Renaud Laplanche (Upgrade) "Nous devrions réaliser entre 1 et 1,5 milliard de dollars de prêts cette année"
Le Français fondateur déchu de Lending Club fête les deux ans d'Upgrade, une plateforme américaine de prêts à la consommation avec des taux d'intérêt bas et fixes.
JDN. Upgrade vient de boucler une troisième levée de fonds de 62 millions de dollars, portant à 142 millions de dollars le montant total levé en deux ans. A quoi serviront ces fonds ?

Renaud Laplanche. A continuer de construire la plateforme technologique qui nous permet d'offrir aux consommateurs des produits innovants et des prêts à des taux d'intérêt bas. Nous allons aussi embaucher environ 150 personnes d'ici fin 2019 (l'entreprise compte aujourd'hui 300 salariés, ndlr). Nous recruterons tous les profils, que ce soit dans la technique, la gestion de risque, les analytics… Ils seront répartis entre nos quatre bureaux : San Francisco, le siège social, Phoenix, notre centre d'opérations et Chicago et Montréal, nos deux centres de développement.
Combien de prêts avez-vous octroyé depuis le lancement d'Upgrade ?
On a fait 1 milliard de dollars de prêts auprès de 100 000 clients, pour un chiffre d'affaires d'environ 50 millions de dollars, car on prend environ 5% du montant d'un prêt. On devrait faire entre 1,5 et 2 milliards de dollars de prêts cette année. Et nous réaliserons probablement entre 4 et 5 milliards l'an prochain. Nous espérons être rentables l'année prochaine.
Qu'avez-vous accompli durant ces deux premières années ?
Depuis le début, nous nous concentrons sur les encours de cartes de crédit (différentes des cartes de débit françaises, ndlr). Les taux d'intérêt de ces encours sont d'environ 18% et variables. Beaucoup d'Américains ont des encours de carte de crédit depuis vingt ans et se retrouvent finalement à payer deux, trois ou quatre fois le montant emprunté initialement. Upgrade a donc lancé début 2017 des prêts destinés essentiellement à refinancer les encours de carte de crédit à un taux d'intérêt fixe et plus faible que la moyenne. Nous permettons également d'amortir mensuellement l'emprunt et les intérêts. Cela permet aux consommateurs de savoir que dans deux, trois ou cinq ans ils auront complètement payer leur dette. Début 2018, nous avons lancé la ligne de crédit, qui permet de financer jusqu'à 50 000 dollars de dépenses de carte de crédit directement à la source. Au lieu d'utiliser une carte de crédit, vous pouvez obtenir une avance et bénéficier immédiatement d'un taux plus faible que ceux des cartes de crédit. En fait, ce produit permettrait de rendre la carte de crédit complètement inutile.
Pour l'instant, vous vous concentrez uniquement sur le marché américain ?
Oui, il faut déjà qu'on sature le marché américain.
Vous dites aider les consommateurs à mieux gérer leur crédit dans un pays où la dette sur les cartes de crédit continue d'augmenter. Comment ?

Nous avons conçu des outils qui leur permettent d'obtenir un score de crédit de manière régulière, quand il y a un changement dans leur vie par exemple. Cela leur permet ainsi de surveiller l'évolution de leur crédit. Nous avons aussi créé des contenus expliquant certains aspects du score de crédit, de la gestion de crédit… On avait commencé par du contenu écrit puis nous avons développé des vidéos d'une minute. Nous avons également créé des outils simulant l'impact d'une décision financière sur votre score de crédit. Par exemple, si vous décidez d'acheter une voiture à crédit, le score de crédit change. Tous ces outils sont mis à disposition des clients d'Upgrade mais aussi des consommateurs dont la demande a été rejetée. C'est une manière pour nous de maintenir une base de prospects.
L'an dernier, vous avez mentionné un projet dans la blockchain, où en est-il ?
