Fiscalité des cryptos : comment la France et l'Europe étendent leur emprise
400 millions d'euros. Selon une information de nos confrères de BFM Crypto, ce sont les plus-values en actifs numériques déclarées par les contribuables français en 2022 pour les revenus de 2021. Néanmoins, selon Chainalysis, seules 10% des plus-values ont été déclarées au fisc. Ce qui équivaut donc à un manque à gagner tout aussi important pour l'administration fiscale.
Ce problème est une preuve supplémentaire de la séparation entre traçabilité et déclaration. Oui, hormis les cas particuliers des actifs anonymes comme Monero ou Zcash, toutes les transactions en cryptos sont publiques et une société comme Chainalysis peut facilement trouver qui se cache derrière une adresse publique. La crypto n'est donc pas forcément la meilleure alliée pour le blanchiment d'argent.
Il en va autrement pour les déclarations, à commencer par les déclarations fiscales. Aujourd'hui, mis à part avec les PSAN français, l'Etat est démuni et il est fort possible qu'il soit incapable de retracer, seul, vos transactions en cryptos. Cependant, il est impossible de se cacher dans les cryptos et l'Union européenne prépare une directive ayant pour objectif de réduire à néant la fraude fiscale, cryptos incluses.
Les dispositions actuelles : une traçabilité complexe pour l'administration fiscale
Une obligation de transmission pour les PSAN français
Instauré par la loi Pacte en 2019, le statut de prestataire de services sur actifs numériques (PSAN) permet à une entreprise crypto d'être enregistrée ou agréée auprès de l'Autorité des Marchés Financiers (AMF). Toutefois, ce statut instaure également plusieurs obligations contraignantes. Parmi elles figure celle de transmettre l'ensemble des transactions de leurs clients à l'administration fiscale.
Ainsi, l'ensemble des clients résidents fiscaux français d'une plateforme d'échange comme Coinhouse ou Paymium ne peuvent rien omettre au fisc français. Si la déclaration de revenus n'est pas encore préremplie, l'administration fiscale est donc parfaitement informée, un peu comme elle l'est avec un courtier en bourse basé en France ou une assurance-vie.
Même si nous n'avons pas connaissance de l'identité des personnes ayant déclaré ces 400 millions d'euros de plus-values, il y a fort à parier que l'on retrouve deux types. Les premiers sont les personnes plus ou moins "repenties", souvent accompagnées d'un avocat fiscaliste, qui se voient dans l'obligation de déclarer pour éviter des problèmes plus importants à l'avenir. Les seconds sont les clients des PSAN français.
Une applicabilité de Tracfin pour les transactions " douteuses "
Pourquoi un contribuable peut-il devenir un repenti ? Nous pourrions penser que c'est par pure honnêteté. En fait, c'est surtout parce qu'une institution comme Tracfin a des doutes ou tout simplement parce que l'établissement bancaire est obligé de transmettre les opérations à Tracfin.
Pour rappel, tout établissement bancaire se voit obligé de transmettre les opérations supérieures à 1 000 euros, sans même que ladite opération soit considérée comme douteuse. La banque est également obligée de transmettre toutes les opérations, peu importe leur montant, qui se révèlent "douteuses.
Or, il est de notoriété publique que les transactions impliquant une plateforme d'échange crypto sont toutes considérées comme douteuses ! Ça l'est encore plus quand la plateforme en question est étrangère et non enregistrée en tant que PSAN. Si vous effectuez beaucoup de transactions, même pour de faibles montants, la banque pourrait considérer cela comme douteux, notamment lorsqu'il n'y a jamais de retours (virement depuis la plateforme vers le compte bancaire).
Toutefois, toutes confondues, Tracfin reçoit des milliers de transactions par jour et n'a pas les moyens de traiter l'ensemble de ce qui lui est transmis. Les agents ne s'occupent donc que des affaires sensibles, où la fraude et le blanchiment atteignent des sommes colossales. Les "petits" passent donc régulièrement entre les mailles du filet. Et c'est justement ce point qui pourrait évoluer avec la future directive européenne DAC8.
Les dispositions futures : DAC8, un règlement européen pour éviter la fraude fiscale ?
Une ambition : ne plus pouvoir dissimuler ses plus-values aux administrations fiscales européennes
L'Union européenne prévoit une 8e révision de sa directive sur la coopération administrative (d'où le nom de DAC8). Si cette révision n'est pas exclusivement consacrée aux cryptos, elle comporte une partie qui va les toucher directement.
Le projet de révision ne date pas d'hier, car il a été proposé dès 2021. À cette époque, l'OCDE et l'Union européenne cherchaient déjà à harmoniser la fiscalité des actifs numériques et à éviter la fraude fiscale. Si le premier point semble impossible à atteindre, le second est en revanche l'objectif prioritaire. Et DAC8 a un soutien de poids avec le règlement MiCA.
Devant entrer en application en 2024, le règlement MiCA va obliger les plateformes d'échange à obtenir un agrément dans un pays de l'Union européenne afin qu'elles puissent toucher les résidents de l'UE. Ainsi, des plateformes comme Kraken ou Coinbase, qui ne sont pas PSAN au moment où ces lignes sont écrites, auront l'obligation d'être agréées.
En conséquence, les futures dispositions de DAC8 s'appliqueront à ces plateformes agréées. Or, parmi les dispositions prévues, on appliquerait exactement ce qui existe déjà pour les PSAN français : une transmission obligatoire de l'ensemble des transactions de leurs clients à l'administration fiscale compétente. Cela s'apparente à un game over théorique pour la fraude fiscale, mais la réalité pourrait s'avérer plus complexe.
Une réalité : une faisabilité encore très incertaine
La volonté d'une transparence absolue devrait se heurter à une réalité semée d'embûches. La première, comme toujours, c'est que l'application de telles mesures pourrait encore prendre de nombreuses années. Aux dernières nouvelles, ça devrait être en 2026 au minimum. En outre, il est possible que des dispositions d'exclusion soient ajoutées pour protéger la vie privée, mais pas forcément en lien avec les cryptos.
Par ailleurs, l'application des futures mesures pourrait être assez disparate d'un pays à l'autre. Par exemple, comment un pays comme Malte, très pro crypto et où les plus-values ne sont pas imposées, appliquera réellement DAC8 ? Il est clair que cela contreviendrait à son attractivité. Or, l'UE est la spécialiste des exceptions !
Enfin, la question des moyens alloués est également essentielle. En effet, une administration fiscale juridiquement armée, mais sans moyens humains et financiers n'a aucun pouvoir. Or, si le fisc français se voit transmettre des milliers de transactions par jour sans avoir les moyens de les analyser, DAC8 serait tout simplement inapplicable et on ferait alors perdurer la situation actuelle : se concentrer sur les gros poissons et laisser passer les fraudes commises par les sardines.