Robinhood & co. : les disrupteurs disruptés ?
Au jeu de l'ultra concurrence et du trading low-cost, Robinhood semble avoir pris une longueur d'avance avec un business modèle inédit. Attention toutefois aux acteurs historiques qui s'adaptent au marché.
Dans les années 1950, les "bons pères de famille" américains devaient payer plusieurs centaines de dollars de commissions aux sociétés de courtage pour investir dans des actions. En 1975, suite à une modification de la réglementation, de nouvelles firmes les ont abaissées à 70 dollars par transaction. Quinze ans plus tard, ce tarif était tombé à environ 15 dollars par opération, à la fin de la dernière décennie, il ne dépassait généralement plus de 5 dollars. Aujourd'hui, des applications telles que Robinhood ont même supprimé ces commissions. Mais quelle sera la portée de cette nouvelle disruption ?
Robinhood : démocratiser la finance… en servant les requins de Wall Street
Robinhood a été créée en 2013 aux Etats-Unis, avec l’objectif avoué de "démocratiser la finance" en supprimant les commissions de courtage. Ses deux fondateurs ont développé une application extrêmement intuitive. Pour la nommer, ils ont fait allusion à un héros populaire emblématique de l'égalité des chances.
Tous deux avaient débuté leur carrière en développant des logiciels pour les traders à haute fréquence, des courtiers qui exécutent des ordres sur les marchés financiers en quelques microsecondes, grâce à des ordinateurs très puissants et des algorithmes. D’après Forbes, cette expérience a été déterminante, et en dépit de leur discours, "dès sa création, Robinhood a été conçue pour faire des bénéfices en vendant les données commerciales de ses clients aux requins de Wall Street".
En effet, la plateforme se rémunère pour partie en revendant ses carnets d’ordres – synonyme du client produit - aux sociétés de trading haute fréquence, ce qu’on appelle "selling order flow". Elle leur permet ainsi de réaliser des marges unitaires minuscules sur les transactions dont elles se voient confier l’exécution. Robinhood n'est pas la seule à exploiter cette pratique, mais sa particularité, c’est qu’elle prend un pourcentage sur les marges réalisées, et non un montant fixe, comme le font les autres courtiers. Au second trimestre 2020, les gains correspondants auraient atteint 180 millions de dollars.
"Plus les clients de Robinhood prennent des risques dans leurs comptes de trading hyperactifs, plus la start-up de la Silicon Valley profite des baleines auxquelles elle vend leurs ordres", note Forbes. Le média américain souligne que l’application encourage ces prises de risques. D’après lui, elle incite les utilisateurs à négocier des produits sophistiqués et risqués tels que les options "en leur faisant croire qu'il est aussi facile de réussir à trader des options que de se mettre à niveau dans un jeu vidéo".
Une disruption alimentée par le plan de relance américain
Dès le départ, l’application a connu un succès fulgurant, attirant à elle de nombreux clients à un rythme effréné et faisant de nombreuses émules. Plusieurs autres applications de trading gratuit (dont Webull et M1 Finance) ont émergé dans son sillage.
La crise du coronavirus et le plan de relance de l'administration Trump pour lutter contre les conséquences de celle-ci ont été une aubaine pour ces firmes. Les adultes américains ont en effet reçu des chèques de 1 000 à 1 200 dollars pour leur permettre de consommer davantage. Les remboursements des prêts étudiants ont été suspendus pour une période de 6 mois.
Mais les statistiques montrent que des millions de millenials américains désœuvrés n’ont pas dépensé leur chèque de 1 200 dollars sur des produits de consommation. Ils ont téléchargé l’application de Robinhood et ont utilisé cette aide pour s’initier au trading sur les marchés financiers.
La start-up a ainsi gagné 30% d'utilisateurs de plus depuis le mois de janvier. Ses recettes devraient culminer à 700 millions de dollars pour 2020, soit 250% de plus qu’en 2019, d’après les indications d’un initié rapportées par Forbes.
Les sociétés de trading bien établies ont été obligées de suivre. Plusieurs d’entre elles (Charles Schwab, Interactive Brokers, Fidelity ou J.P. Morgan Chase, entre autres) ont annoncé qu’elles supprimaient elles aussi les commissions de courtage et les commissions zéro semblent dorénavant vouées à être la norme.
Nous sommes confrontés à une nouvelle disruption : l’arrivée d’une start-up a modifié de façon durable un marché et a obligé les acteurs bien établis de ce marché à se conformer à cette nouvelle donne.
Le disrupteur bientôt disrupté ?
Mais ces acteurs peuvent s’adapter à ce nouveau contexte. En renonçant à leurs commissions de courtage, les courtiers traditionnels ont détruit l’avantage concurrentiel décisif de Robinhood et de ses semblables.
Robinhood a réagi en lançant de nouvelles fonctionnalités, dont le trading d'actions fractionnées. Celui-ci donne la possibilité aux investisseurs d'investir de façon mutualisée dans des actions et des ETF pour des sommes très minimes, à partir de 1 dollar. Ils n’acquièrent donc plus une action, mais la fraction d’une action. L’objectif est de rendre accessibles les parts convoitées des Gafa, dont le cours unitaire excède souvent les 300 dollars (l’action Amazon cote plus de 3 000 dollars actuellement). Cependant, Charles Schwab, Interactive Brokers et Fidelity se sont rapidement alignés en proposant eux aussi cette possibilité.
En outre, certaines sociétés de courtage avaient anticipé le succès de ces applications et ce qu’il en découlerait pour elles. Elles ont déjà développé d’autres activités générant de nouveaux revenus. Charles Schwab a lancé une offre de gestion d'actifs et des services par abonnement, par exemple.
Cet épisode évoque une autre disruption de ce marché. Il y a une dizaine d’années, les sociétés Wealthfront, Betterment et Personal Capital étaient les pionnières des robo-advisors, avec la volonté de démocratiser l’accès à la performance dans la gestion d’actifs grâce à des algorithmes. Mais aujourd’hui, ces firmes ne sont plus les maîtres de ce marché. Des acteurs plus anciens (Vanguard, Charles Schwab et TD Ameritrade) les ont supplantées.
Cela ne signifie pas forcément que Robinhood et ses semblables ont déjà perdu la partie. Mais les mastodontes traditionnels du courtage sont plus expérimentés et ils disposent d’une infrastructure puissante. Cette dernière leur permet d’ajuster leur offre rapidement pour éviter de se laisser distancer. La bataille sera rude.