Costaud ou grognon ? Le projet NFT des Schtroumpfs réussira-t-il son pari ?
En cette matinée du 13 avril, alors qu'un soleil de plomb irradie déjà le fleuve Hudson, Sacha Waedemon se débat avec un micro défaillant dans une salle sans âme du Javits Center, le centre de conférences choisi pour établir le siège de NFT.NYC. Devant une audience clairsemée, le speaker en jean, basket et t-shirt à l'effigie de la collection NFT Nouns détaille la stratégie de lancement de la collection NFT d'une franchise bien connue des bédéphiles, les Schtroumpfs. En anglais, "the Smurfs".
A l'issue de cette intervention d'une dizaine de minutes, Sacha Waedemon descend de la scène où se succèdent, le plus souvent dans l'indifférence générale, les têtes d'affiches de cette conférence. Cette fois, les propos semblent pourtant avoir fait mouche : à son départ, un homme se présente à lui. Son t-shirt à l'effigie d'un Hedge Snoo, l'un des avatars du forum r/WallStreetBets sur Reddit, le trahit. Il s'agit de Daniel Conway, responsable du développement de la marketplace NFT lancée par la plateforme communautaire américaine en 2022. Ce déploiement de Reddit est l'un des grands succès Web3 des derniers mois et à l'écouter, la collection des Schtroumpf's pourrait bien y avoir un jour leur place : "J'ai vu ta présentation et ce que vous avez fait jusqu'ici est impressionnant !", lance le Newyorkais. "Ce serait génial que nous discutions un peu plus tard".
Par la suite, c'est Kyler Frisbee, responsable de la division Web3 des célèbres jetons Pog, qui envoie par écrit son souhait de s'entretenir avec lui. Cet enthousiasme à l'évocation des personnages créés par Peyo est une réaction fréquente lors du séjour newyorkais de Sacha Waedemon, chargé de développement de ce projet intitulé The Smurfs Society et cofondé par une multitude d'entrepreneurs, dont le duo en partie à l'origine d'Arianee, Frédéric Montagnon et Julien Romanetto, et le directeur artistique de Daft Punk, Cédric Hervé. En réalité, si, du prisme français, les Schtroumpfs peuvent sembler très francophones, "la marque est connue par plus de 90% de la population mondiale", estime Julien Romanetto, corroboré dans ses propos par l'agence scandinave Rights and Brands. C'est d'ailleurs pour cette même raison que ces entrepreneurs belge et français se sont lancés dans ce projet, une collection de 12 500 avatars à l'effigie des personnages de la tribu bleue dont l'ambition est mondiale.
"La marque est mondialement connue, notamment en Asie"
"La marque se marie très bien au concept de NFT : tu as différents personnages et elle représente tous les métiers. De plus, elle est mondialement connue, notamment en Asie. Pour l'anecdote, elle a d'ailleurs été le premier dessin animé occidental validé en Chine par le parti communiste (en 1986, ndlr) : l'univers représente un village où il n'y a pas d'argent, tout le monde a un métier et le chef est rouge. Ils font partie de l'inconscient collectif là-bas", explique Julien Romanetto. Ainsi, l'Europe ne représenterait que 10 à 15% du marché des Schtroumpfs, dominé par l'Asie puis les Etats-Unis.

Présenté en grandes pompes lors de NFT Paris avec un Schtroumpf géant graffé en public par l'artiste André, le projet joue pleinement la carte de la culture Web3 en tissant une gigantesque toile à l'aide de partenariats avec des entreprises du secteur, comme le réseau social décentralisé Lens, le protocole de messagerie XMTP, la marque de vêtements BLVCK Paris, la plateforme métaverse The Sandbox ou encore Sorare. "Nous sommes aussi en discussion avec les Nouns, AaveGotchi, CyberKongs, des collections NFT très implantées. Le collaboratif est l'un des points intéressants du Web3", poursuit Sacha Waedemon, à quelques heures de participer à un tournoi de foot organisé par Pendgy Penguins, l'une des collections les plus prisées. "Nouns est une DAO qui est une réussite et constitue une inspiration pour nous. Ce sont les premiers à avoir établi le vote comme outil de gouvernance dans le secteur des NFT. C'est quelque chose que l'on aimerait reprendre à l'avenir. L'une des difficultés est que l'on représente une marque traditionnelle qui vient dans le Web3 et on doit prouver que l'on a la culture. Au fil de notre progression, nous prouvons que tout est sur blockchain et décentralisé."
Une économie déjà très avancée
Un mini-jeu réalisé pour promouvoir le projet a accueilli plus de 100 000 utilisateurs et une pré-collection de 5 000 NFT en formes de cristaux dont la possession garantit l'accès à la collection finale a déjà généré un volume de transactions sur le marché secondaire de 182 ethers (soit environ 300 000 euros au cours actuel), dont 10% de royalties sont automatiquement reversés à l'entreprise Blueplanet de Julien Romanetto. La vente des 12 500 avatars débute ce 28 avril dans un premier temps réservée aux détenteurs de cristaux. Ces early adopters bénéficient d'un discount sur le prix de la collection finale, fixée à 300 euros pièce au cours actuel de l'ether..

Malgré un marché NFT loin de ses activités records de 2021, The Smurfs Society trouve son public. "C'est en se positionnant dans cet environnement tempétueux et difficile que l'on se crée une légitimité. On construit pendant ce bear market et lorsque les feux passeront au vert, nous serons déjà positionnés avec notre communauté", prophétise Sacha Waedemon. En parallèle de toutes ces activités en ligne, le projet a également conclu des partenariats avec des artistes de renommée internationale comme Richard Orlinski, Philippe Druillet, Nina Chanel Abney, Chase, Fafi Birtak ou encore Antonyo Marest.
L'enjeu est de la taille de la licence Schtroumpfs. Si Julien Romanetto nous assure qu'IMPS, la société créée par Véronique Culliford, fille de Peyo et détentrice des droits, s'est montrée très ouverte devant ce projet, au point de donner "carte blanche, tout en conservant une certaine supervision sur l'aspect visuel" des futurs avatars, son exécution sera observée de près. A terme, cette collection doit donner vie à un jeu mobile, prévu à la fin de cette année. Et d'ici là, comme de nombreux projets Web3, The Smurfs' Society devra aussi composer avec les velléités spéculatives de certains possesseurs de ces NFT. Un aspect qui s'apparente souvent à un chemin de croix mais n'inquiète pas les responsables du projet. "C'est l'un des vrais sujets de discussions : comment continuer de créer de l'engagement, quel que soit le prix ? Même si cela ne nous aide pas forcément dans des termes marketing, nous avons pris la bonne habitude de ne pas trop promettre mais de beaucoup produire . Nous voulons garantir que les utilités annoncées seront délivrées", répond Sacha Waedemon.
"Nous travaillons beaucoup", renchérit Julien Romanetto. "On est un peu la deuxième vague des collections NFT par rapport aux Bored Ape et consorts. On arrive avec une marque forte et capable de fédérer aussi le Web2. On ne peut plus arriver et vendre une image JPEG à des prix faramineux. Ça ne marche plus. Il y a un vrai projet. Nous sommes financés. Il y aura des vraies expériences. Nous allons exécuter tout ce que l'on prévoit." Gargamel veille au grain.