, affiche des bannières sur des sites fréquentés par la population de 12-25 ans, organise des actions de street marketing sur des lieux de concert... et procède à des e-mailings.

Pour celui-ci, Emmanuel Simiand, directeur de projet JMS sur cette campagne, explique avoir travaillé avec l'agence d'e-mailing Axiome. Le cahier des charges : "Toucher les jeunes populations qui sont plus susceptibles de télécharger, légalement ou non." Axiome a donc loué à JMS une base de contacts correspondant à ce besoin.

Ainsi que l'explique Nathalie Azoulay, en charge de la commercialisation de la base de données d'Axiome, "les personnes à qui nous envoyons ces e-mailings se sont auparavant enregistrées et ont accepté de recevoir les offres de nos partenaires. Notre service Poplist, par lequel nous collectons les informations des personnes souhaitant intégrer notre base de données, est affilié à 96 000 sites. Lorsque nous préparons une campagne d'e-mailing, plutôt que de cibler les destinataires par âge ou par sexe, nous pouvons les cibler en fonction des sites via lesquels ils sont arrivés sur Poplist."

Comme l'indique Emmanuel Simiand, c'est bien ce qui fut fait : "Les personnes à qui nous avons envoyé cette campagne s'étaient enregistrées en opt-in a des sites liés à l'univers de la musique". Des sites de toutes tailles, parmi lesquels ziartist.com, studio24.fr.fm ou mjfrance.com, ainsi que des généralistes comme umour.com. "A ces personnes se sont ajoutées celles qui, enregistrées depuis d'autres sites, ont mentionné le téléchargement dans leurs centres d'intérêt", précise Virginie Mourou, responsable du développement d'Axiome.

Pour le directeur de projet de JMS, "tout a été fait dans les règles et conformément aux exigences de la Cnil. Ceux qui se plaignent aujourd'hui ont peut-être oublié qu'ils avaient donné leurs informations." Alors, spam ou pas spam ?

En septembre 2005, un précédent avait amené la Cnil à se pencher sur la question des e-mailings de marketing politique. En plein recrutement de militants pour l'UMP, l'équipe de Nicolas Sarkozy avait procédé à l'envoi massif (300 000 destinataires) d'un message contenant un texte de l'homme politique, sa signature manuscrite, sa photo, un lien pour adhérer au parti et un lien pour s'inscrire à sa liste de diffusion. Les fichiers utilisés par le prestataire choisi par l'UMP avaient été constitués par une entreprise commerciale, en l'occurrence Maximiles, qui avait obtenu des internautes leur consentement à recevoir des emails promotionnels. "On ne peut pas utiliser un fichier commercial à des fins politiques si on n'a pas dit aux internautes, à l'origine, c'est-à-dire au moment où ils ont donné leur consentement, que cela pourrait être utilisé à des fins politiques", avait alors estimé Christophe Pallez, secrétaire général aux affaires juridiques de la Cnil.

Or le formulaire d'inscription à la base de données d'Axiome n'évoquait aucune éventuelle utilisation politique des fichiers. "Il ne mentionne pas la politique en particulier mais parle plus largement 'd'information'", précise Nathalie Azoulay. Très précisément, l'intitulé figurant en haut du questionnaire est celui-ci : "Remplissez le formulaire ci dessous. Il peut être anonyme et vous permettra de continuer de recevoir gratuitement des informations, des offres promotionnelles et des réductions liées à votre profil." Reste donc à décider si l'on considère que les messages politiques relèvent simplement de l'information.

A noter que dans l'email de promotion du site jaimelesartistes.fr, sont mis en avant un certain nombre de chiffres stigmatisant le piratage. Le premier d'entre eux affirme que 450 000 films sont piratés chaque jour. Ce chiffre émane de la première édition de l'observatoire du téléchargement illégal de films sur les réseaux peer to peer, publié le 15 juillet dernier par l'Association de lutte contre la piraterie audiovisuelle. L'Alpa est financée par le ministère de la Culture, mais également par les majors du cinéma.

Un détail que n'ont pas manqué de relever les destinataires de cet e-mailing, peut-être un peu trop bien ciblés pour ne pas réagir...