Loi Numérique, spam, Wi-fi, peer-to-peer...
Le président de l'Internet Society France a fait
le tour de l'actualité du Web avec les lecteurs
du Journal du Net. Le message : gare aux idées
toutes faites et aux nouveaux carcans.
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Invité
: Eric Brousseau, Président de l'Isoc
France et professeur d'économie
à l'Université Paris I (voir
sa fiche Carnet) |
Date
: Mercredi 19 mars, 18h-19h10 |
Nombre
de questions posées : 112 |
Nombre de questions
retenues : 24 |
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Eric Brousseau : Bonsoir à tous. J'attends vos
questions à la fois en tant que Président de l'Isoc
France et qu'économiste intéressé par l'Internet.
C'est quoi l'Isoc?
Eric Brousseau L'Isoc n'est pas, tout d'abord,
une association d'utilisateurs. C'est une association
mondiale - avec des branches dans chaque pays - qui
réunit différents acteurs intéressés par la promotion
de l'Internet et des valeurs qui ont été associées à
sa création : ouverture, liberté, information pour le
plus grand nombre, réseau sans frontières, etc...
Qu'est-ce qui vous a amené à
diriger l'Isoc ?
Je ne dirige pas l'Isoc, je la préside. Il s'agit, pour
moi, d'essayer d'organiser les débats entre nos membres
pour promouvoir une réflexion collective destinée à
mettre au point des solutions et des idées pour la promotion
de l'Internet.
Combien de personnes sont membres
de l'Isoc ? Quel intérêt direct trouvent-elles à participer
à votre association ?
Le nombre de membres est, à ce jour, une inconnue car
nos statuts au niveau mondial ont changé il y a 18 mois.
Désormais, nos membres adhèrent soit auprès de l'Isoc
France, soit auprès de l'Isoc monde et il y a eu quelques
cafouillages dans les derniers mois pour savoir qui
était qui... L'intérêt de participer à l'Isoc est de
contribuer à une réflexion collective organisée à la
fois au niveau national, régional et mondial sur l'avenir
de l'Internet... tant du point de vue technique que
du point de vue de sa régulation.
A quoi servez-vous ? Quel rapport
ou quelles différences avec le W3C ?
Le W3C est un club de normalisation - pour le langage
HTML. L'Isoc est une association qui participe à la
normalisation technique - à travers l'IETF - mais qui
a une vocation plus large, comme promouvoir l'Internet,
ses valeurs et réfléchir à sa régulation.
Quelles sont les relations entre
l'Icann et l'Isoc ? Vous n'êtes pas un peu en concurrence
pour la régulation de l'Internet ?
Non. L'Icann est l'organisme de gestion des noms de
domaines et du système d'adressage. A terme, l'Icann
pourrait devenir l'instance de régulation de l'Internet.
L'Isoc n'a pas vocation à se substituer à l'Icann. En
revanche, nous réfléchissons aux modalités efficaces
d'organisation de l'Icann, à sa légitimité à intervenir
dans certains domaines, etc. l'Icann est une institution,
nous sommes une association.
L'Icann semble une véritable
usine à gaz, pas très transparente. Quel est votre avis
?
Oui, c'est le moins que l'on puisse dire. L'Icann a
été bricolé dans l'urgence avec plusieurs objectifs
contradictoires : constituer un moyen de coordination
entre les opérateurs du réseau, représenter les Etats,
défendre les intérêts des internautes... Tout cela dans
la perspective de gérer une affaire techniquement complexe
avec des enjeux politiques et commerciaux non négligeables.
Il en résulte une structure effectivement peu transparente,
que tout le monde reconnaît comme non satisfaisante
et que l'on réforme en permanence.
Ne commence-t-il pas à y avoir
beaucoup d'organismes de régulation sur Internet ?
Tout le monde s'intéresse à la régulation de l'Internet.
C'est bien normal, car les enjeux sont importants et
car Internet bouscule les frontières politiques mais
aussi les différents domaines d'activités. Toutes les
"anciennes" entités de régulation s'intéressent donc
à l'Internet... Mais il n'y a, en réalité, pas de dispositif
de régulation à ce jour et le paysage est plutôt confus,
avec de nombreux intervenants qui se chevauchent, ce
qui conduit à pas mal d'inefficacité.
Puisque l'on parle de régulation
: vous êtes plutôt ART ou CSA pour le Net ?