Il est en production. Il sert aux investisseurs à vérifier la date et le contenu de chaque document d'un emprunteur. Quand un consommateur effectue une transaction sur la plateforme, il doit signer un contrat de prêt, les conditions du site… Une signature cryptographique est alors créée et attachée à une blockchain publique. Cela permet d'avoir un horodatage et une preuve immuable de la teneur du document à un moment donné. Cela nous permet également d'avoir un système d'archivage qui peut ensuite être audité par les banques et les régulateurs américains.
Contrairement à Lending Club qui fait financer les prêts à la fois par des investisseurs professionnels et particuliers, vous avez décidé de vous concentrer uniquement sur les professionnels, pourquoi ?
Quand on a lancé Lending Club il y a une douzaine d'années, il n'y avait pas vraiment d'offres qui permettaient aux particuliers d'investir dans le crédit à la consommation. Nous avons donc créé cette plateforme qui permettait de le faire. Depuis, beaucoup de fonds permettant à un particulier d'investir dans ces produits se sont créés. C'est le gérant du fonds qui investit sur des plateformes comme Upgrade. Finalement, nous recevons beaucoup de capitaux de particuliers mais il y a en quelque sorte un intermédiaire entre nous. Le fait de passer par un fonds permet aux investisseurs particuliers d'avoir une performance plus prévisible, une expérience plus diversifiée que s'ils allaient sur un site et qu'ils achetaient quelques prêts.
Qui sont vos prêteurs ?
Nous comptons une quinzaine d'investisseurs institutionnels au total mais nous ne dévoilons pas tous les noms pour des raisons concurrentielles. Les quatre prêteurs historiques d'Upgrade sont toujours actifs dans l'entreprise (dont la banque d'investissement Jefferies, ndlr).
Quels sont vos canaux de distribution ?
Nous avons des dizaines de partenaires, plus ou moins gros. Les deux plus connus sont Credit Karma (une plateforme de scoring de crédit, ndlr), qui propose aussi aux consommateurs des outils qui permettent de mieux comprendre leurs crédits. Et aussi Lending Tree (une plateforme de mise en relation entre emprunteurs et prêteurs, ndlr) qui fait beaucoup de publicités à la télé et à la radio. Nous sommes aussi présents sur certains comparateurs.
Le marché américain du crédit à la consommation attire de plus en plus d'acteurs digitaux. Comment comptez-vous vous imposer ?
C'est un marché naissant. Le nombre d'acteurs a augmenté mais d'autres petits acteurs ont disparu, une sorte d'équilibre naturel s'est créé. En deux ans, le montant des encours de carte de crédit aux Etats-Unis est passé de 940 milliards à 1 040 milliards, soit une augmentation de 100 milliards. Sans compter que les taux d'intérêt vont continuer à augmenter. Certes, Marcus (la plateforme de prêts de Goldman Sachs lancée fin 2016, ndlr) a fait un bon lancement et a déjà fait 4 milliards de dollars de prêts au cours des deux dernières années, mais cela représente seulement 0,4% du marché. Ce n'est qu'une goutte d'eau à l'échelle des Etats-Unis.
Suivez-vous toujours Lending Club et êtes-vous prêt à parler de toute cette histoire (Renaud Laplanche a dû démissionner de son poste de PDG pour conflit d'intérêts, ndlr) ?
Je suis toujours actionnaire et je reste un grand supporter de Lending Club, mais je suis un peu de loin leur activité. Je ne suis pas encore prêt à parler de tout ça mais un jour sûrement.
Renaud Laplanche est le fondateur et CEO d'Upgrade, une plateforme américaine de prêts à la consommation. Il s'est lancé dans cette aventure suite à sa démission forcée de Lending Club, plateforme concurrente d'Upgrade, qu'il avait lui-même fondée en 2006. L'entrepreneur français était accusé de conflits d'intérêts. Il est diplômé en droit de l'université de Montpellier, d'un MBA à HEC et de la London Business School.