Sylvie Pastur (Escale Design) "Un commerçant qui fait un deal avec Groupon est d'office perdant"

Sylvie Pastur a créé sa boutique de design haut de gamme à Lasne, en Belgique. Deux deals conclus avec Groupon l'ont contrainte à mettre la clé sous la porte. Récit.

JDN. En quoi consistait votre contrat avec Groupon Belgique ?

Sylvie Pastur. J'ai rencontré le commercial de Groupon Belgique le 1er février. Il m'a contacté via Facebook. A ce moment là, nous convenons d'un deal : vendre 29 euros un bon d'une valeur de 200 euros, à utiliser dans mon magasin pour un minimum de 500 euros d'achats. Immédiatement après, je lui envoie un e-mail listant les produits éligibles pour ce deal, en précisant ma marge pour chacun. Le moins cher est à 500 euros environ. Les 29 euros du coupon devaient se répartir à 50 % pour Groupon et à 50 % pour nous, le marchand. Nous convenons de monter un deuxième deal associant au même bon d'achat de 200 euros une séance de coaching déco de 4 heures normalement facturée 500 euros, le tout pour 49 euros, là encore à condition de dépenser un minimum de 500 euros dans le magasin.

Le commercial de Groupon me dit alors qu'il propose de mettre en ligne le deal le lendemain. Il ne m'envoie le contrat qu'en fin de journée, dans lequel la commission de Groupon est portée à 100 % car, mes produits étant haut de gamme, je suis censée faire plus de bénéfices, affirme-il. Me disant que si les clients achètent pour 2000 euros dans le magasin, je fais quand même une belle marge. Et je signe. Mais le lendemain, Groupon lance son deal en promouvant le bon d'achat sans mentionner le minimum de 500 euros d'achat ou les articles éligibles sur lesquels il m'avait donné son accord. Je ne l'ai constaté que la semaine suivante, lorsqu'un premier client Groupon a poussé la porte du magasin pour demander son "cadeau".

Quand a été décidée la mise en ligne du deuxième deal ?

Les conditions du deuxième deal ont été réglées dans le même contrat que le premier deal. La mise en ligne du deuxième a été décidée immédiatement après le premier, avant que je n'en voie les retombées, pour quelques jours après. Ayant reçu le bon à tirer du deal coaching, je mentionne bien à Groupon avoir besoin de mes 50 % de commissions, nécessaires pour financer les frais de déplacement liés aux séances de coaching. Mais il est apparemment trop tard et le matin même de la mise en ligne, la première acheteuse qui m'appelle m'apprend que j'ai déjà 104 clients. Je téléphone à Groupon pour leur dire que je ne pourrai pas dépasser 150. Ils me disent que le deal est sans limite jusqu'à minuit, ce qui d'ailleurs n'était pas spécifié dans le contrat, mais que je ne dépasserai probablement pas les 300 acheteurs et qu'il est possible d'étendre de six mois à un an la période de validité du coupon. A la fin de la journée, 673 personnes avaient conclu le deal.

Encore enthousiaste, je me dis que je demanderai à des amis architectes d'intérieur de m'aider et que je les rémunérerai à la commission. C'est à ce moment qu'arrivent les premiers acheteurs du premier coupon, qui tous veulent dépenser moins de 200 euros et pillent la boutique de ses petits articles. J'entreprends également une douzaine de coachings, mais les clients n'ont pas non plus de budget à dépenser en magasin. Je parcours la Belgique entière, je suis toute la journée sur la route et je ne suis même pas rémunérée à la commission. Je vends à perte et je ne ramène pas de commande. Je finis donc par dire stop et ne plus accepter les coupons Groupon.

Comment Groupon a-t-il pris votre décision ?

