Le plan de Facebook pour devenir un champion de la vidéo
BFMTV, Brut, Le Monde, M6 ou encore France Télévisions… Désireux de rendre sa plateforme dédiée à la vidéo, Watch, plus attractive, Facebook recrute en ce moment les partenaires médias à tour de bras. Lancée en août 2018, la plateforme se veut comme la réponse de Facebook à l'explosion des usages en matière de vidéo. "Le lancement de Facebook Live, il y a quelques années, nous a fait nous rendre compte de l'appétit de nos utilisateurs pour le format, se remémore Edouard Braud, responsable des partenariats médias de Facebook en France et en Europe du Sud. Ils sont de plus en plus à vouloir en consommer spécifiquement." Et pour les aider à trouver leur bonheur au sein d'une plateforme où l'on retrouve de tout (photos, textes, gifs, images…), Facebook a donc décidé de consacrer un espace dédié au format.
"Toute vidéo diffusée par une page de média ou de personnalité atterrit automatiquement au sein de Watch"
"Watch est la verticale vidéo de Facebook", résume Edouard Braud. Une verticale qui a pas mal évolué depuis ses débuts. Facebook voulait initialement en faire un environnement fermé au sein duquel seuls les contenus des partenaires médias étaient proposés. Les équipes de Mark Zuckerberg ont depuis revu leur copie, quitte à créer une certaine confusion. "Il n'y a pas besoin de nouer un partenariat avec Facebook pour se retrouver dans Watch. Toute vidéo diffusée par une page de média ou de personnalité y atterrit automatiquement", rappelle Edouard Braud. Colonne de gauche, l'utilisateur peut retrouver les vidéos qui ont été postées par les pages qu'il aime sur Facebook. Colonne du centre, l'algorithme de se charge de mettre en avant des vidéos susceptibles de lui plaire. A chaque fin de visionnage, c'est une nouvelle vidéo qui se lance automatiquement. Un moyen de faciliter la découverte de nouveaux contenus… et donc de doper les usages. Les utilisateurs Facebook dans le monde qui se rendent sur Watch au moins une fois par mois y passent 26 minutes par jour, en moyenne.
C'est là toute l'ambition de Facebook avec Watch : sortir les utilisateurs du snacking auquel ils se cantonnaient jusque-là - quelques minutes de vidéos par ci par là - pour aller vers une consommation plus poussée. "Facebook Watch doit nous permettre d'améliorer la distribution des vidéos, de façon à augmenter les taux de complétion et permettre aux éditeurs de générer plus de revenus", résume Edouard Braud. Une ambition notamment dictée par les velléités publicitaires de la plateforme, qui veut aller piquer aux chaînes TV les budgets qui leur sont consacrés.
Conscient que le succès de Watch passe surtout par la qualité des contenus qui y sont proposés, Facebook s'est rapproché, ces dernières semaines, de quelques médias renommés pour négocier avec eux la diffusion de contenus vidéos exclusifs. En France, les trois premiers partenaires annoncés ont été Le Monde, Brut et BFM TV. Ce dernier y présente depuis la rentrée un programme quotidien, "Bonsoir Bruce", qui décrypte en un peu moins de 8 minutes l'actualité. Mi-octobre c'était au tour de M6 de se laisser tenter. Pas vraiment de production vidéo spécifique à Facebook en revanche. La chaîne diffuse au sein de Watch des extraits de ses émissions phares et des contenus promotionnels complémentaires. "Tout le monde y gagne. Facebook, qui bénéficie des contenus premiums et brand safe, et M6, qui profite de l'audience de la plateforme, pour générer des discussions autour de ses programmes et toucher un nouveau public", justifie, en off, un collaborateur de la chaîne. Même pragmatisme du côté de France Télévisions où on profite des déplacements réalisés par le journaliste Hugo Clément dans le cadre de son émission Sur le front pour tourner des sujets complémentaires au prime-time. "Chaque semaine, un nouvel épisode de 5 à 10 minutes y est publié depuis la page Facebook de France.tv Slash", précise Pierre Linant de Bellefonds, directeur distribution et partenariats au sein de la direction numérique de France Télévisions.
