Rakuten, empereur de la data au Japon
Si Rakuten s'est fait connaître en France grâce à l'acquisition de PriceMinister en 2010, peu de personnes sont capables de dire ce que fait précisément le groupe japonais. Et pour cause, ce dernier compte dans son portefeuille plus de 70 services, allant du e-commerce aux systèmes de paiement en passant par la réservation de voyages.
C'est initialement pour sa marketplace Ichiba que Rakuten se fait connaître au Japon. Lancée en 1997 par Hiroshi "Mickey" Mikitani, véritable star dans son pays, la plateforme est devenue le premier site e-commerce japonais. Depuis, l'entrepreneur n'a cessé de lancer de nouvelles divisions, notamment dans le secteur du paiement en développant les services Bank (banque en ligne), Pay (système de paiement), Cards (carte de crédits) ou encore Edy (carte prépayée).
L'entreprise est ainsi devenue le premier émetteur de cartes bancaires au Japon. Entre temps, le groupe a racheté les liseuses Kobo ainsi que l'application de messagerie Viber, s'est diversifié dans la logistique (Rakuten Super Logistics), le marketing (Rakuten Marketing), le contenu (Rakuten TV, Rakuten Music) et même les télécom (Rakuten Mobile).
Acteur majeur du paiement
Si les services sont variés, il existe entre eux une dénominateur commun. "Rakuten est une entreprise centrée sur la data et le membership", résume son CIO et vice-président exécutif, Yasufumi Hirai. En effet, grâce à son programme de récompenses baptisé Super Points introduit dès 2002, Rakuten permet à ses membres d'accumuler des crédits à chaque fois qu'ils consomment et utilisent ses services ou ceux de ses partenaires, à l'instar d'Expedia ou H&M. Les membres du Club R peuvent se faire rembourser de 5% à 40% du montant de leurs achats sur la plateforme.

Cette monnaie virtuelle peut ensuite être utilisée pour faire ses emplettes sur la marketplace Ichiba ou chez certains partenaires. Un argument de taille aux yeux des cyberacheteurs japonais, habitués aux programmes de fidélité. Ils sont désormais près de 100 millions à avoir un compte Rakuten sur une population totale de 127 millions d'habitants. Autre preuve du succès de ce modèle : entre 2002 et 2018, l'entreprise a rétrocédé plus d'un trillion de Super Points à ses membres, soit l'équivalent de 9 milliards de dollars.
Pour l'avenir, Hiroshi Mikitani entrevoit déjà une société où le paiement en espèces appartiendrait au passé : "D'ici 10 à 20 ans, payer en cash sera très rare, voire n'existera plus du tout au Japon." Cette digitalisation du paiement pourrait profiter pleinement au groupe japonais qui pourra par exemple utiliser ses données pour lancer des campagnes personnalisées une fois l'acheteur identifié grâce à son identifiant Rakuten. En combinant données sociodémographiques et comportementales, un utilisateur pourrait se voir proposer davantage de points en cas d'achats successifs d'un même produit ou bien une réduction pour son anniversaire. "La prochaine évolution de l'Internet passera par la personnalisation", assure Yasufumi Hirai. Une personnalisation rendue possible précisément grâce à la richesse de l'écosystème Rakuten qui permet à l'entreprise de collecter toujours plus d'informations sur ses membres.
La connectivité : pièce centrale du puzzle
Pour autant, une chose essentielle manquait à Rakuten : la connectivité. "Nous étions obligés de passer par d'autres acteurs pour connecter nos clients à nos services", explique le vice président exécutif du groupe japonais, Yasufumi Hirai. Si l'entreprise était déjà le premier opérateur mobile virtuel du pays, elle a récemment obtenu la licence l'autorisant à développer son propre réseau. Durant ce mois d'octobre, Rakuten devrait ainsi provoquer un raz-de-marée en proposant des forfaits à prix cassés. "Nous voulons démocratiser l'accès au réseau mobile", résume Tareq Amin, CTO de Rakuten Mobile Network. Une ambition qui n'est pas sans rappeler celle de Free en France et qui devrait susciter le même engouement au Japon.

