Les temps se corsent pour Cafeyn ?
Cafeyn (ex-LeKiosk), entreprise leader en France des kiosques de presse numérique, traverse-t-elle une zone de turbulence ? L'entreprise enchaîne les mauvaises nouvelles ces derniers temps, dont notamment le départ du Point, de Ouest-France et de L'Equipe en sus du non renouvellement cet été du partenariat de diffusion avec Cdiscount, en vigueur depuis 2018. Et comme si les départs ne suffisaient pas, Cafeyn (1 500 titres en France, 2 500 incluant cinq pays à l'international) doit désormais composer avec l'arrivée d'un concurrent de taille : le suédois Readly. Poids-lourd présent dans onze pays et portant un catalogue de plus de 5 000 titres accessibles dans une soixantaine de pays, Readly a mis la main à l'automne 2021 sur le français ePresse (1 200 titres), à la suite de l'acquisition pour 8,2 millions d'euros de 97,3 % du capital de Toutabo, son éditeur. "J'observe ce marché de près depuis douze ans : c'est la première fois que Cafeyn fait face à un concurrent sérieux et ambitieux", indique un analyste qui a préféré rester anonyme.
"C'est la première fois que Cafeyn fait face à un concurrent sérieux et ambitieux""
Rien de cela ne semble ébranler la confiance d'Ari Assuied, CEO de Cafeyn, qui vient également d'enregistrer l'arrivée de nouveaux titres de renom, dont l'AFP Sport et Le Figaro Sport. Le dirigeant salue même l'arrivée de Readly, dont il dit partager la vision : "Le marché de l'information exige une approche locale, mais pour bien faire face aux coûts technologiques et de promotion de la notoriété, il faut s'y attaquer de manière globale."
Le pure player créé en France en 2006, qui a avancé au pas de charge ces dernières années, boosté par des partenariats stratégiques avec de nombreux carrefours d'audience (SFR, Bouygues Télécom, Free et Canal+), ne compte pas s'arrêter là : de nouveaux partenariats doivent prochainement être signés, assure l'entreprise, sans en dire plus pour le moment. Des services supplémentaires doivent aussi être lancés (fil d'actualité, lecture audio des contenus) et de "nouveaux titres de référence d'ampleur nationale" doivent arriver ainsi que d'autres types de médias que la presse écrite.
Au final, le dirigeant revendique une croissance de 15% par an pour son "business historique", Ari Assuied tient à rappeler que Cafeyn est désormais un groupe ayant su se diversifier "pour accompagner les éditeurs dans la génération de nouvelles sources de revenus". Le saut a été opéré en 2020, quand l'entreprise a fait entrer Bregal Milestone dans son capital et conclu en parallèle et par la suite plusieurs rachats : miLibris (logiciel de publication numérique), SFR Presse, Blendle (eKiosque néerlandais) et Kidjo, plateforme de vidéos ludo-éducatives.
ePresse n'a de son côté pas changé radicalement de modèle depuis le rachat par Readly. Elle prépare toujours sa transition à travers un rebranding progressif. La naissance de Readly France (une plateforme totalement refaite donnant accès à près de 7 000 titres en France, en Europe, aux Etats-Unis, au Canada et en Australie) aura lieu d'ici la fin de l'année. Elle sera accompagnée d'un plan agressif de communication pour la conquête de nouveaux abonnés. L'entreprise axe toujours son recrutement dans la relation directe avec des particuliers (et en BtoB), et cela même lorsque des partenaires stratégiques, comme Orange ou la Fnac, assurent la diffusion. "Le prix de l'abonnement est toujours précisé", insiste Jean-Frédéric Lambert, CEO de Readly France et fondateur de Toutabo.
