E-commerce : le secret des survivants de la seconde main de mode
Videdressing, Rediv, Omaj… Les noms s'accumulent au cimetière de la mode seconde main. Les résultats de l'autopsie ? Des marges faibles combinées à une concurrence féroce. Pour rappel, le leader du secteur, Vinted, n'a atteint la rentabilité qu'en 2023, soit 15 ans après sa création.
Derrière le géant lituanien et Vestiaire Collective, une poignée de start-up de la mode d'occasion résiste et profite de la croissance du secteur. Elles ont toutes un point commun : leur business model n'est pas celui d'une marketplace entre particuliers. Pour en savoir plus, le JDN a rencontré Smala, Paradigme, Prêt à Changer et Imparfaite.
Reprendre les codes du neuf
Si elles n'ont pas choisi de mettre directement en relation les clients entre eux, c'est parce qu'un modèle intégré (achat, entreposage, revente) leur permettait d'avoir un meilleur contrôle sur le produit. Leur valeur repose sur la sélection des pièces et la certification de qualité. "L'un des problèmes que nous voulions solutionner en seconde main est l'expérience acheteur, témoigne Vincent Huché-Deniset, co-fondateur de Paradigme. Nous trouvions qu'elle était trop éloignée de celle du neuf". Pour y remédier, l'entreprise soigne particulièrement ses fiches produit et facilite les retours. Elle s'appuie notamment sur l'IA générative pour automatiser la création de fiches détaillées via la reconnaissance d'image. Une façon de conquérir une nouvelle catégorie de consommateurs selon Vincent Huché-Deniset : "L'expérience de Vinted ou Leboncoin peut convenir aux premiers adeptes, mais ne suffit pas à convaincre les nouveaux consommateurs". Une approche également adoptée par Imparfaite, site de mode vintage, et par Smala, spécialiste des vêtements d'occasion pour enfants :"Nous avons voulu revaloriser la seconde main en certifiant la qualité du produit, et proposer des services comme la possibilité de faire des retours", confirme la co-fondatrice, Aude Viaud.
Pour renforcer leur image, ces acteurs misent sur les réseaux sociaux. Paradigme anime une communauté de 40 000 abonnés sur Instagram, tandis que Smala en compte 194 000. "Ces dernières années, nous travaillons beaucoup le marketing d'influence", poursuit Aude Viaud. Sur Instagram, Smala comptabilise 194 000 abonnés. "Beaucoup de parents ont un affect par rapport à la marque – qui n'en est pas une en réalité", conclut-elle. Un branding qui permet de faire de l'acquisition client face à Vinted mais peut coûter cher quand on ne vend que des références uniques. Camille Gabbi, CEO d'Imparfait, assure que le retour sur investissement est présent : "Au début, vous ne rentabilisez pas du tout votre shooting parce qu'il n'y a pas assez de volume, reconnaît-elle. Mais petit à petit, les typologies de pièces se ressemblent donc s'il y a 200 pulls en laine sensiblement identiques vous réutilisez la photo d'un pull en laine".
Dans cet esprit d'expérience d'achat proche du neuf, Prêt à Changer a décidé de recréer des collections de mode avec le gisement de vêtements de seconde main : "Nous vendons des collections qui vont être structurées en termes d'univers, de tailles, de saison et de couleurs", détaille Sophie Mouillard qui a repris la start-up en 2019.
Un modèle entre digital et physique
La proximité avec les acteurs traditionnels se traduit aussi par des partenariats commerciaux. Paradigme collabore avec une trentaine de marques qui collectent des vêtements contre des cartes cadeaux. Un échange gagnant-gagnant : les partenaires lancent très facilement une offre de seconde main et Paradigme réduit ses coûts d'acquisition vendeurs. De son côté, Imparfaite source ses produits en proposant aux friperies et dépôts-vente de digitaliser leur stock sur son e-commerce.
"Au début nous sommes restés en 100% e-commerce mais rapidement, nous nous sommes dit qu'il y avait quelque chose à faire en physique"
D'abord pure players, Prêt à Changer et Paradigme ont fait évoluer leur stratégie. "Au début du rachat nous sommes restés en 100% e-commerce mais rapidement, en juin 2020, nous nous sommes dit qu'il y avait peut-être quelque chose à faire en physique", explique la CEO de Prêt à Changer. Aujourd'hui, la start-up a totalement basculé de modèle et réalise la grande majorité de ses ventes en point de vente. En devenant partenaire des magasins de la distribution comme Système U, Monoprix ou Carrefour, Prêt à Changer s'enlève une épine du pied : générer du trafic sur son site e-commerce. Cette approche omnicanale porte ses fruits : "Nous avons emménagé dans un entrepôt de 4 500 m2 en janvier 2025, explique Sophie Mouillard. Après des années rentables, nous avons connu en 2023 un léger déficit, conséquence de notre forte croissance." Si la dirigeante n'a pas encore les résultats de ses comptes 2024, elle ne doute pas d'atteindre l'équilibre sur l'année. Un schéma qui fait écho à celui amorcé par Paradigme depuis quelques mois : "Nous avons lancé six boutiques physiques grâce à nos partenaires que sont les Galeries Lafayette et le BHV, et d'autres devraient ouvrir prochainement, confie Vincent Huché-Deniset. Aujourd'hui l'e-commerce représente entre 20 et 30% de notre chiffre d'affaires".
Intégration du déstockage
Après huit ans d'existence, Smala a atteint la rentabilité sur certains mois de 2024. "Nous serons rentables sur l'ensemble de l'année 2025", assure Aude Viaud. La recette ? Une structure de coût optimisée combinant seconde main et déstockage. "Nous avons intégré la partie déstockage il y a un an et demi, retrace la co-fondatrice. Nous étions fréquemment contactés par des enseignes et nous y avons vu l'opportunité d'événementialiser l'arrivage de ces stocks". Cette activité, en pleine expansion, génère aujourd'hui 15 à 20% du chiffre d'affaires de Smala. "Le déstockage nous offre une plus grande profondeur de stock, ce qui satisfait mieux nos clients", explique Aude Viaud.
Les ventes privées représentent 50% du chiffre d'affaires d'Imparfaite
Imparfaite a fait un choix identique en 2023. "La possibilité de faire du déstockage nous est tombée tout cuit dans le bec, se remémore Camille Gabbi. Notre image de marque vintage et parisienne a séduit des marques comme Carrel". Cette nouvelle activité a permis à Imparfaite de s'ouvrir à de nouvelles catégories comme la chaussure ou les enfants… et de générer beaucoup de croissance. Les ventes privées représentent 50% du chiffre d'affaires du site. "En ce début d'année 2025, nous sommes en train de multiplier par quatre notre volume d'affaires par rapport à la même période l'année dernière", conclut Camille Gabbi.
Alors, quel est au final le secret de ces survivants de la mode de seconde main et peut-on même le résumer en une phrase ? "Il faut essayer d'être intellectuellement un peu flexible", répond Sophie Mouillard. On la croit sur parole.