Ni l'un, ni l'autre. Le problème du moment vient précisément
du fait qu'on tente de réguler l'Internet à partir de
vieilles solutions institutionnelles. Cela n'a pas de
sens de faire des régulations nationales, nous le savons
tous. Quant à essayer de discriminer ce qui relève de
la communication, de la télécommunication, de la presse,
etc., cela montre simplement que le législateur n'a
pas encore pris la mesure de la nouveauté que constituent
les réseaux multimédia de bout en bout.
Quelles discussions menez-vous
actuellement au sein de l'Isoc ?
Nous avons toujours deux niveaux de réflexion. D'un
côté, nous sommes branchés sur l'actualité et essayons
de réagir, par exemple, à la loi sur l'Economie Numérique
actuellement en discussion. De l'autre, nous réfléchissons
à des sujets de long terme comme la régulation de l'Internet
ou la fracture numérique, particulièrement accentuée
en France.
Quel est le rythme de vos réunions
? Cela demande-t-il un gros investissement de travail
?
Nous nous coordonnons beaucoup en ligne. Cela étant,
le CA essaye de se réunir tous les deux mois. Nous avons
aussi des groupes de travail qui fonctionnent chacun
en fonction de leur propre rythme. Dernier point, nous
organisons deux grandes manifestations par an : les
journées d'Autrans en janvier et les Etats Généraux
des Noms de Domaines en juillet (en collaboration, dans
les deux cas, avec d'autres partenaires).
Que vous inspire le projet de
loi numérique?
Tout d'abord, nous avons une réflexion en cours et non
achevée sur le sujet (et oui, nous avons tous trop de
travail !). Ensuite, il est clair que beaucoup de choses
ne sont pas nouvelles dans ce projet de loi. Nous avons
pris position dans le passé sur le sujet. Si je dois
avoir une réaction globale, disons que cela rejoint
ce que j'ai dit précédemment. Il y a beaucoup d'éléments
positifs dans la loi - à commencer par son existence
qui créée un cadre -, mais certains détails laissent
penser que la mesure de la nouveauté n'a pas été prise
en compte par le législateur.
Que faisiez-vous aux temps de
la nouvelle économie ? Qu'est-ce l'Isoc pensait de ce
charivari financier ?
Personnellement, au temps de la nouvelle économie, j'ai
publié un rapport au Commissariat Général du Plan -
relayé par "Libération", notamment - qui expliquait
pourquoi les TIC bouleversent nos sociétés..., mais
très lentement, et qui soulignait donc que l'idée de
nouvelle économie était une chimère. Cela m'a valu pas
mal de critiques. A cette époque, l'Isoc, de son côté,
était le lieu d'un intense débat... Mais, disons qu'elle
abritait de nombreux discours, parfois critiques, parfois
moins, sur la nouvelle économie.
Internet=audiovisuel : vous
en pensez quoi ?
Non, justement. L'Internet est un réseau qui permet
de supporter des activités aux logiques très différentes,
la diffusion d'images animées et de sons, certes, mais
aussi de l'écrit. Surtout, de multiples formes de communication
et de partage d'informations sont possibles dans une
optique grand-public ou professionnelle, dans une logique
coopérative ou marchande. Réduire l'Internet à l'audiovisuel
ou aux télécoms est précisément l'erreur que commettent
beaucoup de décideurs à la vue d'un écran relié à un
réseau. L'Internet, c'est beaucoup plus et c'est très
flexible. C'est ce qui permet l'innovation et c'est
pour cela que cela doit échapper aux catégorisations
habituelles.
Que pensez-vous du Wi-fi ? La
prochaine révolution Internet ?
Oui. Le Wi-fi et d'autres technologies vont changer
les choses car l'Internet sans fil, et encore plus décentralisé,
va générer de nouveaux usages. Cela étant, il ne faut
pas se leurrer : nous resterons tous tributaires du
courant électrique. Par ailleurs, de nombreuses technologies
sont développées aujourd'hui pour essayer de réintroduire
du contrôle dans le réseau, y compris dans le sans-fil,
de manière, à la fois, à le sécuriser et aussi à le
rendre payant.
Le spam, comment le réguler
? Vous menez une réflexion dans ce domaine ?
Certains d'entre nous y réfléchissent, mais c'est une
question difficile. En effet, réguler le spam revient
à essayer de contrôler les contenus qui circulent. C'est
vrai que le spam est dérangeant... mais il se pourrait
qu'un dispositif de régulation étatique, où des états
non démocratiques interviendraient, soient encore plus
gênant que ce qui nous pose des problèmes actuellement.
