Pourquoi l'IA est devenue indispensable dans les centres de contact

Face à un volume exponentiel de flux entrants, les centres de contact ne peuvent plus reposer exclusivement sur des agents humains : l'IA se met au service l'hyperautomatisation et de la satisfaction client.

Selon une étude(1) récente, les nouveaux modes de communication entre les entreprises et leurs clients ont généré – sur ces 12 derniers mois - une augmentation significative du volume de données en provenance desdits clients. Les deux premières raisons de cet accroissement sont l’explosion des échanges directs (voix, email) ou via les applications clients ; et les canaux numériques et le web.

Ce n’est donc pas un hasard si les principaux éditeurs de solutions de communication et de collaboration d’entreprise ont fait et continuent à faire évoluer leurs offres – parfois à marche forcée – vers un périmètre fonctionnel où les capacités de communication unifiée, de collaboration et de relation client sont de plus en plus intrinsèquement liées.

Sur l’autel de l’expérience client, les entreprises se plient aujourd’hui en quatre pour offrir à leurs clients leurs canaux d’interactions, qu’ils soient en temps-réel ou asynchrones, vocaux ou textuels, structurés ou non. Le tout dans une double logique de stratégie omnicanal et d’intégration applicative.

De la data à gogo 

De fait, les solutions de communications unifiées et de centre de contact sont devenues d’incroyables systèmes de traitement des interactions avec les clients et leur environnement. Et ces interactions sont nombreuses, directes (appel téléphonique, chat via site web) ou indirectes (consultation d’une page spécifique d’un site web, données collectées automatiquement par votre objet connecté préféré, etc.)

Le premier constat est que le déploiement de ces solutions ne peut désormais s’envisager sans une prise en compte fine du système d’information et des applications Métiers de l’entreprise. Intégration, connecteurs et API sont devenus incontournables.

Le second est que le traitement des interactions ne peut plus reposer exclusivement sur des agents et téléconseillers qui forment certes une ressource précieuse mais qui n’est économiquement pas extensible à l’infini. Les entreprises ont compris qu’il leur fallait trouver des outils supplémentaires pour optimiser le routage des flux entrants, réserver la valeur ajoutée des agents humains aux tâches les plus complexes, et automatiser les échanges les plus simples et/ou récurrents.

L’IA à la rescousse du traitement des flux entrants

L’intelligence artificielle a fait partie des 10 principaux buzz words technologiques de 2021 et devrait rester dans le classement en 2022. Et ce n’est pas un total hasard si elle est précédée dans cette liste par l’Internet des Objets, et suivie par l‘hyperautomatisation : le premier terme participant à la nécessité croissante de l’IA dans le traitement des données ; le second matérialisant les services qu’elle peut rendre en matière de productivité et d’expérience client.

Le recours à l’IA dans les communications et les centres de contact se traduit de multiples manières : assistant virtuel aux agents, précomposition de réponses personnalisées, aide à la résolution au premier contact, self-service, chatbots, voicebots, etc.

Mais c’est la question du traitement des flux entrants que nous aborderons ici.

L’IA appliquée au traitement des échanges est -technologiquement - un sujet pointu pour les non-initiés. Quels que soient les formats entrants (voix, SMS, email, télécopie, chat) et le type de contenus (texte, tableau, dessin…) les passerelles entre les uns et les autres existent : OCR, transcription, speech-to-text, text-to-speech, voire traduction automatique.

Au final, pouvoir traiter les flux entrants va majoritairement s’appuyer sur les IA dédiées au traitement du langage naturel. De nombreux acteurs sont actifs sur ce secteur, des plus gros et plus connus comme Google (CCAI) à des acteurs moins visibles mais pas moins performants.

On ne rentrera pas ici dans une analyse comparée des choix technologiques retenus par tous ces acteurs. Retenons malgré tout des notions qui permettent de segmenter un peu les offres : langage naturel (NL) vs apprentissage machine (ML) ; traitement du langage naturel (NLP) vs compréhension du langage naturel (NLU) ; approche linguistique universelle vs approche statistique ou grammaticale pour le NLU.

Les limites du ML

Selon Eric Frances, directeur commercial chez Expert.ai, le ML est désormais limité car il s’appuie sur des modèles mathématiques qui ne peuvent, par définition, refléter toutes les nuances du langage naturel. Raison pour laquelle Expert.ai a développé le concept d’HybridNL(2) qui permet de combiner IA symbolique(3) et apprentissage machine. Eric Frances insiste sur l’important du contexte dans lequel est émis le message pour le comprendre : la société a développé un moteur de désambigüation et positionne son offre comme un Hub de compréhension pour l’expérience client.

La plupart des acteurs mettent en avant cette distinction entre une IA basée sur le ML et une IA travaillant directement sur le langage naturel. Les deux approches ne s’excluent pas pour autant : le ML peut en effet être mis au service de l’enrichissement des bibliothèques lexicales (certains diront registres lexicaux, ou encore graphes de connaissance) sur lesquelles s’appuient les outils de NL.

