Jusqu'où l'IA va-t-elle automatiser la gestion de projet ?

Jusqu'où l'IA va-t-elle automatiser la gestion de projet ? Cabinets de conseils et ESN investissent le sujet. Plusieurs scénarios adossés au machine learning se dessinent pour robotiser le project management.

L'intelligence artificielle va-t-elle à terme automatiser la gestion d'un projet ? Surprenante au premier abord, force est de reconnaitre que la question émerge sur le marché. Accompagnant leurs clients sur de multiples projets, les ESN et cabinets de conseils figurent parmi les premiers acteurs concernés. En parallèle, ils commencent aussi à déployer ce type de solution chez leurs clients.

"L'IA ne pourra pas remplacer intégralement le manager de projet. Elle ne prend pas en compte les interactions humaines, les non-dits, qui ne sont pas modélisables", estime Sébastien Guibert, directeur du centre d'excellence en intelligence artificielle chez Capgemini. Et Jean-François Guilmard, responsable Accenture applied intelligence en France, d'ajouter : "Par définition, le machine learning ne saura pas non plus gérer certains imprévus de nature humaine (tels les conflits au sein des équipes, les congés maladies à répétition..., ndlr)." On est rassuré. La disparition du chef de projet n'est pas pour demain. 

Reste que l'IA va bel et bien révolutionner le métier. "Un grand nombre d'actions que le chef de projet réalisait historiquement, en matière administrative, de reporting, ou de planification vont pouvoir être robotisées. Ce qui est positif. Il pourra se concentrer sur des tâches à plus haute valeur ajoutée, plus complexes, d'intelligence relationnelle ou situationnelle", estime Jean-François Guilmard, avant de résumer : "On parlera donc plutôt de project manager augmenté."

L'IA entre dans la danse avant même le coup d'envoi du projet. "L'apprentissage machine peut cerner les appels d'offres qu'une entreprise aura la plus forte probabilité de remporter. C'est une solution que nous avons déployée pour le compte d'un client dans le BtoB ", explique Jean-François Guilmard. Pour calculer ce score de probabilité, l'algorithme dresse le profil des appels d'offres que la société a remportés dans le passé versus ceux qu'elle a perdus, puis il estime la proximité de l'un ou l'autre de ces profils avec celui du nouvel appel d'offres ciblé.

"L'apprentissage machine permet de cerner les appels d'offres qu'une entreprise aura la plus forte probabilité de remporter"

L'IA intervient ensuite lors de l'amorçage du projet. Dans l'analyse des besoins métier qui driveront le projet, un consultant peut s'appuyer sur une couche de natural language processing (NLP). Elle permettra d'analyser les entretiens qu'il a réalisés chez son client, ainsi que l'ensemble des fichiers stockés ou informations contenus dans des bases de données de l'organisation pouvant concerner la problématique projet. Objectif : dénicher des tendances, et utiliser l'IA comme outil d'aide à la synthèse dans l'élaboration du dossier de cadrage. Chez Accenture, on a construit un outillage, baptisé Shelton, pour orchestrer ce processus.

Dans l'étape suivant, on rentre dans le dur. "A partir des projets aux profils approchant ou équivalents qui ont été performants dans le passé, un moteur de NLT  va mouliner : parcourir leurs documents de travail pour en tirer des données de planification, de suivi, de points d'avancement, de temps de mise en œuvre", détaille Sébastien Guibert de Capgemini. "En découlera une checklist de bonnes pratiques pour le nouveau projet à lancer."

BTP et manufacturing

Accenture a accompagné un acteur de la construction dans la mise en place d'un algorithme d'apprentissage supervisé pour optimiser les chantiers. "En amont, il différencie les chantiers ayant souffert d'un dépassement de délai de ceux restés dans les clous, mais également les chantiers sur lesquels un accident a eu lieu de ceux sans accident. Le modèle est ensuite appliqué à de nouveaux chantiers pour définir par exemple l'équipe type qui dans le passé a permis de réussir des projets de même nature", explique Jean-François Guilmard.

"Estimer l'impact d'un impondérable sur le planning du projet"

Toujours en matière de staffing, Accenture recommande dans certains cas d'utiliser, en plus de l'apprentissage machine, d'autres types d'algorithmes. "L'apprentissage supervisé gère assez mal certaines contraintes souvent inhérentes au management de projet. C'est le cas notamment pour les plannings avec de nombreux acteurs intervenant à des postes multiples, qui impliquent en plus de composer avec le code du travail", constate Jean-François Guilmard. "Pour gérer cette complexité, nous conseillons de combiner le machine learning avec des algorithmes d'optimisation sous contraintes."

Au-delà de la phase de lancement d'un projet, l'IA est également un moyen de gérer les risques d'imprévus tout au long de sa mise en œuvre. "Report d'approvisionnement, événement météo ou politique, grève... Elle estimera l'impact d'un impondérable sur le chemin critique et le planning du projet. Elle joue ainsi un rôle de garde-fou en alertant en cas de dérive potentielle", indique Sébastien Guibert de Capgemini. Et si un problème survient, l'IA pourra identifier des pistes pour le résoudre en analysant les solutions actionnées dans le passé pour faire face à des difficultés de même type. Est-ce que le client a été prévenu ? Est-on allé puiser dans des ressources externes ? Dans quelle mesure a-t-on replanifié certains lots, ou pas ?

Expliquer la décision de l'algorithme

Aux côtés de la prestation de services, du conseil et du BTP, le machine learning intervient aussi pour guider des projets dans le secteur du manufacturing. "Sur les chaînes de production, il contribue à détecter les points où l'on peut gagner en productivité, et à guider les projets de refonte de process industriels", précise Jean-François Guilmard.

Pour insuffler de l'IA dans une gestion de projet, le développement d'une solution ad hoc est pour l'heure souvent considéré comme la piste à retenir. Notamment compte-tenu de l'offre encore balbutiante disponible sur le marché. Un segment sur lequel se positionnent quelques start-up (ListenValue, Maistering, Stratejos, Tara.ai).

Pour finir, Jean-François Guilmard insiste : "En gestion de projet, il est important d'associer les algorithmes de processus d'explicabilité. C'est le chef de projet qui prend la décision finale, et pour ça il a besoin de comprendre les raisons pour lesquelles un modèle de learning lui fait telle ou telle recommandation."

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