"Les éditeurs prennent un risque financier, les audiences Facebook n'étant pas garanties, on veut les soutenir durant cette période de test and learn"
Pour attirer tout ce beau monde, Facebook a dû, comme il l'avait fait à l'époque de Facebook Live, sortir le chéquier. Les médias concernés parlent pudiquement d'investissements conjoints, sans en dire plus sur les modalités du partenariat. Mais les sommes versées à certains partenaires peuvent, selon nos informations, s'élever à plusieurs centaines de milliers d'euros. Des sommes qui, de l'aveu de Facebook, doivent permettre aux partenaires de rentabiliser la production de contenus spécifiques à Watch, le temps que les revenus publicitaires décollent. En bref, d'amorcer la pompe. "On a conscience que les éditeurs prennent un risque financier, les audiences Facebook n'étant pas garanties, et on veut les soutenir durant cette période de test and learn", justifie Edouard Braud. La plupart des partenariats signés portent sur une durée d'un an. Ils n'ont donc pas vocation à perdurer.
Facebook espère en effet jeter les bases d'un financement durable via la publicité. La plateforme met à disposition des pages éligibles (il faut notamment avoir plus de 10 000 fans) un outil d'adbreak leur permettant d'insérer manuellement, ou automatiquement grâce à une IA, un spot pub dans les vidéos de plus de 3 minutes. Le spot se lance généralement après la première minute de visionnage ou en pré-roll lorsque c'est l'utilisateur qui a cliqué sur la vidéo. Facebook communique, pour l'instant, peu de statistiques à ce sujet mais assure que le nombre de pages utilisant activement les pauses pubs a plus que triplé au cours de la dernière année. 55% de la somme reversée revient à l'éditeur. Impossible en revanche de connaître le CPM moyen de ces publicités, Facebook comme les médias étant mutiques à ce sujet. A noter que la publicité est commercialisée par Facebook. Les éditeurs peuvent toutefois exclure certaines catégories d'annonceurs indésirables. "Nous avons effectué des tests aux Etats-Unis il y a quelques mois pour voir s'il était pertinent de leur laisser commercialiser ces spots directement, précise Edouard Braud. Mais les audiences fluctuent trop pour l'instant." L'idée n'est pas complètement abandonnée.
"En ce qui concerne l'interface utilisateur, on y va étape par étape"
"Facebook Watch est un environnement encore très jeune", rappelle Edouard Braud. Un environnement qui gagnerait aussi à faire des efforts côté expérience utilisateur. Y retrouver les vidéos d'Hugo Clément ou celles de Plan B, la série du Monde, relève du parcours du combattant. Problématique lorsque l'on sait que ce sont ses algorithmes de recommandation et son interface pensée pour l'utilisateur qui ont fait le succès de Netflix. "C'est de l'horlogerie, on y va étape par étape", rassure Edouard Braud. La plateforme planche sur une fonctionnalité d'affichage en série qui permet de créer des épisodes pour faciliter l'alerting. Elle teste également l'intégration de nouvelles sections, permettant de détecter les vidéos les plus populaires auprès de ses amis et de co-visionner, avec ces derniers, certaines vidéos en direct. "Facebook Watch doit concilier la dynamique sociale de notre plateforme avec la vidéo. Il s'agit de rendre l'expérience de visionnage moins passive qu'elle ne l'est actuellement", résume Edouard Braud.
C'est, peut-être, à ce prix que les audiences des programmes décolleront. Car les performances d'un Bonsoir Bruce, qui oscille entre 30 000 et 50 000 vues par soir, sont loin de lui laisser envisager une rentabilité via la publicité. C'est mieux du côté de Sur le front, le programme qui met en avant Hugo Clément. Après un démarrage poussif, avec entre 250 et 500 000 vues pour les trois premiers épisodes, les audiences décollent. Une capsule sur les déchets plastiques, tournée en Indonésie, a fait près de 3,5 millions de vidéos vues. Alors que le premier prime est prévu pour ce 26 novembre, France Télévision mise sur les synergies entre télévision linéaire et réseaux sociaux pour faire encore mieux à l'avenir.