Du traitement à la compréhension du langage

Il semble également que la plupart des éditeurs concernés s’accordent sur les limites de l’apprentissage machine et les vertus de l’approche langage naturel. Leur préférence va même plus loin puisqu’ils argumentent quasiment tous sur les capacités de compréhension du langage naturel (NLU), par opposition au simple traitement du langage naturel (NLP).

Pierre Bancelin, directeur marketing produits chez Golem.ai, va même plus loin : il faut selon lui distinguer les méthodes NLU basées sur une approche grammaticale ou statistique, de l'approche linguistique universelle proposée par Golem.ai. Principal avantage mis en avant : l'IA n'a pas besoin d'apprentissage (et donc de temps d'apprentissage) pour fonctionner. L'avantage d'une approche universelle est qu'elle permet de s'affranchir des spécificités de langue et d'écriture. L'alphabet latin n'est pas le seul alphabet sur la planète ; tout comme l'écriture alphabétique n'est pas la seule méthode de transcription de la voix vers l'écrit (cf. écriture idéographique).

Réflexion similaire pour Baptiste Sevezen, directeur commercial chez ReciTAL : la compréhension profonde des documents traités, dans leurs contenus comme dans leurs formes, est un élément de différenciation essentiel. Cela passe par des solutions capables d'analyser plus que le texte uniquement, mais également la mise en forme des documents : tableaux, simple / double colonnes, en-têtes / pied de page, titres / sous-titres, graphiques etc. La compréhension du format des documents (factures, carte d'identité, bulletins de souscription...) permet de les traiter bien plus efficacement qu'en ne prenant en compte que leur texte.

Chaque approche présente des avantages et des inconvénients.

Quels usages pratiques ?

Au-delà du jargon technologique, l’important est de comprendre à qui s’adressent ces solutions d’IA et pour quels usages. La difficulté réside dans le fait qu’il n’y a pas vraiment de cas d’usages plus pertinents que d’autres : chaque entreprise utilisera l’IA en fonction de ses besoins et de ses contraintes propres.

Malgré tout, les éditeurs de solutions distinguent généralement un socle fonctionnel, puis y ajoutent des couches de fonctions dites avancées. Ainsi, pour Christophe Dany (fondateur de OWI) le socle fonctionnel comporte des capacités de routage, de classification et d’automatisation simple. Au-delà de ce socle, on trouvera par exemple l’extraction d’entités (capacité à identifier un nom, une adresse, un téléphone, un N° client …), la détection d’intentions (que veux l’expéditeur), l’analyse de sentiment, l’assistance au conseiller, l’analyse de pièces jointes, l’analyse de conformité documentaire, l’analyse évoluée des flux (dans une logique d’analyse de la customer voice), ou encore l’automatisation complexe.

Chez EmailTree.ai, l’usage de l’IA vise à redonner la main aux entreprises sur le traitement de leurs requêtes textuelles (emails, formulaires, Messenger, WhatsApp, Social Media...) et d’en faire en véritable atout de satisfaction client, notamment au travers de l’hyperautomatisation, comme le soulignent Elena Kouchlef, senior business developer et Michael Houseaux, business dev. Manager : face au tsunami permanent d’emails entrants, qui atteint 293 milliards par jour(4), maintenir un temps et une qualité de réponse satisfaisants ne peut plus -économiquement- s’appuyer uniquement sur du traitement humain.

Pour les entreprises qui souhaitent intégrer le canal voix dans ce processus de traitement, la plupart des éditeurs disposent de solutions de speech-to-text capables de transcrire les échanges vocaux avant de les injecter dans les flux à traiter. Il peut s’agir d’une solution développée par l’éditeur lui-même ou d’une application tierce (comme le fait Fortia).

Sur la question des usages de l’IA, Odile Durand, responsable marketing chez Expert.ai, met en avant le champ des possibles en expliquant que l’IA permet aujourd’hui de faire des choses qui ne pouvaient pas être faites auparavant ; par exemple, le fait de pouvoir dans un délai réduit comparer différentes versions de documents volumineux comme des clauses d’un contrat d’assurance et d’y détecter des points de différences ou de variation. C’est un usage confirmé par Miroslav Petrov, Patron de l’Innovation chez 2OS-Fortia : l’analyse de conformité des documents dans le secteur de la bancassurance s’avère précieux en gain de temps et d’efficacité.

Comment comparer et faire un choix ?

On l’aura compris, rien que sur le traitement des flux entrants, l’IA propose un panel de fonctionnalités particulièrement large. Alors existe-t-il des critères pour faire un choix ?

