Watson d'IBM va profondément redéfinir le secteur de la Santé

L’arrivée de "Watson", l’intelligence artificielle de la société IBM, dans le secteur de la santé, est en passe de redéfinir profondément les rôles des principaux acteurs du secteur.

Une technologie pleine de promesses

Les promesses de l’intelligence artificielle Watson d’IBM, concernant le secteur de la santé, sont vertigineuses : établissement de diagnostics plus précis, procédures médicales accélérées, traitements adaptés à chaque patients, ou encore meilleur partage des connaissances. Autant de bienfaits qui permettront au secteur de la santé de se développer et de mieux prendre en charge les patients.


La généralisation de l’utilisation Watson n’est pas encore d’actualité, mais ne nous y trompons pas ; si Watson n’est pas encore un incontournable du monde de la santé aujourd’hui, cette technologie sera omniprésente sur le marché d’ici une dizaine d’années tout au plus. Les preuves de son efficacité sont déjà là : Watson a pu, par exemple, démontrer sa puissance de calcul et sa pertinence en oncologie, un domaine de la santé éminemment complexe.


La plupart des professionnels de santé commencent donc aujourd’hui à cerner le potentiel énorme de cette technologie, et les acteurs commencent à se poser des questions sur l’intégration de celle-ci au sein de notre système de santé. Mais vont-ils assez loin dans leurs interrogations ? Comprennent-ils bien l’impact réel que pourrait avoir l’arrivée de cette IA sur le secteur de la santé ?


L’inéluctable redistribution du pouvoir médical

Les actes médicaux de diagnostic et de prescription médicale sont généralement réalisés par les médecins, théoriquement d’après des données objectives : état de l’art des études cliniques, cas cliniques et recherches en cours et à venir. Or, dans la pratique, ces actes se basent également sur des données non objectives que sont les facteurs humains, par exemple, l’état des connaissances des médecins, leur intuition, leur expérience, et leur capacité à comprendre les données de santé de leurs patients.


Si nous partons donc du postulat que Watson sera capable, dans un futur proche, d’assimiler toutes les connaissances actualisées concernant la médecine, et qu’il pourra faire lui-même un diagnostic et une recommandation de traitement, en se basant sur des données purement objectives, pourquoi le pouvoir médical devrait-il alors rester entre les mains des médecins ? Ne serait-ce pas là le moyen de s’abroger des biais induits par les facteurs humain ?


IBM assure que Watson n’aura pas vocation à remplacer le médecin, tout au plus à l’aider et à lui soumettre des recommandations. Mais alors, objectivement, quelle serait la valeur ajoutée du médecin face à cette technologie qui pourrait poser un diagnostic de manière plus rapide, précise, et objective que lui, et qui pourrait suggérer des traitements plus adaptés aux patients ? N’est-ce pas là déjà une perte d’une partie du pouvoir médical du médecin au profit de la machine ? Le rôle du médecin ne serait-il pas inéluctablement amené à changer ?


Aucune certitude à ce jour ; mais le fait que le métier de médecin va être amené à évoluer est indiscutable. Une piste d’évolution pourrait être que, les médecins de demain seraient moins des spécialistes "techniques" de la santé qu’ils ne seraient des "coaches" santé : plus orientés sur l’aspect humain, l’interaction avec le patient, l’écoute et l’empathie. Car si la machine surpasse d’ores et déjà l’homme en termes de stockage des connaissances et de rapidité de raisonnement, elle ne pourra en revanche jamais rivaliser avec lui en ce qui concerne l’aspect humain, qui est une composante indispensable et non substituable du rapport médecin/patient.


La redéfinition nécessaire du marketing pharmaceutique


L’acte de prescription médicale est théoriquement un acte basé sur des données purement objectives, (études cliniques, cas patients etc…) prouvant l’efficacité et/ou la tolérance d’un traitement pour une/plusieurs pathologie(s) donnée(s). Dans la pratique, il est humainement impossible à un médecin de connaître parfaitement l’état de l’art actualisé de la médecine, car de nombreux facteurs, humains notamment, peuvent aussi influer sur la prescription médicale : la formation du médecin, ses expériences ou encore ses convictions.


Le travail du marketing de l’industrie pharmaceutique consiste donc aujourd’hui, de manière générale, à mettre en avant les preuves d’efficacité de leurs traitements/médicaments auprès des médecins, dans un but de notoriété, afin d’avoir in fine, de meilleures chances de prescription. Cependant, de par leur nature, ces actions de notoriété influencent également, et de manière non objective, le choix des médecins lors de la prescription. Le simple contact de l’industriel avec le médecin créé, malgré lui, une relation entre les deux entités, qui peut motiver le médecin à prescrire les traitements de la firme ou au contraire l’en dissuader, quelque-soient les données objectives. Le médecin a donc le "choix" de prescrire le traitement le plus adapté pour ses patients, mais son choix peut être orienté, ou non, vers certains traitements plus que d’autres.


Or, que se passerait-il si une intelligence artificielle telle que Watson arrivait sur le marché ? En admettant que Watson puisse, à partir d’un dossier médical patient, émettre une recommandation de traitement adaptée au patient, en se fondant uniquement sur des éléments purement objectifs, les actions de notoriété du Marketing pharmaceutique seraient rendues totalement obsolètes. La prescription ne serait alors plus motivée que par des preuves concrètes d’efficacité et/ou de tolérance trouvées par Watson, qui recommanderait systématiquement le meilleur traitement adapté au patient : le "choix" du traitement n’existerait alors plus.


Avec l’arrivée de Watson, la logique du Marketing pharmaceutique serait donc complètement redéfinie : nous passerions d’une logique de notoriété pure à une logique beaucoup plus médicale et stratégique. Le métier des départements marketing de l’industrie pharmaceutique ne serait donc plus tant de "faire connaître" leurs innovations/traitements, que de "mettre en place" les actions stratégiques pour être recommandés par Watson. Ceci passerait par une redéfinition complète des études cliniques, avec l’établissement d’études plus ciblées sur les patients, et des études comparatives pour se démarquer de la concurrence.


Un nouvel acteur majeur de la santé

Au-delà des simples promesses d’amélioration de la médecine, Watson est donc une véritable révolution qui s’annonce pour le secteur de la Santé. Son arrivée risque de bouleverser non seulement la conception moderne que nous avons du métier de médecin, mais également de redéfinir une partie des activités de l’industrie pharmaceutique… Et ce ne sont que deux exemples... Que dire du raz de marée que va provoquer l’arrivée de Watson dans le système de Santé ? Qui aura accès à Watson ? Devra-t-on compter sur Watson pour définir quels sont les traitements remboursables ou non ? De nombreuses questions méritent encore d’être évoquées et débattues.