Cafeyn annoncera prochainement de nouveaux titres et partenariats
De son côté, d'après nos informations, Cafeyn s'appuierait beaucoup plus sur les offres "incluses" de ses partenaires pour conforter sa diffusion : un Bouygues ou un Canal+ proposent ainsi des abonnements premium qui intègrent l'offre Cafeyn. Cette stratégie donne du grain à moudre aux détracteurs de ce modèle. "Notre population d'abonnés payants est comparable à celle de Cafeyn. La différence est qu'ils disposent d'une audience 'incluse' très importante mais très dévalorisée, qui a pour effet de faire partir les éditeurs", assure Jean-Frédéric Lambert. "Si cela ne semble pas poser de problème aux éditeurs qui recherchent à accroître leur visibilité, il va de soi que le modèle ne paraît pas pérenne", nous confie un observateur souhaitant rester anonyme. Cafeyn rétorque qu'au contraire "la rémunération pour ces offres incluses représente pour beaucoup d'éditeurs une part significative de leurs revenus"
Les critiques portent aussi sur la notion de gratuité des abonnements inclus : une mauvaise habitude face à la nécessité d'éduquer des audiences encore fortement influencées par l'illusion de l'Internet gratuit. Un argument réfuté par Ari Assuied : "Si l'abonnement à notre partenaire s'arrête, l'abonnement à Cafeyn aussi s'arrête, il n'y a rien de gratuit. La convergence des offres, c'est le sens de l'histoire."
Quel que soit leur modèle (direct to consumer ou offre incluse), tous ces acteurs semblent très attachés à la logique de l'abonnement illimité, ce qui ne va pas sans impact sur les chiffres de diffusion des éditeurs. Ces forfaits ne reflètent pas la valeur réelle du prix des numéros consommés. Conséquence directe : une partie de ces exemplaires ne peut être intégrée dans les chiffres de diffusion de l'ACPM, un référentiel clé pour ce marché. Les versions numériques sont de fait comptabilisées par l'organisme au prorata d'un tarif éligible au numéro, qui est souvent de loin supérieur à ceux appliqués dans le cadre de ces abonnements illimités. "Quand ces forfaits illimités deviennent trop importants, des exemplaires pourtant lus finissent par ne pas compter dans les chiffres de diffusion payante de l'ACPM", explique Franck Dimey, directeur de la diffusion de l'ACPM. Selon lui, la dépréciation des chiffres de diffusion peut atteindre 10% à 15%. Une telle dépréciation peut avoir des effets néfastes sur le prix de l'inventaire publicitaire.
"Les titres têtes d'affiche qui s'en vont le font parce qu'ils ont démontré leur capacité à développer leurs ventes"
Il faut dire que ce marché n'a pas encore décollé : il représente seulement 5% de la diffusion payante d'exemplaires numériques de la presse en France dans le périmètre de l'ACPM (soit 600 titres). Cela pourrait étonner vu les 15 ans d'ancienneté de ces offres et un modèle qui, du moins sur le papier, a toute sa place pour répondre à la fois aux besoins de l'offre et de la demande. Jean-Frédéric Lambert tempère : "Même si nous sommes encore petits, les éditeurs ont besoin de nous. Mis à part quatre grands titres qui peuvent se permettre de réaliser des investissements très lourds, tous les autres éditeurs comptent sur nous pour développer leurs audiences numériques et leurs recettes."
Cependant, "les titres têtes d'affiche qui s'en vont le font parce qu'ils ont démontré leur capacité à développer leurs ventes et leur abonnés sans le concours d'intermédiaires. Ce faisant, ils inspirent d'autres éditeurs à quitter ces kiosques. Or, le souci c'est que ces grands titres sont des produits d'appel forts qui attirent des lecteurs fidèles, alors que les magazines sur lesquels ces kiosques se basent beaucoup attirent des lecteurs beaucoup moins réguliers", déclare un analyste. Certes, mais le fait est que les kiosques numériques ne prétendent pas à l'exhaustivité : leur souhait est de répondre à l'appétit d'une audience qui cherche à "picorer" un peu de tout et à s'informer dans la diversité. Sans oublier que Cafeyn, par exemple, peut tout de même se targuer de belles prises (Le Parisien, Libération, L'Express, L'Obs...). Un an après l'arrivée de Readly, les cartes semblent loin d'être toutes sur la table.