Comme toujours les critères essentiels proviennent de l’expression de vos besoins. Le système doit-il traiter les pièces jointes ? Les échanges sont-ils en français ou d’autres langues sont-elles à prévoir ? Le canal voix va-t-il être intégrer à la démarche ? Les spécificités de mon domaine d’activité sont-elles déjà connues de l’éditeur ? Quel niveau de continuité de service (SLA) est nécessaire à mon activité ? La solution va-t-elle nécessiter une phase de formation et d’assistance ? Doit-elle s’intégrer de manière transparente dans mes applicatifs métiers ? Le niveau de sécurité est-il compatible avec une architecture cloud ?

Il est à noter que beaucoup d’éditeurs sont spécialisés sur des secteurs d’activité dont ils maîtrisent le fonctionnement, le vocabulaire et les processus.

Chaque éditeur dispose, sur chacun de ces points, ses propres avantages et contraintes.

Dans tous les cas, la solution de communication préexistante au sein de l’entreprise, ainsi que les applicatifs métiers comme le CRM, sont à prendre en considération ; ou plus précisément, leurs capacités d’intégration ou d’interopérabilité avec les couches IA pressenties. Celles-ci doivent être ouvertes pour alimenter le SI de l’entreprise et ses différents métiers.

Combien ça coute ? une comparaison délicate

Bien entendu, le coût de ces solutions est à comparer aux bénéfices ; lesquels bénéfices devront pouvoir être quantifiés et mesurés au travers d’indicateurs de performance (KPI) à sélectionner avec attention avec vos équipes Métiers. Louise Demuth, commerciale IA chez OWI, cite par exemple un projet de routage intelligent mis en place par un spécialiste des sinistres automobiles : ce sont 3 ETP affectés au routage des emails entrant dans l’entreprise qui ont pu être économisés.

La comparaison du coût des différentes solutions est quant à elle plus délicate, car chaque éditeur dispose d’un business-modèle et d’un mode de facturation qui lui est propre.

Un projet va se décomposer en un coût frontal d’analyse et de déploiement du projet (phase où les équipes experts et métiers se posent pour définir les besoins et le périmètre précis du projet), et en un coût de fonctionnement (y compris la partie service, assistance, formation, etc.)

La phase préparatoire n’est pas à négliger car son coût en temps-hommes peut être significatif. En fonction de l’envergure des projets, les éditeurs annoncent une durée de 1 à 6 mois. A noter qu’un acteur comme Fortia a mis en place un nouvel outil no code (2OS) pour permettre à ses clients de développer eux-mêmes les applications IA dont ils ont besoin. Selon Sana Maalej, ingénieure commerciale, une telle approche répond au besoin des clients de déployer leurs POC (proof of concept) plus rapidement. Pour Miroslav Petrov, la mise en place d’un POC peut être chronophage et générer un effet tunnel (l’utilisateur doit attendre avant de voir un résultat concret) : c’est pour l’éviter que l’approche no code a été mise en place chez Fortia.

Une fois déployées, les solutions proposent des structures tarifaires différentes d’un éditeur à l’autre. Certaines facturent la volumétrie (nombre d’emails traités par exemple), d’autres le nombre d’utilisateurs, d’autres encore le nombre de fonctionnalités utilisées. Ces différentes options ne s’excluant pas forcément. Assistance et formation peuvent aussi faire partie des coûts opérationnels.

Conclusion

Il n’y a aujourd’hui aucun doute sur le fait que l’IA est non seulement capable, mais aussi indispensable, pour optimiser et enrichir le fonctionnement des centres de contact. Selon une étude Gartner, 40% des interactions seront ainsi entièrement automatisées grâce à l'IA et au libre-service en 2023, contre environ 25% en 2018.

L’automatisation du traitement des flux entrants traités dans cette chronique n’en est qu’un petit exemple. Un tel projet est à replacer dans une stratégie plus large au service de la satisfaction des clients et du bien-être des agents. Pour vous accompagner dans vos réflexions et appréhender un sujet parfois complexe, cabinets de conseil, intégrateurs et ESN sont des interlocuteurs dont les retours d’expérience sont utiles.

Dans la course à la meilleure expérience client possible, la capacité à traiter les interactions de manière rapide et personnalisée est un élément clé de réussite. La stratégie CXi de NICE Ltd, l’acquisition de Exceed.ai par Genesys ou encore le rachat de Koodip par Dialpad(5) n’en sont que de récentes illustrations.

L’écosystème des acteurs est foisonnant et la consolidation du marché ne fait que commencer.

(1) Etude diligentée par la société Hazelcast auprès de plus de 600 professionnels et décisionnaires IT en Europe, USA et Asie

(2) HybridNL, aussi appelé Composite IA par Gartner dans son dernier rapport : Emerging Technologies and Trends Impact Radar for AI

(3) L’IA symbolique utilise des algorithmes et des règles s’appuyant sur un graphe de connaissance sémantique

(4) Source THE RADICATI GROUP, INC. in their Email Statistics Report, 2019 2023 in February 2019

(5) Source