Intelligence artificielle, humanisme réel

L'IA n'est ni menace ni miracle : elle impose un changement de posture. Montrer, partager, apprivoiser, pour en faire un levier humain et collectif plutôt qu'un dogme ou une peur.

« La technologie n’est ni bonne ni mauvaise en soi, elle est », écrivait déjà à l’orée des années 80 le philosophe Jacques Ellul. Par cette maxime, il invitait chacun à penser différemment. A envisager la technologie comme une variable plutôt que comme un eldorado ou un démon. 2025, avènement de l’Intelligence artificielle générative. Jamais peut-être cette maxime d’Ellul n’a été autant d’actualité. L’IA est là, progressant chaque jour, pleine de promesses pour l’avenir de ce qu’elle pourra permettre de réaliser. Les dirigeants d’entreprises ne s’y trompent d’ailleurs pas. Ils cultivent pour celle-ci une appétence certaine qui va croissant. Appétence dans ce qu’elle facilite et démultiplie les gains de productivité possibles et essentiels dans la bataille économique. Appétence aussi dans ce qu’elle vient charrier avec elle de représentations positives de la modernité. Le CEO Survey 2025 de PWC vient d’ailleurs de l’objectiver avec des chiffres puisqu’ils sont 62% à penser que l’IA est un investissement primordial pour l’avenir de leurs entreprises. 

Face à cela, deux attitudes sont possibles. Celle, naturelle et primaire au sens premier du terme, c’est-à-dire logique, de la peur. « L’IA va faire mon travail et je n’existerais plus ». Des craintes naturelles souvent entretenues par la présentation médiatique des technologies où l’Humain disparaît ou plutôt devient nécessairement une victime de la technologie. A l’inverse, l’autre posture elle aussi entretenue par des présentations médiatiques béates, consiste à penser que l’IA va résoudre tous les problèmes et surtout incarne à elle seule l’avenir. Comme souvent, le chemin se trouve au croisement de ces deux approches. Dans un optimisme lucide fait de confiance autant que de conscience des dangers. 

Comme lors des grandes transformations précédentes (imprimerie, machine à vapeur, chemin de fer, internet), vouloir calquer des savoirs, des méthodes ou des process préexistants en pensant que c’est à la technologie de s’adapter fera prendre du retard, ou pis fera perdre le fil de l’innovation et donc du modèle économique. 

Avec l’IA, il convient de sortir des habitudes. De ne pas se confiner dans une forme de savoir descendant qui assène les vérités sur la façon dont il convient de l’utiliser. Au contraire, plusieurs expériences démontrent qu’il ne s’agit pas de « former » les collaborateurs à l’IA mais de leur « montrer » l’IA. Pour qu’ils s’approprient ses modes de fonctionnement, d’abord. Qu’ils l’utilisent ensuite, qu’ils l’apprivoisent enfin avant de pouvoir « montrer » ses possibles à d’autres collaborateurs. Dans une forme de chaîne de partage qui vient démontrer une chose : pour tirer la substantifique moelle de cette nouvelle technologie, il y a besoin de l’humain. Intelligence artificielle, humanisme réel pourrait-on dire dans une forme de maxime. Comme si l’IA obligeait les organisations, les équipes et les managers à recréer des communautés d’intérêt autour d’un nouvel outil de travail. Comme si, en quelques sortes, la technologie (en l’occurrence l’IA) loin d’être un monstre froid ou une innovation magique, permettait simplement de réinvestir l’Humain. 

Montrer plutôt que dire. Apprivoiser plutôt que craindre. Partager plutôt que d’enseigner. Autant de nouvelles approches qui permettent de faire du tournant technologique majeur que constitue l’avènement de l’IA un chantier collectif autant qu’une nouvelle façon d’envisager le projet commun d’entreprise. 

Utopique ? Peut-être. Nécessaire, assurément. Sans cela, alors émergera la question centrale qui sous-tend toutes les interrogations autour de l’IA ; celle de Blade Runner, quelle place pour l’humain parmi tous les outils qu’il a inventé ?