AMD rachète ZD Systems pour rester en lice face à Nvidia
Le géant américain des semi-conducteurs poursuit sa stratégie d'investissements et acquisitions tous azimuts en rachetant un spécialiste des serveurs informatiques. Une stratégie qui vise à rendre l'offre d'AMD plus complète, sur le modèle de Nvidia.
AMD a racheté ZT Systems, un spécialiste des équipements pour les serveurs informatiques et les centres de données. Mais le fabricant de puces américain, l'un des deux spécialistes des GPUs avec Nvidia, n'a nullement l'intention de diversifier ses activités en s'attaquant aux serveurs. AMD a du reste d'ores et déjà annoncé son intention de revendre la partie production de ZT Systems. Car son ambition est tout autre : ce que vise l'entreprise à travers cette acquisition, ce sont les talents et le savoir-faire de ZT Systems, susceptibles de relancer AMD dans la course à l'IA.
Lors d'une conférence de presse, la dirigeant d'AMD, Lisa Su, a ainsi mis en avant les "ingénieurs de classe mondiale" sur lesquels sa société allait mettre la main à travers ce rachat. AMD a prévu de débourser pas moins de 4,9 milliards d'euros pour acquérir ZT Systems, ce qui en fait la deuxième plus grosse acquisition de l'histoire de l'entreprise, derrière celle du spécialiste des circuits logiques programmables Xilinx, racheté pour 35 milliards de dollars en 2020. Un peu cher pour acquérir des talents ? Pas si l'on prend en compte les sommes en jeu dans l'IA.
Une pénurie d'ingénieurs qualifiés
La frénésie actuelle autour de l'intelligence artificielle est une excellente nouvelle pour une société comme AMD, l'un des deux spécialistes mondiaux des GPUs avec Nvidia. Celles-ci sont nécessaires à l'entraînement des grands modèles de langage, et sont ainsi vendues à prix d'or aux géants de la Silicon Valley qui possèdent de grandes ambitions dans l'IA et les moyens de les mettre en œuvre : Meta, Alphabet, Microsoft, etc. Si elle reste à la traîne derrière Nvidia, le champion incontesté pour le design des puces d'IA, AMD a ainsi affiché de bons résultats au deuxième trimestre de cette année. Mais comme toutes les entreprises du domaine, elle est confrontée à un manque de talents : les ingénieurs capables de concevoir des puces d'IA avancées sont rares et se monnaient très cher. La Semiconductor Industry Association, un lobby, estime ainsi que l'industrie devra créer 115 000 emplois dans le design et la fabrication des puces d'ici 2030 pour répondre à ses besoins, dont 58 % risquent cependant de demeurer vacants faute de main d'œuvre qualifiée.
"AMD s'offre l'expertise et les talents nécessaires afin de consolider son portefeuille dédié aux systèmes d'IA", décrypte Antoine Chkaiban, analyste chez New Street Research, un cabinet d'intelligence de marché. "Son objectif est de s'inscrire dans les pas de ce que propose Nvidia avec Blackwell, en passant de serveurs à 8 GPUs vers de plus gros systèmes à 72 GPUs, interconnectés par un réseau à très haute densité. Le tout afin d'accélérer la vitesse à laquelle les entreprises clientes peuvent intégrer les puces AMD dans des serveurs plus performants, et ainsi faire en sorte que ses GPUs puissent aussi être dédiées à l'entraînement et à l'inférence sur de plus gros modèles, ce que permet Blackwell chez Nvidia."
Construire un écosystème autour de l'IA
AMD n'en est pas à son coup d'essai : en juillet, l'entreprise américaine a dépensé 665 millions de dollars pour s'offrir Silo AI, un laboratoire de recherche européen sur l'IA, afin d'améliorer sa capacité à proposer des modèles d'IA de pointe. Après cette acquisition située davantage du côté logiciel, AMD ajoute donc une nouvelle corde à son arc, cette fois-ci plutôt axée sur l'aspect serveurs et déploiement. Le spécialiste américain des puces informatiques bâtit ainsi patiemment son propre écosystème qui, sans lui offrir de quoi vraiment rivaliser avec l'ogre Nvidia, lui permet du moins de tenir la distance. L'une des raisons derrière la domination de Nvidia est en effet son aptitude à proposer non pas seulement des puces haut de gamme, mais aussi un service d'IA complet qui peut facilement s'intégrer à un centre de données existant.
"AMD doit agrandir son écosystème pour toucher un marché plus large, c'est-à-dire développer les briques nécessaires pour que les développeurs puissent adopter ses GPUs plus rapidement dans des cas d'usages plus divers. C'est ce qui va lui permettre d'atteindre des clients au-delà des géants technologiques comme Microsoft et Meta", analyse Antoine Chkaiban.
Au total, AMD a investi plus de 125 millions de dollars dans une douzaine d'entreprises spécialisées dans l'IA au cours des douze derniers mois, et acquis plusieurs jeunes pousses dont Silo AI, Mipsology (spécialisée dans l'inférence) et Nod.ai (logiciel d'AI open source).
Les acquisitions déguisées sous l'œil des régulateurs
Face à un écosystème de talents rares et précieux, un phénomène gagne actuellement en popularité : celui des "acqui-hire", ces rachats déguisés en investissements, dont le seul but est de recruter les équipes d'ingénieurs et la technologie de l'entreprise cible. En mars dernier, Microsoft a ainsi investi 650 millions de dollars dans la jeune pousse Inflection AI, avant de recruter une bonne partie de son personnel, dont Mustafa Suleyman, l'un des cofondateurs de DeepMind, jeune pousse britannique rachetée par Google en 2014 et à l'origine du logiciel AlphaGo. Amazon a fait de même avec Adept AI.
Ces pratiques visent notamment à passer sous le radar des autorités de la concurrence, alors que l'Union européenne, le Royaume-Uni et les États-Unis font tous la chasse aux monopoles. Mais elles commencent également à attirer les soupçons des régulateurs. L'investissement de Microsoft dans Inflection AI est ainsi actuellement passé au peigne fin par la Competition and Markets Authority, le gendarme britannique de la concurrence, qui avait déjà donné du fil à retordre au géant de l'informatique lors de son rachat d'Activision Blizzard. Aux États-Unis, la FTC, dirigée par Lina Khan, qui a fait de la lutte contre les monopoles technologiques l'un de ses chevaux de bataille, est également en train d'analyser les rapprochements entre Google, Amazon, Microsoft et plusieurs jeunes pousses.