LightOn et bientôt Mistral AI : pourquoi les champions français d'IA optent pour la bourse ?
En quelques jours, les acteurs de l'intelligence artificielle ont fait le grand huit émotionnel. D'abord avec Stargate, l'investissement de 500 milliards de dollars annoncé par Donald Trump dans l'IA, ensuite avec Deepseek, une IA chinoise capable de faire mieux qu'OpenAI pour deux bouchées de pain. De quoi éluder une information pourtant surprenante : l'intention affichée à Davos par Arthur Mensch, CEO de Mistral AI, d'introduire le champion français en bourse.
Si Mistral AI n'a donné aucune information concernant la date de sa future IPO, il s'agit malgré tout d'un petit événement. D'une part, la moindre communication de la tête d'affiche de l'IA française (voire européenne) suscite toujours des réactions. D'autre part, peu de jeunes entreprises de la French tech ont passé le cap de l'IPO ces derniers mois. Seule la fintech Younited et LightOn, un autre porte drapeau de l'IA française, ont rejoint la cotation. Voilà pour le décompte de ces douze derniers mois.
Deux profils qui dénotent
Tout comme l'introduction en bourse de LightOn, l'annonce de Mistral AI a aussi surpris les experts. "J'ai d'abord été étonné", confie Olivier Martret, partner pour le fonds d'investissement Serena. "Ces dernières années, la bourse a montré qu'elle préférait les boites matures et rentables. Là on parle d'entreprises qui sont encore très jeunes." LightOn a été fondé en 2016, Mistral AI en 2023.
Le profil de LightOn, qui n'a levé "que" 2,9 millions d'euros auprès d'investisseurs privés avant son IPO, a en effet de quoi surprendre. "C'est vrai qu'on est une entreprise jeune comparée aux autres sociétés cotées en bourse", reconnait Laurent Daudet, cofondateur de LightOn. "Mais avec l'IA, l'échelle de temps est différente. Aucune technologie ne s'est jamais développée aussi rapidement dans l'histoire. Par ailleurs, le grand public est désormais éduqué aux thématiques d'intelligence artificielle. On s'est dit qu'il allait répondre positivement à notre IPO". Cette hypothèse s'est vérifiée puisque ce sont surtout les particuliers qui ont été séduits par l'action LightOn, dont le prix est passé de 10,35 euros à ses débuts à 18,20 euros au moment de l'écriture de ces lignes. Des résultats encourageants qui "ont peut-être donné des idées à d'autres acteurs…"
"Avec l'intelligence artificielle, l'échelle de temps est différente"
Concernant Mistral AI, Olivier Martret n'exclut pas "l'effet d'annonce" qu'un acteur d'une telle envergure aurait pu rechercher : "Peut-être qu'il s'agit d'une stratégie pour que les pouvoirs publics prennent la mesure de l'enjeu et les aident dans leur IPO, pourquoi pas avec du lobbying. Le but peut également être d'ancrer dans les esprits que Mistral AI est une entreprise qui a vocation à aller en bourse. Sinon, cela peut être un message à destination des investisseurs privés pour leur indiquer que l'entreprise a besoin de financement".
Beaucoup d'hypothèses mais une seule certitude (du moins jusqu'à l'arrivée de DeepSeek) : développer des modèles d'intelligence artificielle nécessite d'importants capitaux. "Pour rester compétitif, il faut être capable de lever des fonds en continu", indique Franck Sebag, associé chez le cabinet de conseil EY. Par exemple, Google a réinvesti 1 milliard de dollars dans Anthropic en janvier quand OpenAI avait récolté 6,6 milliards de dollars en octobre. Comment Mistral AI, qui a déjà levé près d'un milliard d'euros en trois tours de table, peut-il obtenir un financement semblable à celui récolté par ses rivaux américains ?
Enjeux de souveraineté
La question divise les spécialistes. "Le schéma classique, c'est de s'introduire en bourse quand on a cherché tout l'argent qu'on pouvait dans le privé. Avant son IPO, Mistral AI devrait conclure une dernière levée de fonds en private equity", prédit Franck Sebag. "En Europe, peu de fonds sont en capacité d'investir des centaines de millions d'euros. Si Mistral AI ne veut pas être financé uniquement par des acteurs américains, l'introduction en bourse demeure la seule alternative", explique de son côté Olivier Martret.
La question de la souveraineté apparait comme primordiale. Ce n'est pas Arthur Mensch qui dira le contraire. Le fondateur de Mistral AI avait justifié sa volonté de s'introduire en bourse auprès de Bloomberg TV de la façon suivante : "Nous avons quitté les géants américains de la tech pour créer une entreprise en Europe pour montrer que l'Europe a quelque chose à dire". Pour rappel, ce diplômé de Polytechnique et de l'ENS a quitté Deepmind, le laboratoire d'IA de Google, pour fonder Mistral AI. L'argument de la souveraineté a également joué dans la décision d'IPO de LightOn : "On voulait rester indépendant des investisseurs américains. La bourse nous assure davantage d'indépendance. Il me semble très important que l'IA se développe en France et en Europe, surtout quand on voit les annonces récentes de Donald Trump et de la Chine", conclut Laurent Daudet.