La guerre des semi-conducteurs s'accélère en amont du sommet prévu entre Trump et Xi Jinping
Marquant une nouvelle escalade dans la montée des tensions commerciales autour des semi-conducteurs entre l'Occident et la Chine, le gouvernement néerlandais a repris mi-octobre le contrôle de la société Nexperia, détenue depuis 2018 par le consortium chinois Wingtech.
Le ministère des Affaires économiques a justifié sa décision en évoquant une loi qui donne au gouvernement le pouvoir d'intervenir au cas où des biens essentiels au bon fonctionnement du pays seraient menacés de pénurie du fait de la mauvaise gestion d'une entreprise privée. De "sérieux dysfonctionnements dans la gouvernance" de Nexperia ont notamment été évoqués par les autorités néerlandaises.
Si Nexperia est spécialisée dans les semi-conducteurs, il ne s'agit pas des puces les plus avancées utilisées pour l'entraînement des algorithmes d'IA de pointe, mais plutôt de celles destinées à l'automobile et à l'électronique grand public, devenues essentielles au bon fonctionnement de nombre d'appareils du quotidien.
Elle faisait auparavant partie de NXP Semiconductors, un fabricant néerlandais, avant d'être rachetée en 2017 par un conglomérat adossé à l'Etat chinois, pour la somme de 2,75 milliards de dollars. Celui-ci l'a ensuite revendue à Wingtech l'année suivante.
Les Pays-Bas, une puissance hautement stratégique sur les puces
Les Pays-Bas sont l'un des pays européens les plus puissants dans le secteur ultra-stratégique des semi-conducteurs. Une excellence notamment due à la société Phillips. Fondée à Eindhoven à la fin du XIXe siècle, elle se positionne sur la recherche et la production de semi-conducteurs dès les années 1950, profitant de son expertise dans les composants électroniques pour asseoir son expertise sur cette technologie émergente. L'objectif est alors notamment d'équiper ses produits d'électroménager qui commencent à séduire un nombre croissant de ménages en cette ère de forte croissance économique.
La création en 1984 d'ASML, fruit d'une coentreprise entre Philips et ASM International, marque un tournant décisif. Spécialisée dans la production et la vente de machines nécessaires à la production de semi-conducteurs, elle est aujourd'hui la seule, grâce à des décennies de recherche, à maîtriser la technique de lithographie par rayonnement ultraviolet extrême, qui permet la fabrication des puces les plus avancées. Le pays abrite aussi NXP, un grand fabricant de semi-conducteurs appliqués à l'automobile, l'industrie, l'IoT et le mobile, ainsi que Besi, spécialiste des outils d'assemblage et test des semi-conducteurs.
Mais au-delà de ces quelques pépites, les Pays-Bas disposent d'une chaîne de valeur complète dans ce secteur hautement stratégique, combinant universités prestigieuses (Delft, Twente, Eindhoven), une industrie puissante comptant pour 20% du PIB, un soutien gouvernemental favorisant la recherche et l'innovation industrielle, ainsi que des pôles géographiques d'excellence, tels le High Tech Campus d'Eindhoven. Ce dernier héberge plus de 220 entreprises et instituts liés aux semi-conducteurs.
Le pays tire enfin profit de sa position géographique, qui lui offre un avantage logistique majeur, au cœur de l'Europe, proche de la puissance industrielle germanique, et du port de Rotterdam, qui facilite l'exportation vers l'Asie. Un atout important dans une économie des semi-conducteurs fortement mondialisée.
De très probables pressions américaines
Si la décision de prendre le contrôle de Nexperia émane du gouvernement néerlandais, difficile de ne pas y voir l'influence des Etats-Unis, pris actuellement dans une guerre commerciale acharnée contre la Chine, où les semi-conducteurs se trouvent au centre de l'échiquier. L'an passé, Washington a ajouté Wintech à sa fameuse Entity List, qui regroupe les entreprises sanctionnées par le Département du Commerce des Etats-Unis. Motif évoqué : l'entreprise aiderait la Chine à obtenir en sous-main le meilleur de la technologie américaine sur les semi-conducteurs, dont l'exportation vers la Chine est interdite.
