Les agents IA, une promesse de révolution pour l'approvisionnement des magasins
Alors que l'IA générative s'était jusqu'ici concentrée sur les fonctions marketing, service client et e-commerce des retailers, elle s'apprête à faire sa percée dans la chaine d'approvisionnement, cela grâce aux agents IA, qui promettent optimisation du mix produit, élimination des ruptures de stocks et réduction des invendus.
Expliquer les algorithmes existants
Si l'IA agentique ne remplace pas les technologies d'IA existantes dans les fonctions supply-chain comme l'IA prédictive ou la programmation linéaire, elle décuple leur potentiel. "La grande révolution de l'IA générative appliquée aux métiers de l'approvisionnement, c'est l'explicabilité des données", considère Patrick Lemoine, VP global industry solutions chez o9. Ainsi, les agents IA pour chaque métier (responsable des achats, prévisions des ventes…) analysent les données produites par les algorithmes. "Typiquement la question posée à l'agent peut être : 'Quels sont les cinq composants en rupture qui vont avoir le plus d'impact sur les ventes de ce magasin ?'", illustre Patrick Lemoine. Des données jusqu'à présent accessibles manuellement pour les équipes métiers, mais pas en instantané : le tableur règne encore en maître.
"L'agent autonome apprend lui-même des erreurs ou écueils qu'il rencontre"
Au-delà de les comprendre, les agents d'IA apprennent de ces algorithmes. "Le principal bénéfice de l'agent autonome est d'apprendre lui-même des erreurs ou écueils qu'il rencontre", estime Cécile Schuster, directrice des applications métier chez Microsoft France. Ils peuvent par exemple, apprendre de prédictions qui se sont avérées erronées. "Cette analyse à postériori est très importante pour améliorer les futures prévisions, affirme Patrick Lemoine. Le système peut automatiquement repérer sur quels produits les prévisions n'étaient pas bonnes et expliquer que d'autres produits de la même gamme ont cannibalisé les ventes par exemple". L'IA experte est ensuite en capacité d'ajuster l'algorithme de prédictions pour corriger les erreurs. En effet, "l'agent à la capacité d'interopérer avec les systèmes d'informations", précise Cécile Schuster.
L'humain toujours aux commandes
Grâce à cette vue 360 degrés des données de stocks, ces petits assistants font des recommandations aux métiers. "Après avoir revu les prévisions, le système peut proposer un mix de produits optimal pour un magasin spécifique, illustre Patrick Lemoine. L'humain regarde la suggestion et valide si cela lui paraît logique". Le directeur des solutions chez o9 insiste sur la transparence, "ce n'est pas une boîte noire". Un point que partage Cécile Schuster : "Les collaborateurs sont en maîtrise des agents. Ils peuvent d'ailleurs regarder comment ils sont construits". De plus, les agents d'IA ne sont aujourd'hui pas entièrement autonomes. Autrement dit, l'action préconisée par la machine est validée par un humain avant que la commande ne soit transmise à un autre système. "Les agents autonomes sont la suite logique, affirme cependant Patrick Lemoine. Il y aura des agents en autonomie pour des tâches assez basiques où les recommandations se seront avérées justes à plusieurs reprises." Cette capacité de recommandation démultiplie les cas d'usages : prioriser les achats selon les prédictions de ventes, choisir un fournisseur alternatif qui combine délais de livraison et conservation de la marge… "Les agents offrent une meilleure visibilité sur l'impact des décisions prises sur la rentabilité globale", résume la directrice des applications métier chez Microsoft France.
"Le principal gain se situe dans l'identification des risques liés aux achats"
La plupart des projets étant encore en phase pilote chez les retailers, il est complexe d'avoir des résultats. o9 a tout de même calculé les premiers gains de productivité après différents tests. Patrick Lemoine les partage : "Sur le volet de l'efficacité opérationnelle, le principal gain se situe dans l'identification des risques liés aux achats. Les agents d'IA permettent de réduire de 75% le temps consacré à cette tâche". Il ajoute que ces assistants virtuels divisent par deux le temps nécessaire à l'élaboration du plan d'approvisionnement. Au total, le fournisseur de solution estime que ces assistants augmentent de 30% la productivité des salariés de l'approvisionnement. L'impact sur le management reste flou, mais Cécile Schuster se veut rassurante : "L'IA agentique automatise et fluidifie les processus métiers pour en créer d'autres", promet Cécile Schuster.
