L'énergie comme levier stratégique : priorité aux IA européennes

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L'IA entraîne une explosion de la consommation énergétique qui menace d'atteindre des niveaux critiques. Sécuriser l'approvisionnement des infrastructures souveraines doit être une priorité.

Depuis 2010, les progrès d’efficacité énergétique des équipements informatiques ont permis de contenir l’augmentation de la consommation électrique des datacenters en Europe. Alors que les usages (cloud, streaming, minage, IA naissante) explosaient, la demande des datacenters au sein de l’Union européenne oscillait entre 45-65 TWh représentant environ 1,8 à 2,6 % de la consommation électrique totale de l’Union1. 
Mais l’ère de l’intelligence artificielle ouvre un nouveau cycle : selon un rapport de McKinsey & Company2 publié en 2024, la demande des datacenters pourrait presque tripler d’ici 2030 pour dépasser 150 TWh, soit environ 5 % de la consommation prévue de l’énergie électrique européenne. 

Pourquoi l’IA alimente la tension énergétique en Europe ?

Premier constat : l’Europe avance presque à l’aveugle. Il n’existe pas encore de recensement exhaustif des datacenters au sein de l’Union européenne alors même qu’ils constituent un pilier de l’économie numérique. Les bases privées recensent environ mille quatre cents sites implantés en Europe élargie, ce qui conduit à penser que l’Union en dénombrerait autour de mille trois cents, mais cet ordre de grandeur reste incertain. On voit mal dans ce contexte comment anticiper précisément la demande en énergie. Or le parc va continuer de croître, poussé par les besoins européens, 252 seraient actuellement en construction3, mais aussi par les géants américains et chinois qui multiplient les implantations pour proposer à leurs clients locaux la conformité règlementaire et garantir une latence minimale, indispensable aux usages d’IA en temps réel.

De surcroît, l’intensité énergétique explose. Les datacenters traditionnels fonctionnaient autour de 7 à 10 kW par rack. Les nouveaux sites dédiés à l’IA montent à 30, 60, voire plus de 100 kW, sous l’effet des grappes de GPU utilisées pour l’inférence et les applications instantanées. Les sites ne se contentent plus d’être plus nombreux : ils deviennent beaucoup plus denses et donc beaucoup plus énergivores.

Enfin, si des progrès notables émergent — serveurs plus efficaces, optimisation logicielle, refroidissement par immersion utilisant un fluide spécialisé plutôt que de l’eau — ils ne suffiront pas à compenser le rythme de cette montée en puissance. L’Europe doit anticiper, faute de quoi elle se heurtera à la réalité physique des réseaux électriques et des capacités de refroidissement ce qui obérera ses chances dans la course mondiale à l’IA.
De la nécessité de sécuriser l’approvisionnement en énergie des datacenters souverains — et d’exiger des transferts de technologie en contrepartie de l’accès à l’énergie européenne

Face à cette montée inexorable de la demande, l’Europe n’a plus le luxe de l’innocence énergétique. La puissance de calcul n’est plus un enjeu secondaire : elle conditionne notre industrie, notre défense, notre recherche, notre culture numérique et, demain, notre démocratie. Il en découle un impératif simple : garantir en priorité l’approvisionnement des datacenters souverains européens, ceux qui hébergent nos données publiques, nos secteurs stratégiques et nos modèles d’IA nationaux et européens. Dans un contexte où l’énergie devient un levier de souveraineté, il serait irresponsable de laisser nos capacités de calcul essentielles dépendre des fluctuations du marché ou de la pression de géants extra-européens.

Parallèlement, l’Europe ne peut pas continuer à fournir une énergie précieuse — subventionnée par ses contribuables ou ses investissements publics — sans contrepartie stratégique. Les datacenters américains et chinois implantés en Europe ont besoin de notre électricité pour traiter nos données, servir leurs clients locaux, réduire la latence et se conformer à nos régulations. Ils doivent donc contribuer à l’effort européen : accès à l’énergie contre transferts de technologie, formation, ouverture de capacités de calcul et participation à l’écosystème IA européen.

Car la Chine comme les États-Unis protègent systématiquement leurs intérêts technologiques. La Chine n’a jamais ouvert son marché sans contrepartie : dans l’automobile, l’aéronautique, l’énergie ou le ferroviaire, elle a exigé des transferts technologiques, des co-entreprises locales et des obligations de production en échange de l’accès à son marché. Les États-Unis suivent la même logique, mais par la loi : Cloud Act, ITAR, Buy American Act, CHIPS Act, Inflation Reduction Act — autant de dispositifs qui conditionnent l’accès à leur marché, à leurs données et à leurs capacités industrielles.

Notre énergie ne peut pas être un bien d’accès inconditionnel : elle doit devenir un instrument de souveraineté et de réciprocité. Chaque kilowatt-heure fourni à un acteur extra-européen doit contribuer à renforcer nos capacités technologiques, industrielles et scientifiques — pas à nourrir celles de nos concurrents.
Sources :
(1) Energy Consumption in Data Centres and Broadband Communication Networks in the EU 
(2) McKinsey
https://www.reuters.com/technology/europes-data-centre-power-demand-expected-triple-by-2030-mckinsey-report-says-2024-10-23/
(3) Europe Data Center Portfolio Report 2025
Photo de Lukáš Lehotský sur Unsplash