A priori, à l'Isoc, nous sommes plutôt pour des solutions
reposant sur la vigilance des internautes et la responsabilisation
des émetteurs de message. Naturellement, une telle solution
n'a rien de parfait. Fustiger un marchand de Hong-Kong
risque de peu l'émouvoir. D'un autre côté, ces messages
envoyés n'importe comment ne s'avèreront pas nécessairement
efficaces. Il faut donc être prudent sur cette question
et compter sur les apprentissages des acteurs.
Régulation du peer to peer :
vous comprenez la position des FAI qui refusent de faire
les gendarmes ?
Bien entendu. Cela rejoint ma réaction précédente. Peut-être
que des dérives existent dans cette phase d'expérimentation,
mais il faut d'abord s'interroger sur leurs conséquences
réelles. Par ailleurs, toutes les solutions confiant
à des autorités non-judiciaires le droit de contrôler
les contenus sont dangereuses. Enfin, il s'agit aussi,
souvent, de solutions inefficaces car on peut toujours
contourner telle ou telle régulation locale si elle
s'avère vraiment gênante et les groupes qui sont visés
les connaissent parfaitement.
Isoc, la voix de son maître
(américain), vrai ou faux ?
Faux. L'Isoc France est indépendante et les américains
ne participent pas à nos débats et à nos prises de position.
L'Isoc est une association mondiale, où, certes, les
Américains dominent, mais qui essaye précisément de
jouer l'ouverture. Cela étant, il est exact qu'il peut
y avoir des débats houleux sur un certain nombre de
points. Nous ne partageons pas, sur tous les sujets,
des visions communes avec nos amis d'Outre Atlantique.
Comment évoluent vos relations
avec la délégation Isoc Iraq ?
Depuis 48 heures, les communications sont difficiles
avec eux. Sont-ils brouillés ?
C'est quoi votre site préféré
?
Oh, un truc qui n'intéresse personne d'autre que les
économistes : www.ssrn.com.
C'est plein de "working papers" sur tous les
sujets... y compris l'économie de l'Internet. Cela étant,
je n'ai pas vraiment de site préféré. J'en ai plusieurs
en fonction des usages.
Alors, comment protéger les
auteurs, vous qui connaissez bien cette question ?
Les auteurs de quoi ? et quelle protection ? La protection,
cela va de la reconnaissance de paternité - qui ne pose
pas plus de problème sur le Net que dans la vie réelle
- à la défition de droits exclusifs d'usage - notamment
à des fins commerciales. L'Internet offre toute une
gamme de possibilités techniques. Cela étant, c'est
comme dans la vie réelle, la technique ne suffit pas.
Le droit et l'éthique doivent venir à son secours. En
revanche, ce qui est intéressant dans le monde numérique,
c'est que l'auteur d'une oeuvre peut décliner de manière
très subtile les différents droits d'usage et d'accès
qu'il confère à ses oeuvres. C'est très nouveau.
Les affaires de brevets se multiplient
sur Internet... Qu'en pensez-vous ?
La question des brevets est toujours controversée et
souvent mal comprise. Soit on a une position générale
et simpliste - qu'elle soit pour l'interdiction pure
et simple de toute forme de propriété intellectuelle,
ou, au contraire, pour la permission de breveter n'importe
quoi -, soit on admet qu'il faut réfléchir au cas par
cas. C'est plutôt ma position. Il y a, à l'évidence,
des innovations sur Internet qui pourraient être brevetées
(même si ce n'est pas nécessairement l'intérêt de l'innovateur)
et d'autres qui ne devraient pas l'être.
En tant qu'économiste, vous
croyez à l'Internet gratuit (pub) ou est-ce une utopie
?
En fait, l'économie numérique réunit un certain nombre
de propriétés - coût de reproduction des contenus et
d'utilisation des infrastructures quasi nuls, externalités
de consommation (mon usage produit une information utile
aux autres), etc - qui rend possible des modèles gratuits.
Mais, en fait, ces caractérisitiques rendent surtout
possibles des tas d'hybridation entre le gratuit et
le payant, entre le coopératif et le marchand, entre
les accès protégés et l'information publique. Bref,
le tout gratuit n'est qu'une des possiblités. Il est
viable dans certaines situations... mais pas toujours.
Comment l'Isoc est-il financé
?
l'Isoc bénéficie de subventions - publiques et privées
-, le plus souvent à l'occasion des événements qu'elle
organise. Il y a aussi les cotisations des membres.
Cela étant, l'Isoc n'est pas gourmande. Nous sommes
tous des bénévoles.
A qui rendez-vous des comptes
dans l'Isoc ?
Comme dans toute association : à l'assemblée générale
des membres.
Eric Brousseau : Merci à tous pour vos questions...
et désolé pour les réponses un peu lapidaires. C'est
la loi du genre.
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