Un véritable atout pour l'attractivité de l'écosystème Rakuten. D'autant que cette nouvelle activité lui permettrait de collecter encore plus d'informations sur ses clients : "Nous pourrons personnaliser davantage nos contenus et nos services pour chaque utilisateur", conclut Yasufumi Hirai, insistant au passage sur l'importance de préserver la vie privée des utilisateurs et de garantir la sécurité des données.
En devenant un opérateur mobile, le groupe japonais s'est fixé un autre objectif : déployer son propre réseau 5G. Rakuten en avait même fait la thématique principale de sa conférence annuelle en août dernier, à Tokyo. Parmi les invités, le CEO d'Intel mais aussi un haut responsable de Qualcomm, deux entreprises partenaires de Rakuten dans le hardware. "La 5G n'est pas juste une évolution de la 4G, c'est une vraie révolution", insiste Tareq Amin. Ce dernier fait valoir ses nombreux avantages notamment en matière de rapidité et de sécurité. Selon lui, "la 5G pourrait, à terme, remplacer le Wifi". Cette nouvelle génération de connexion mobile devrait aussi jouer un rôle clé pour alimenter les véhicules autonomes et la maison connectée de demain. Elle devrait également permettre à Rakuten de devenir le fournisseur en connectivité des entreprises lui donnant au passage accès à une nouvelle catégorie de données.
La data pour orienter l'innovation
Le déploiement du réseau 5G devrait également bénéficier aux propres projets du groupe, à l'instar de sa division de livraison par drone. Alors que des tests sont menés depuis 2016, la majorité des livraisons sont aujourd'hui réalisées pour ravitailler en produits de grande consommation la petite île de Sarushima, située à 1,5 km de la baie de Tokyo. Un lieu choisi pour respecter la législation japonaise qui n'autorise pas les vols de drones au-dessus des humains. "Nous pensons que nos drones pourraient être utiles dans un premier temps pour réaliser des livraisons en zones rurales", explique Hideaki Mukai, responsable de la division, admettant cependant qu'il faudra probablement une dizaine d'années pour envisager des livraisons en zones urbaines. Pour autant, Rakuten voit déjà plus loin et réfléchit à la conception de véhicules électriques volants qui permettront de transporter des colis plus volumineux ainsi que des passagers. Une vision qui n'est pas sans rappeler celle de la division Elevates d'Uber. "Nous sommes actuellement en discussions avec le gouvernement japonais à ce sujet", murmure Hideaki Mukai.

Pour continuer d'innover et garder une longueur sur ses concurrents, le groupe japonais sait qu'il peut capitaliser sur un autre atout majeur : la manne de données collectées par ses différentes divisions. Son centre d'innovation et de développement baptisé Rakuten Institute of Technology ne se prive d'ailleurs pas d'exploiter cette data pour orienter et alimenter ses recherches. Créé en 2012, le RIT emploie 150 chercheurs dans 5 pays et a notamment ouvert un bureau à Paris en 2014. La structure a par exemple utilisé les données issues de la plateforme Viki, dédiée au visionnage de séries coréennes et chinoises, pour développer un système de traduction en 35 langues. Les chercheurs ont entraîné leurs algorithmes à partir des sous-titres rédigés par la communauté très active de Viki. "La précision des résultats obtenus par notre plateforme de traduction est supérieure aux services développés par Google, Microsoft ou IBM", nous certifie Masaya Mori, directeur du RIT.
Et Rakuten a de nombreux projets dans les cartons. Financement de films via sa division Rakuten H Collective Studio, lancement de sa cryptomonnaie R Coins et de son application de crypto-trading Rakuten Wallet, etc. Nul doute que ces futures business units devraient contribuer à rendre davantage attractif l'ensemble de l'écosystème Rakuten. Et ainsi fournir toujours plus de data au géant japonais.