Les entreprises américaines souhaitant commercer avec des sociétés figurant sur l'Entity List doivent obtenir une licence préalable auprès du gouvernement américain, qui leur est souvent refusée. Hasard du calendrier : le Département du Commerce a introduit le mois dernier de nouvelles règles étendant les restrictions aux filiales des sociétés figurant sur l'Entity List, donc à Nexperia…
Ce ne serait en outre pas la première fois que les Etats-Unis font pression sur le gouvernement néerlandais dans leur guerre commerciale avec la Chine : en 2023, ils ont ainsi obtenu de celui-ci la mise en place de restrictions à l'exportation de certaines machines d'ASML vers l'empire du Milieu.
La Chine fait monter la pression
Si les Etats-Unis s'efforcent depuis plusieurs années de restreindre l'accès de la Chine aux puces IA les plus avancées, celle-ci a récemment accentué sa riposte, alors que la guerre commerciale est entrée dans une nouvelle dimension avec la réélection de Donald Trump.
En avril dernier, suite au Liberation Day, la Chine a sorti l'artillerie lourde en limitant l'exportation de minerais critiques nécessaires à plusieurs industries des hautes technologies, dont celles des semi-conducteurs. Ces restrictions ont été élargies à cinq éléments rares supplémentaires (holmium, erbium, thulium, europium et ytterbium) le 9 octobre dernier.
La Chine dispose à cet égard d'un levier important, puisqu'elle contrôle environ 70% de l'extraction mondiale des terres rares, un groupe de 17 métaux précieux utilisés notamment dans la fabrication des semi-conducteurs et des technologies de la transition énergétique. Son emprise est encore plus grande sur le raffinage de ces terres rares, que l'empire du Milieu domine à plus de 90%.
Pékin a également ouvert des enquêtes antimonopoles contre Nvidia et Qualcomm, deux géants des puces, enquêtes qui constituent clairement une guerre commerciale déguisée. "Il s'agit certainement de mettre la pression sur les Etats-Unis. La Chine a déjà par le passé utilisé des arguments antimonopole basés sur du vent pour empêcher des fusions et autres activités dans le secteur des semi-conducteurs, et pour sanctionner les entreprises américaines. Elle a par exemple empêché la fusion entre Qualcomm et NXP et celle entre Intel et Tower Semiconductor au cours des dernières années", estime Chris Miller, auteur de La Guerre des semi-conducteurs (L'Artilleur, 15 mai 2024).
La Chine jette le gant
Cette escalade a lieu alors que Donald Trump et Xi Jinping doivent se rencontrer fin octobre pour discuter d'un accord susceptible d'apaiser les tensions commerciales entre les deux puissances. Les précédentes séances de négociations n'ayant pas donné grand-chose, il est probable que la Chine cherche à faire monter les enchères pour convaincre Washington de signer cette fois-ci un effort en bonne et due forme.
Mais il est aussi possible que Pékin ait tout simplement acté le découplage avec l'Occident dans l'industrie des semi-conducteurs et soit décidé à couper les ponts. Si elle n'est pas encore parvenue au niveau des meilleures entreprises occidentales, la Chine progresse depuis plusieurs années à pas de géant sur les semi-conducteurs appliqués à l'IA, notamment à travers son champion Huawei. Autre indice en faveur de cette théorie : la Chine a refusé la main tendue par Washington cet été, qui a réautorisé l'exportation de puces bridées H20 de Nvidia vers l'empire du Milieu. Pékin n'a pas mordu l'hameçon et a même fait pression sur ses entreprises pour qu'elles cessent d'acheter ces puces, mettant en place des contrôles draconiens aux frontières pour empêcher les passeurs de faire entrer des processeurs graphiques Nvidia en douce dans le pays.
Le temps joue à cet égard en faveur de la chine, qui peut espérer rattraper son retard sur les puces d'IA de pointe, tandis que les pays occidentaux auront plus de mal à mettre la main sur les minerais précieux dont ils ont besoin. ASML a ainsi récemment déclaré détenir suffisamment de stocks de minerais pour voir venir, avant d'ajouter qu'un prolongement des restrictions finirait par poser de gros problèmes.