IA et propriété intellectuelle, un enjeux clef du 21ème siècle
Des logiciels créent désormais des oeuvre d'art grâce à l'intelligence artificielle. Mais à qui appartiennent-elles ? Le droit de la propriété intellectuelle va devoir s'adapter à ces nouvelles problématiques.
L’apparition d’œuvres autonomes
Des œuvres autonomes réalisées par l’IA seule commencent à voir le jour dans de nombreux secteurs. L’intervention humaine dans le processus créatif disparaît totalement au profit d’une créativité algorithmique.
Dans l’audiovisuel par exemple, des robots créent aujourd'hui de façon autonome des scenarios à l’instar de l’IA "Benjamin" créée par Ross Goodwin ou de l’IA Watson d’IBM désormais capable de concevoir des bande-annonce de cinéma.
La littérature est également impactée par ce phénomène nouveau avec la conception par l’IA de romans ou de nouvelles.
En avril dernier, un nouveau "Rembrandt" a été réalisé, sans qu’aucun homme ne soit intervenu dans le processus de création ! Ainsi, grâce aux technologies de big data, de deep learning et à une simple imprimante 3D, une IA a pu produire un tableau inédit, fidèle à tous les codes du grand peintre jusque dans les moindres détails (utilisation du clair-obscur, angle des coups de pinceaux, etc…).
Ces exemples de créations par des robots autonomes se multiplient grâce aux technologies de machine learning qui permettent à l’IA d’apprendre par elle-même, grâce à l’analyse de données.
Protéger les créations de l’IA : une nécessité
Ces inventions liées à l’IA, par opposition aux inventions humaines, ne sont aujourd’hui pas appréhendées par le droit. Il apparaît pourtant indispensable que ces œuvres soient protégées. Il existe un vide juridique sur la question de la protection dont pourraient bénéficier ces œuvres : tout mène à penser qu’elles sont libres de droit.
Les acteurs sous-traitant certaines productions à des robots se verraient alors dépossédés de tous droits sur l’œuvre finale produite, ce qui est inacceptable pour les studios souhaitant investir dans cette voie et constitue un frein de nature à ralentir considérablement le développement de l’intelligence artificielle.
Il est par conséquent nécessaire que ces nouvelles créations autonomes soient protégeables et que le législateur prévoit un corpus de règles encadrant cette protection. La question est désormais celle de savoir à qui reviendra la paternité de ces inventions.
La paternité de la création de l’IA
Le droit positif protège au titre des droits d’auteur les "œuvres de l’esprit", ce que la jurisprudence a précisé en reconnaissant la protection aux œuvres "originales" et/ou portant "l’empreinte de la personnalité de son auteur".
Ceci explique l’insuffisance du droit face à l’IA : ses créations ne peuvent être qualifiées "d’œuvres de l’esprit" puisque, par nature, elle n’en dispose pas. De plus, comment trouver une "empreinte de la personnalité" de l’IA alors qu’on ne lui reconnait pas de personnalité juridique ?
Il appartient ainsi au législateur de définir les règles applicables à ces inventions qui ne peuvent répondre que d’un régime spécifique du fait de la complexité de leur conception. Il serait regrettable que la voie de l’adaptation des régimes de droit positif soit retenue pour doter de ces créations un régime adéquat.
Plusieurs options sont alors envisageables pour régler la question de la propriété intellectuelle des œuvres de l’IA :
Reconnaître la paternité de la création au concepteur de l’algorithme en étant à l’origine, mais le concepteur n’est souvent plus le propriétaire de l’IA, faut-il vraiment lui reconnaître la propriété des œuvres d’un robot dont il a cédé l’exploitation à un autre ?
Reconnaître la paternité de la création au propriétaire du robot, ce qui favoriserait l’exploitation commerciale de l’IA, notamment dans les exemples cités précédemment de l’audiovisuel. Toutefois, faut-il vraiment désintéresser totalement le concepteur originel de la technologie, sans qui rien n’aurait été possible ? La question se pose.
Reconnaître la paternité de la création au robot, ce qui sous entendrait de lui attribuer préalablement une "personnalité juridique fictive" et par conséquent un patrimoine. Mais alors, le robot ne pouvant pas disposer ni profiter des éventuels revenus tirés de son travail, à qui devront-ils être transmis ? Ce raisonnement nous renvoie donc aux deux problématiques soulevées ci-dessus. Chacune des options présente donc ses limites.
Vers un partage des droits ?
Une solution alternative et répondant aux multiples enjeux mis en exergue par la question de la paternité des œuvres serait de partager les droits entre le propriétaire du robot et le concepteur de l’algorithme.
Cela permettrait de ne pas délaisser le concepteur qui a "éduqué" le robot tout en préservant les intérêts du propriétaire du robot qui exploite réellement le potentiel créatif la technologie et qui a déboursé une certaine somme pour s’en offrir les services.
Le concepteur sera souvent amené à intervenir afin de réaliser des mises à jour ou simplement corriger des bugs, faisant de lui un acteur indispensable à l’exploitation durable de l’IA. Impossible donc de le retirer de l'équation.
Afin de conjuguer au mieux les intérêts du concepteur et du propriétaire, il serait judicieux et équitable de leur accorder des droits communs sur les inventions de l’IA, tout en gardant une possibilité d’organiser contractuellement les modalités du partage de ces droits.
Encadrer le régime juridique des inventions de l’IA doit donc être une priorité pour le législateur afin de sortir de l’incertitude juridique actuelle sur la question, qui peut nuire aux concepteurs ou éventuels exploitants d’IA.
Le débat reste ouvert et aucune solution, prise indépendamment, n’est satisfaisante. Il nous reste donc à voir sur quelle voie le législateur souhaitera se lancer…
Cet article a été rédigé avec Thomas Le Goff.