Des magasins intelligents
Les magasins eux-mêmes ne seront pas épargnés par ces agents d'IA. L'événement international du retail, la NRF, en a donné un aperçu en janvier dernier. Si l'IA agentique a indéniablement brillé durant le salon, elle a également offert un coup de projecteur à la vision par ordinateur. Cette dernière, pour rappel, est la technologie qui analyse, interprète et comprend les images et vidéos.

Alors que les systèmes d'IA traditionnels se limitaient à fournir des données brutes aux responsables de magasin, qui devaient les analyser à la main, l'IA générative change la donne. Couplée à la vision par ordinateur, "elle surveille les rayons pour détecter les produits manquants, mal placés ou en rupture", révèle Carole Roumié, directrice grands comptes chez Kyndryl France. L'agent d'IA envoie des alertes automatiques pour signaler les ruptures pour déclencher des réapprovisionnements rapides".
Les caméras peuvent aussi bien être dans les rayons qu'implémentées aux appareils des salariés en magasin. Zebra technologies a d'ailleurs développé ce type d'agent pour que les collaborateurs n'aient plus qu'à scanner les rayons avec leur téléphone. "L'agent merchandising est connecté aux systèmes d'inventaire, de gestion des prix du point de vente, résume Tom Bianculli. Il peut aussi s'intégrer aux systèmes de gestion des tâches pour créer des notifications automatiques pour les employés". Selon Cynthia Countouris, directrice marketing produit monde chez Nvidia, "cette technologie devrait réduire drastiquement les ruptures de stocks qui représentent 4% des pertes pour les retailers".
Le défi de la dette technologique
Ces initiatives prometteuses suscitent l'enthousiasme, mais où en est l'adoption de l'IA agentique dans l'Hexagone ? Force est de constater un certain retard par rapport aux Etats-Unis, où des poids lourds comme Walmart, Amazon ou Lowe's ont déjà franchi le pas pour leur supply chain. Aussi surprenant que cela puisse être, la raison de ce retard n'est pas le coût. "Pour les clients Microsoft Azure, il n'y a pas de coût supplémentaire pour utiliser les agents IA préconçus", assure Cécile Schuster. Et Tom Bianculli précise que la technologie est moins coûteuse que les LLM "classiques" : " Les agents d'IA font appel à des modèles d'IA plus petits et spécialisés qui utilisent 3 à 8 milliards de paramètres, ce qui réduit les coûts de calcul".
En effet, les projets d'IA agentique pour l'approvisionnement restent en phase de réflexion en France parce que les magasins ne sont pas à la page. "Les investissements se sont concentrés sur le digital (e-commerce), délaissant les infrastructures des magasins physiques", justifie Carole Roumié. Un constat partagé par Zebra Technologies : "Certains magasins en France disposent d'une infrastructure réseau limitée. C'est pour cela que nous avons intégré le modèle IA directement sur l'appareil des collaborateurs". Tout l'enjeu de cette technologie réside dans la bande passante. Il faut qu'elle soit suffisamment bonne pour transférer en temps réel le flux de données vers le cloud, qu'il soit traité par l'IA et renvoyé dans le même temps en magasin.
Une problématique qui freine les projets en France où l'infrastructure réseau n'est pas bien avancée dans toutes les régions. Mais Carole Roumié reste optimiste : "le edge computing s'annonce comme une solution clé pour améliorer la gestion des données en magasin, en réduisant les besoins de bande passante". En effet ce modèle traite les données au plus près de leur source (capteurs, appareils connectés) plutôt que de les envoyer à un centre de données distant. Comme une vision prémonitoire, les solutions de edge computing étaient en bonne place dans les allées de la NRF.