Le 4 mars, je prends un avocat pour mettre fin au contrat avec Groupon, qui fait la sourde oreille à mes relances. Pendant ce temps là, je me fais insulter dans mon magasin par les clients de Groupon qui ne comprennent pas pourquoi ils ne peuvent pas utiliser leur coupon. Le 24 mars, je raconte mon histoire sur Facebook. Le 29 mars, la direction de Groupon téléphone pour prendre rendez-vous et me propose une indemnité ridicule, que je n'accepte pas. Le lendemain, leur avocat me dit par courrier que si je ne supprime pas mon article sur Facebook et que si je divulgue quoi que ce soit à la presse, ils demanderont des dommages et intérêts. J'organise une conférence de presse le 1er avril. Le directeur de Groupon Belgique y assiste : il prétend que ses clients ont dépensé plus d'argent dans mon magasin que je ne le dis et annonce d'autre part qu'il va envoyer un email à tous les acheteurs du coupon les informant que le deal est annulé et qu'il va les rembourser. Je ne suis pas sûre qu'il ait envoyé cet e-mail à tous ses acheteurs, car on me demande encore aujourd'hui des séances de coaching en faisant valoir ce coupon.

Que reprochez-vous à Groupon ?

Les deux deals ont été convenus le même jour. Mais je ne savais pas que le minimum d'achat de 500 euros, qui avait été acté dans nos précédents échanges d'e-mails, n'y figurait plus. Groupon fait miroiter aux consommateurs qu'ils n'ont quasiment rien à débourser, qu'ils vont bénéficier de cadeaux. Et on prétend que c'est moi qui n'arrive pas à assumer la charge. Selon moi, Groupon s'enrichit sur le dos des autres. Il a vendu 300 coupons à 29 euros et 673 à 49 euros, soit plus de 40 000 euros. Moi, j'ai tout perdu. Ma boutique était l'aboutissement d'une carrière de 15 ans : 5 mois après, il n'en reste rien. J'avais investi 100 000 euros, tout y est passé. L'enseigne est définitivement salie et je n'ai pas eu d'autre choix que de fermer boutique. J'ai vendu à perte pour pouvoir arrêter de payer le bail.

J'ai d'ailleurs reçu des dizaines et des dizaines de témoignages, y compris de France, de commerces ayant eu les mêmes déboires que moi, or à chaque fois il s'agissait d'un deal "no limit". Comment peut-on penser qu'une esthéticienne pourra assumer des dizaines de clients sur des prestations où elle ne gagnera que 3 euros ? J'en connais une qui a fini par ne plus même pouvoir payer son loyer et qui dort maintenant dans sa voiture...

Que voulez-vous obtenir ?

Je veux que Groupon admette son erreur. A combien de faillites de petits commerces va-t-il falloir assister pour cela ? Elle s'en prend à des petites sociétés vulnérables pour s'enrichir. Groupon s'est développée grâce au climat de crise, car les gens ont un budget limité pour les sorties et les loisirs. Alors c'est vrai, il y a des deals qui fonctionnent. Par exemple avec des grandes enseignes de coiffeurs comme Biguine, qui arrivent à imposer des restrictions : des prestations de main-d'œuvre uniquement, hors produits, tels jours de la semaine... Mais pour les petites structures, mon conseil est de ne pas faire de deal avec Groupon : on est d'office perdant.

 

Le point de vue de Groupon :

"Madame Pastur a travaillé avec nous une première fois sur une offre en février dernier. Une opération "réussie", selon  elle. Suite à cela, elle a décidé d'en refaire une deuxième. Lorsqu'elle nous a demandé d'y mettre fin, nous avons aussitôt coupé le contrat et remboursé nos clients. Le coupon était de 29 euros pour 200 euros d'achats dans son magasin. Nous avons vu passer 7 tickets. Elle dit que 20 personnes ont utilisé ce coupon dans son magasin. Mais même si 20 personnes l'ont utilisé, cela fait un total de 4 000 euros et ce n'est pas suffisant pour justifier une faillite. Pour nous, la situation financière de sa société était délicate, Groupon n'est en aucun cas responsable de sa faillite.

Une offre n'est réussie que si tous les acteurs en jeu sont satisfaits : clients et partenaires. C'est pourquoi nous collaborons étroitement, main dans la main, avec nos partenaires, pour élaborer, avec eux, les meilleures offres à proposer à nos clients, qui leur donneront envie de découvrir de nouveaux endroits et des services de qualité".