Sans interopérabilité des réseaux de recharge, pas de transition électrique en Europe

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Sans interopérabilité des réseaux de recharge l'Europe risque d'échouer sa transition électrique en créant une fracture territoriale et sociale au lieu d'assurer une mobilité propre accessible à tous.

L’Europe ne parviendra pas à réussir sa transition vers la mobilité électrique sans une interopérabilité totale de ses réseaux de recharge. Au-delà d’un enjeu technique, c’est une question de liberté de circuler et d’égalité d’accès à la mobilité propre pour tous les citoyens européens. Sans cette cohérence, la transition énergétique risque de se transformer en fracture territoriale et sociale.

Une Europe à deux vitesses

L’Union Européenne a beau afficher l’ambition d’un continent neutre en carbone d’ici 2050, la réalité du terrain raconte une autre histoire : celle d’une Europe fragmentée dans sa transition électrique. Avant 2023, la Commission faisait déjà le constat d’un déploiement inégal des infrastructures de recharge pour véhicules électriques (VE). Si certaines régions de l’Ouest avancent à vive allure, d’autres, notamment en Europe centrale et orientale, peinent à suivre.

Cette fracture géographique s’ajoute à une autre, plus insidieuse : celle de l’usage. Car à quoi bon multiplier les bornes si leur accès reste complexe, si les tarifs varient de manière opaque et si les réseaux ne se parlent pas entre eux ? Le risque est clair : l’Europe pourrait rater la marche d’une mobilité réellement unifiée, accessible et fluide.

L’interopérabilité, condition de la liberté de circuler

L’essor du véhicule électrique ne repose pas seulement sur la production de batteries ou sur la baisse du coût des véhicules. Il dépend surtout de la confiance des conducteurs. Et cette confiance ne se construit pas sur la promesse d’une borne disponible « quelque part », mais sur la certitude de pouvoir recharger facilement, à un tarif transparent, quel que soit le pays, le réseau ou le fournisseur de service.

Or, aujourd’hui, cette promesse n’est pas tenue. Les divergences nationales, les modèles économiques cloisonnés et les plateformes d’itinérance incomplètes fragmentent l’expérience utilisateur. Résultat : un conducteur qui traverse l’Europe doit encore jongler entre plusieurs applications, cartes ou abonnements. Un non-sens à l’heure où la mobilité se veut connectée et simplifiée.

Le règlement AFIR (Alternative Fuels Infrastructure Regulation), adopté en septembre 2023 et applicable depuis avril 2024, vise justement à corriger cette complexité. Il impose des bornes tous les 60 km sur les autoroutes et routes principales du réseau transeuropéen de transport. Pour les zones urbaines et périurbaines, l’objectif est de déployer des bornes de recharge publiques et accessibles dans les villes, particulièrement dans les zones résidentielles et lieux de travail.  

Ces dispositions sont nécessaires pour encadrer les pratiques. Mais elles ne suffiront pas sans une véritable culture de l’interopérabilité, portée conjointement par les États, les opérateurs et les plateformes technologiques.

L’interopérabilité, levier d’équité et de cohésion sociale

On parle souvent de transition énergétique en termes de technologie ou d’économie. Mais c’est avant tout un enjeu de justice et de cohésion. Si l’accès à la mobilité électrique devient un privilège réservé aux métropoles ou à ceux qui peuvent s’offrir les services les plus fluides, alors la transition échoue dans sa mission essentielle : donner à chacun la possibilité de se déplacer librement, durablement et à coût maîtrisé.

Garantir une interopérabilité complète des réseaux, c’est garantir une égalité d’accès à la mobilité propre, que l’on habite à Lisbonne, à Varsovie ou dans une zone rurale française. C’est aussi créer les conditions d’un marché européen, où les acteurs privés peuvent investir avec visibilité, sans craindre que leurs solutions restent cantonnées à un seul territoire.

Passer du cadre réglementaire à la culture partagée

L’Europe a posé le cadre avec le règlement AFIR. Désormais, il faut lui donner vie. 

Cela suppose d’abord une obligation technique, avec des standards réellement communs, du connecteur à la donnée, en passant par la transparence tarifaire et la disponibilité en temps réel des bornes. Sur ce volet, les choses progressent bien. Il faut aussi une incitation économique, pour encourager les opérateurs qui ouvrent leurs réseaux et décourager les pratiques de fermeture ou de tarification opaque. Enfin, un engagement collectif : faire de l’interopérabilité un sujet de coopération plutôt que de concurrence. Car la compétitivité ne viendra pas de la possession des bornes, mais de la qualité du service et de l’expérience utilisateur.

L’enjeu dépasse la technique. Il s’agit de bâtir une infrastructure de confiance, dans laquelle chaque citoyen européen peut se sentir chez lui, quel que soit l’endroit où il branche son véhicule.

La mobilité électrique, un projet politique européen

L’interopérabilité n’est pas une option technologique, c’est un choix politique. C’est elle qui conditionne la réussite de la transition électrique, la cohésion du territoire européen et la compétitivité du marché.

Nous devons cesser de voir la recharge comme un service accessoire à la voiture électrique. Elle en est le socle. Une Europe de la mobilité électrique ne peut exister que si ses réseaux de recharge forment un tout cohérent, ouvert et lisible. C’est à ce prix que nous ferons de la transition énergétique non pas un privilège, mais un droit.